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Collisions par temps calme, Stéphane Beauverger

Far From Any Road – The Handsome Family (extrait de l’album Singing Bones)

À ce jour, je n’ai dû expliquer qu’à une poignée de personnes l’origine du nom de ce blog ; il faut bien dire qu’il n’y a eu que cette poignée de personnes pour me le demander. Et je vous dis ça sans aigreur aucune, hein, c’est juste que je trouve ça rigolo, dit comme ça, et il fallait bien que vienne le jour où j’allais devoir le faire moi-même sans requête préalable : parce que ça fait sens.
Et vous l’aurez compris, ça fait sens pour moi aujourd’hui. Alors pas d’inquiétude, hein, promis, je fais court.
En gros, « Le Syndrome Quickson », ça vient d’un rêve que j’ai fait pendant mon adolescence. Un rêve où je parcourais le net pour identifier la potentielle maladie derrière les symptômes dont j’étais moi-même victime. L’essentiel de mon aventure onirique avait finalement consisté en ma lecture d’une fiche Wikipédia revenant en détail sur l’origine et les effets de ce fameux syndrome qui fait que nous sommes ici et maintenant. Je passe les détails sans grand intérêt intrinsèque que cette histoire contient pour nous amener directement au lien entre ce nom si singulier et la lecture du jour. Ce que j’ai compris des années plus tard, après mes mésaventures personnelles et les consultations médicales correspondantes, c’est que ce rêve n’était que le préambule à ma découverte en profondeur de ce qu’on appelle la dépression, avec tous les sentiments étranges et malsains qui peuvent en constituer les satellites.
Je ne pense pas que Collisions par temps calme parle essentiellement de dépression. Mais c’est sans aucun doute parce que j’en ai trouvé un écho particulièrement puissant, organique et intime dans le récit de Stéphane Beauverger que je m’y suis senti particulièrement immergé. Et je pense que cet écho était si important pour moi que je peux pas minimiser la puissance du coup à l’estomac que j’ai reçu en le lisant ; de la même manière, mon obsession pour le contexte de mon ressenti lors de mes recensions m’empêche de seulement envisager d’en faire l’omission.
Cette novella est, je pense, un bijou absolu. Un chef d’œuvre de richesse conceptuelle et humaine que j’ai réussi à appréhender pleinement, à comprendre complètement, principalement parce que j’ai eu la chance douce-amère de trouver cette porte d’entrée si personnelle pour y entrer et m’y aménager un espace idéal de réception.
Au delà du fait que, littérairement parlant, déjà, c’est assez exceptionnel.
En bref, j’ai des choses à dire, et j’ai très envie de bien prendre le temps de toutes les dire avec toute l’éloquence et l’exigence dont je suis capable. On s’accroche.

Pour être honnête, initialement, je me suis dit que ce texte allait m’amener à faire une grosse redite de ma chronique de Résolution au moment de la rédaction de mon avis. Thématiquement, l’idée d’une utopie régie par une IA bienveillante, même si dans des proportions plus larges et avec des prérogatives différentes, avec un personnage central ne parvenant pas à s’y sentir intégrée ou simplement à l’aise ; ce n’aurait été de la faute de personne, mais le timing aurait été un peu malheureux : la redondance, ça empêche un peu de prendre tout le plaisir possible, sans parler d’en parler.
Fort heureusement, le fond de l’affaire n’est pas du tout le même. L’IA en question n’est pas la même, et les personnages non plus, et le contexte, en dehors d’une île théâtre de l’intrigue, n’a absolument rien à voir.
C’est là qu’évidemment, quand il s’agit d’en parler, pour moi, ça se complique. Et pas qu’un peu. Le mot richesse est bien pratique, comme épithète, parce qu’il suggère beaucoup, surtout dans un volume aussi réduit que celui d’une novella, mais moi qui aime bien verbaliser un maximum de détails sans pour autant trop livrer de ce qui constitue la surprise et le sel d’un texte, il me piège un peu, quand même.
Alors je vais ruser un peu et espérer que l’astuce fonctionne : pour vous parler du fonds, je vais d’abord vous parler de la forme.

Le génie littéraire, parfois, ne tient à rien. Un détail peut absolument tout changer. Et ici, Stéphane Beauverger réussit un truc tout con, que j’avais d’une certaine manière déjà lu ailleurs – notamment chez Betty Piccioli – mais avec une acuité et une précision d’exécution absolument phénoménale, et je pèse mes mots. Notre récit est effectivement construit autour de deux points de vue, celui de Sylas, habitant de l’île et fervent participant à l’utopie chapeauté par Simri, l’IA omnivoyante et omnipotente, et celui de Calie, sa sœur, qui souhaite partir, s’effacer de cet univers. Et de la même manière que sur le fonds, donc, formellement, leurs perspectives s’affrontent. En effet, Stéphane Beauverger, régulièrement, au bénéfice de ses changements de scène, intrique les points de vue en nous livrant à nouveau une scène déjà narrée, mais selon le regard de la personne dont nous étions extérieure auparavant. Mais l’astuce, c’est qu’à chaque fois, il modifie la perception de cette même scène en fonction de qui la vit dans la narration à l’instant T. Non seulement ça évite le sentiment de redite, mais en plus ça participe passivement à l’enrichissement de ladite narration par un simple effet de filtre : ce qu’on a pu croire la page d’avant est remis en question par le simple fait qu’on se rend compte que ce qu’on a pu croire n’avait simplement pas lieu d’être, ou que ce qui paraissait important pour l’un·e ne l’était pas pour l’autre, et inversement. Tout simplement parce que personne ne vit les mêmes choses de la même manière : les non-dits peuvent être mal interprétés, les choses qui nous semblent importantes à dire sont exprimées de travers ou reçues sans la même emphase, ou simplement reléguées à un plan plus trivial…
Et de fait, là où les personnages luttent pour affirmer leurs certitudes et croyances, se débattent avec leurs craintes, leurs angoisses, l’effort formel fourni par Stéphane Beauverger prend lui aussi sa part pour nous parler entre les lignes, illustrant les divergences intellectuelles et de principes de Sylas et Calie sans que le moindre dialogue d’exposition lourd ne soit nécessaire. Je trouve ça prodigieux, parce que ça tient à rien, mais ça produit un effet supertextuel d’une efficacité redoutable, et ça densifie le récit à un point stupéfiant.

Et si ce n’était que formel ! Parce que conceptuellement aussi, ça tabasse, et pas qu’un peu. Moi qui suis désormais terriblement blasé de l’IA, rendu à un stade horrible de désillusion sur la question, ruinée par la ternissure de la réalité ; la suspension d’incrédulité est affreusement compliquée à consentir pour moi. Bon eh bah là j’y ai cru. D’abord parce que le facteur humain n’y a pas été oublié, et qu’une IA dont l’architecture comprend une mesure de contre-pouvoir organique et éclairée me paraît désormais être le seul modèle crédible à implémenter dans un récit de SF.
Ensuite parce que la possibilité d’un échec du modèle vanté par les participants du modèle social découlant de cette IA et de son « règne » n’est jamais réellement écarté, diégétiquement ou non, à la fois par les conditions matérielles d’existence de cette IA ou son contexte de naissance, mais aussi et surtout par le personnage de Calie elle-même, qui n’est qu’un exemple précis parmi d’autres anonymes d’une potentielle incompatibilité socio-politique entre Simri et ses « sujets ».
Et enfin parce qu’en vrai, Simri, ce modèle IA, cette société idéale, on s’en fout un peu. Tout du moins, ce n’est pas vraiment, à mes yeux, le réel sujet de cette novella. On est dans un texte très Eganien, à mes yeux, où la diégèse est littéralement un prétexte, un prérequis permettant de déployer le cœur métaphysique de sa réflexion à une échelle aussi humaine et évocatrice que possible. Alors évidemment, ce n’est pas pour dire que le noyau science-fictif du texte n’est pas intéressant en soi, il l’est – bon sang qu’il l’est ! – c’est juste que ce n’est pas lui qui m’a happé et tenu très fort contre lui jusqu’à sa terrible et parfaite conclusion.

Collisions par temps calme fait partie de ce genre de textes aussi rares que merveilleux qui à mes yeux se concentrent si précisément sur leur sujet qu’ils en touchent à l’universalité par l’autre bout. La situation que vivent Sylas, sa famille et Calie est unique, diégétiquement et extra-diégétiquement ; et Stéphane Beauverger ne l’écrit pas autrement. Seulement, par la seule exigence de son exécution, par l’organicité des dialogues, des réactions et des dynamiques de ses personnages, il touche trop souvent au cœur de la cible pour que quiconque qui lirait ce texte ne puisse pas, à un moment où à un autre, se sentir profondément et inexorablement concerné.
Je vous parlais de l’origine du nom de ce blog dans l’intro : le Quickson du syndrome y fait référence à un jeune homme, aux origines aisées et à la vie parfaite selon toutes les apparences, mais qui pour autant se sentait irrémédiablement malheureux. Dans l’histoire que j’avais tiré de mon rêve, il était le premier à admettre qu’il n’avait aucune raison tangible de se plaindre de quoi que ce soit, et pourtant. C’est sans doute extrêmement personnel, mais peu importe, Calie m’a fait penser à ce type ; comme ce type était évidemment un reflet de ma personne à l’époque de ce rêve, dont j’ai mis le temps qu’il fallait à comprendre que mon syndrome n’avait rien d’unique. Mais de la même manière que ce syndrome n’existe pas vraiment, son écho m’est parvenu, porteur de sens : l’écho de ce texte m’est parvenu, avec tout son bagage émotionnel et conceptuel, et il m’a parlé comme ce rêve m’a parlé en son temps.
L’histoire de Sylas et Calie est unique mais ne l’est pas, parce qu’elle contient en elle les échos de toutes les situations asymptotes de l’univers. Pardonnez l’usage cavalier du mot que j’ai appris ce mot en lisant le bouquin, il me paraissait fabuleusement approprié ici ; j’espère ne pas m’être trompé dans sa compréhension ou son usage.

Bref, ce que je veux dire ici, c’est que je crois que Stéphane Beauverger, avec ce texte, a encore réussi un coup de maître.
D’abord parce que son récit est porteur d’un nombre époustouflant de questionnements philosophiques et humains autour de notre société et de son devenir, autant symboliquement que matériellement, ensuite parce que les vecteurs humains de ces questionnements sont en eux-mêmes des personnages passionnants et touchants à suivre, dans leurs errements comme dans leurs instants de gloire, toujours à échelle humaine. Et enfin parce que mince, quelle richesse formelle pour articuler cette richesse conceptuelle ! Je n’ai littéralement pas les mots pour saluer la qualité du travail d’écriture de l’auteur afin d’arriver à tant en dire sur tous les plans sans rien perdre en route, tant sur le plan de la vulgarisation scientifique que de l’organicité des enjeux. Si je n’avais pas été bluffé par la puissance émotionnelle du texte, j’aurais a minima été soufflé par la qualité et la précision des choix que Stéphane Beauverger a opéré.
Bah voilà, hein. J’ai fait de mon mieux, mais c’était sans doute pas assez. Quel texte. Damn.
Qu’est ce que j’ai fait de ma trilogie du Chromozone, moi, maintenant ?..

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “Collisions par temps calme, Stéphane Beauverger

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