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La Parabole du semeur, Octavia E. Butler

90 Seconds To Midnight – Hot Milk (extrait de l’album Corporation P.O.P.)

Un autre jour, un autre classique qu’il était plus que temps de découvrir afin d’en avoir personnellement le cœur net ; une série en soi qui vient s’entremêler à la longue série des découvertes que je vais probablement vous infliger dans le courant des mois qui viennent, avec tous les SP que j’ai reçus et/ou demandés. La vie de blogueur, si vous vous demandiez, est absolument terrible quand elle se passe aussi bien qu’elle se passe en ce moment pour moi. Merci Au Diable Vauvert pour cet exemplaire et votre contribution au deuil définitif du concept d’une PàL qui saurait définitivement se réduire.
Mais trêve de réjouissances et de flagornerie, le principe de ce blog c’est de parler des bouquins qui quittent cette satanée PàL, pas de ceux qui y végètent en attendant fiévreusement leur heure de lecture (ou de relecture pour les plus malchanceux d’entre eux). Est-ce qu’il vaut sa réputation, ce roman de Madame Butler ?
Eh bah je dirais oui et non. Dans une perspective disons historique de la littérature de SF : oui, sans aucun doute. À une échelle plus personnelle… Meh ?
Mais comme d’habitude, ce n’est pas aussi simple que ça non plus : c’est même un poil compliqué. Alors je vais encore une fois tenter d’expliquer ça au mieux.

Bon, mettons directement les pied dans le plat sans nous embarrasser d’un quelconque résumé ; les points principaux de l’intrigue vous serons exposés passivement par mes commentaires sur l’ensemble du bouquin, je crois.
Disons le simplement : le plus gros défaut de ce roman, à mes yeux, c’est bêtement d’être arrivé trop tard dans mon parcours. À l’exacte image d’une Main Gauche de la Nuit, cette Parabole du semeur a sans doute galéré à marcher pour que d’autres après elle arrivent à courir. Et si j’exprime une relative déception à son égard, c’est sans doute parce qu’on me l’a vendue comme une anticipation postapocalyptique visionnaire et que j’ai le sentiment que son ambition et le résultat qui en découle étaient tout autres ; d’autant plus que son prisme d’expression suggère à mes yeux essentiellement autre chose que ce que ce sous-genre tend à exprimer d’habitude.
Là où je trouve que ce roman m’a été et est assez mal promu, c’est surtout l’abus du mot postapocalyptique. Je déteste être le mec qui pinaille sur des détails techniques, mais vraiment, je trouve que ce roman tendrait plutôt du côté pré apocalyptique, voire même carrément du côté simplement apocalyptique. La trajectoire de sa protagoniste n’est pas le prétexte à une description par le menu des conséquences d’un effondrement, ni même à une explication circonstanciée et précise du pourquoi de cet effondrement, mais uniquement la projection de la trajectoire en question : dans les circonstances d’un effondrement, ici justifié par des circonstances que l’on ne connait que trop bien aujourd’hui, mais exacerbées pour les besoins d’une fiction aussi impactante que possible.

Et de fait, c’est là que le côté « visionnaire » qu’on m’a promis me semble assez faible, puisque finalement, comme tous les romans d’anticipation, La Parabole du semeur ne parle pas tant de l’avenir que de son présent ; même si je dois mettre un bémol à ce que je dis moi-même, ici. Parce que je me suis rendu compte avec cette lecture, quand même, qu’on a généralement tendance à coller cette étiquette « visionnaire » sur des anticipations aux accents technologiques, sur des innovations ou des tendances sociales liées à ces dernières : genre Sur l’onde de choc de l’ami John Brunner, au hasard.
Or, dans le roman qui nous concerne aujourd’hui, force est de reconnaître que cet aspect technologique est complètement à la ramasse, en terme d’anticipation ; le 2024 d’Octavia Butler aurait pu se dérouler dans des années 80/90/00/10, au choix, ça n’aurait rien changé au décor.
Sauf qu’en fait, je crois bien que l’autrice n’était pas là pour ça ; l’emphase est mise ailleurs, tout simplement parce que son regard est celui d’une femme noire. Et au travers de son regard, transposé à son héroïne, j’ai verbalisé autant que compris quelque chose que je n’avais pas assez intégré jusqu’ici. La connaissance de la technologie est un luxe, là où la connaissance des mécaniques d’oppression est une nécessité. Un roman comme celui de Brunner, homme blanc, ou d’autres du même genre ou sous-genre, avec des perspectives similaires, malgré toutes leur bonne volonté et leurs meilleurs intentions, même réussis, finiront toujours plus ou moins par adopter une perspective d’ensemble. On y retrouve souvent une optique macro-humaniste, s’intéressant à des dynamiques vagues et des théories souffrant toujours des mêmes angles morts, ne considérant pas forcément l’humanité dans ses aspects les plus complexes et multifactoriels, plaquant des jugements plus ou moins scientistes sur des enjeux nécessitant une approche plus sociale.
Là où la perspective intersectionnelle et toujours à hauteur humaine d’Octavia Butler, dans ce roman, va aller confronter des questions beaucoup plus intimes et resserrées autour de cette seule perspective, portée par son héroïne. On se retrouve donc avec un récit thématiquement centré sur des sujets assez afro-américano-centrés à mes yeux, comme la religion et son poids social, par exemple, ou des allusions régulières à la question de la couleur de peau et à la mixité, notamment en rapport direct avec le travail.

Et pour ce que tout ça a de théoriquement et littérairement passionnant, ça suggère quand même des choix narratifs bien particuliers, qui me ramènent pour le coup à ma propre appréhension du texte pour ses qualités intrinsèques, nonobstant des questionnements plus métaphysiques. Et bon, pour le dire de façon clichée mais quand même assez efficace : ce texte a les défauts de ses qualités.
Le truc est bien entendu que tout nous est conté du point de vue de Lauren, notre héroïne, fille de pasteur hyper-empathe, au caractère bien trempé et aux perspectives extrêmement matérialistes et utilitaristes. Bon, et personnellement, je suis pas hyper fan de Lauren : ça n’a pas aidé à être complètement embarqué dans cette histoire. Si j’ai bien saisi et apprécié le travail d’Octavia Butler pour nous présenter un personnage aussi complet que complexe, justifiant absolument à la perfection l’ensemble de ses motivations et de ses mécaniques internes, la jeune fille n’a pas vraiment réussi à me paraître sympathique pour autant. Et ça tient à deux détails : son empathie et son obsession religieuse.
Bon, alors, forcément, j’ai jeté un œil sur le net, pour voir si cette histoire d’hyper-empathie était réelle ; et apparemment, oui, quoique pas toujours aussi prononcée que les symptômes que présente Lauren. En admettant donc cette condition singulière, matériellement ou en termes plus symboliques pour ce qu’elle représente au sein du récit, je trouve du coup, quand même, que l’écriture qu’en fait Octavia Butler manque d’organicité. Et ça m’embête, parce que clairement, cette condition a une importance cardinale aux yeux de l’autrice, conditionnant une grande partie des vecteurs allégoriques transitant par son héroïne. Or, au delà de quelques instances signifiantes ; le reste du temps, on dirait plus un gadget qu’une réalité tangible, littérairement parlant. Il m’a manqué des descriptions précises, une intégration plus sensible au récit, pas tant pour y croire que pour moi-même ressentir ce que cette héroïne a qui on me demandait de m’identifier ressentait. Or, en dehors de raisonnements très froids et cliniques de sa part hérités de cette condition et de la nécessité récurrente de faire des choix difficiles dans des conditions infâmes, elle ne m’a pas donné grand chose à partager dans le domaine sensitif ou même émotionnel.
Ce qui m’amène indirectement à la question religieuse, qui est sans doute très personnelle. Je ne suis pas quelqu’un de très spirituel, et encore moins religieux. Donc forcément, lire un personnage à l’écriture aussi messianique que Lauren, nous livrant très régulièrement ses pensées religieuses et ses envies/besoins de lancer un mouvement religieux nouveau… C’est un poil compliqué, quand bien même il est assez clairement établi que les ambitions de ce mouvement ne se veulent pas aussi coercitives et spoliatives que certains cultes préexistants. Mais n’empêche qu’avec la tendance un peu bossy de Lauren et son approche très pragmatique de la vie, je n’ai pas été systématiquement à l’aise avec toutes ses décisions ; quand bien même elles se justifiaient systématiquement à l’aune du monde dans lequel elle vit et essaie de se faire une place. « Des choix imparfaits dans un monde imparfait« , comme on dirait au Pays des Mères, certes, mais ça reste un poil malaisant.

Ce qui m’amène au dernier aspect pertinent à discuter à propos de ce roman, que je ne peux pas vraiment ranger dans une case « réussi » ou « raté », à savoir, son intrigue. Parce que oui, il y a une histoire là dedans, quand même. Et… Je sais pas trop ?
On en revient à ce côté « défauts de ses qualités », j’imagine, parce que tous les choix d’Octavia Butler font sens à l’aune de ses ambitions ; on prend le temps de son héroïne pour tout ce qui se passe dans sa vie et qu’elle estime important de raconter, avec tout ce que ça suggère de moments de creux, d’ellipses plus ou moins longues, de digressions techniques ou socio-politiques, de répétitions ou de séquences pédestres où on la suit faire ce qu’elle a à faire, avec des gens ou seule. Et ce tout le long du roman, que ce soit dans l’une ou l’autre des deux grandes parties de l’histoire de Lauren.
Pour moi, ça donne un côté un peu bâtard à l’ensemble, avec ce rythme étrange qui promet beaucoup de choses mais ne nous offre pas des masses en retour, tout en se justifiant parfaitement de son aridité, littérairement et symboliquement ; et de la même manière, c’est extrêmement prévisible une fois qu’on a compris le fonds de l’affaire, tout en se ménageant des espaces absolument inattendus, réussissant à offrir une perspective un peu optimiste en plein milieu de ce tourbillon d’horreurs incessants qui nous assaille.
Parce que bon, oui, il faut bien le dire : c’est absolument déprimant de bout en bout. Ces États-Unis de 2024-mais-pas-vraiment sont un enfer sur Terre d’une intensité rare, dans lesquels l’autrice tente au mieux de déployer un propos optimiste qui vivotera tant bien que mal en fonction des perspectives de son lectorat sur la notion d’espoir ; on pourra invoquer un certain verre et une certaine quantité de liquide à mettre dedans. Autant vous dire que de mon côté c’était pas glorieux, ce qui explique en grande partie cette recension fort mitigée.

Ouais donc en gros, on peut mettre ce bouquin dans la case « Je suis très content de l’avoir lu parce que maintenant je sais mais c’est pas pour autant que je vais m’enthousiasmer de manière disproportionnée ».
Une case dont je devrais songer à changer le nom parce qu’elle est beaucoup trop longue et que c’est une galère d’imprimer l’étiquette à chaque fois.
Blague à part : La Parabole du semeur est sans conteste possible un ouvrage important pour ses qualités pionnières et sa perspective encore trop rare sur des questions pourtant surexploitées, dont je ne peux pas dire tout le bien possible uniquement parce que j’ai, encore une fois, lu des bouquins qui lui doivent tout plus tôt dans mon parcours. Octavia Butler, ici, souffre d’abord et avant tout de m’avoir été inconnue trop longtemps, pas d’un manque de talent, certainement pas : on a besoin de voix comme les siennes pour désenclaver nos perspectives d’avenir, fut-ce au travers de lectures sans concession comme celle dont j’ai pu vous parler ici.
Si je ne souscris pas du tout à l’idée qu’un grand roman se reconnait dans sa capacité à vous bousculer et vous mettre mal à l’aise – le dolorisme, très peu pour moi – je suis tout de même prêt à reconnaître que ça peut parfois arriver pour le meilleur. Je crois que c’est le cas, ici.
Un grand roman, oui. Juste pas celui qui vous mettra de la meilleure humeur.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “La Parabole du semeur, Octavia E. Butler

  1. Avatar de tampopo24 tampopo24 dit :

    J’ai beaucoup aimé m’énerver au cours de cette lecture et découvrir une autrice qui mettait ainsi les pieds dans le plat avec les systèmes de croyance. Cependant, je reconnais, comme toi, que la lecture est aride, la narration pas toujours des plus agréable, tout comme les personnages qui ont une écriture assez simple.
    Les idées sont bonnes, moins la mise en scène.
    Ce n’est pas mon roman préféré de l’autrice mais il a eu le mérite de remuer bien des lecteurs.

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