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Océanique, Greg Egan

Distortion Sleep – Soilwork (extrait de l’album Figure Number Five)

Cela faisait longtemps que je voulais relire du Greg Egan, tout en repoussant systématiquement l’échéance ; ce que je conçois, peut paraître un peu paradoxal. Mais le fait est que le monsieur, maintenant que je commence un peu à le connaître, me fout un peu les jetons. Si vous le connaissez un minimum, vous n’avez pas besoin que je vous explique vraiment pourquoi, parce que je ne suis certainement pas le seul à craindre la prose unique de cet auteur indiscutablement unique. Si j’ai pu être impressionné, soufflé, admiratif, à la lecture d’un ouvrage unique comme À dos de crocodile ou un recueil de nouvelles comme Axiomatique, j’ai au contraire pu être salement échaudé par un roman comme Diaspora ; et croyez bien que je ne fais pas cette référence au hasard.
C’est là tout le mystère Egan, et sans doute ce qui le rend aussi attirant que clivant : personne ne fait du Greg Egan à part Greg Egan, que ce soit dans les romans, les nouvelles ou les novellas. Et en dépit du fait que beaucoup de monde – dont moi – vous dira sans doute que cet auteur si particulier excelle bien plus dans le format court que dans le format long, on est je crois obligé de constater une certaine constance thématique et formelle de sa part des deux côtés. Ce qui explique sans doute à rebours mes craintes et mon recul depuis tant de temps à lui consacrer de nouveau de mon temps de lecture : même ce que j’aime chez lui m’épuise. Il n’aura finalement fallu qu’une ressortie prochaine en grand format au Bélial’ pour que je me décide ; j’aime bien être raccord avec le calendrier des sorties, parfois, je me sens professionnel.
Et grand bien m’en a fait, malgré le sentiment tenace de m’être fait rouler dessus par un 36 tonnes quantique chargé en particules élémentaires. Ça ne veut rien dire, et pourtant, vous avez compris ce que je veux dire : Greg Egan commence à déteindre sur moi. Ce sera là le cœur de cette chronique qui s’annonce un peu décousue : je ne peux pas affirmer que je comprenne tout ce que l’auteur australien veut dire, ce serait mentir. Par contre, je peux dire que je pense enfin avoir compris sa méthode et une partie de ses ambitions.
Et rien que pour ça, Océanique est encore une réussite.

Que voilà une longue introduction pour enfoncer une porte ouverte aux yeux de tou·te·s. Oui, Greg Egan, c’est parfois -souvent – difficile d’accès : la physique quantique, les mathématiques appliquées, la prospective scientifique approfondie, c’est simple pour personne ou presque ; en dehors sans doute de quelques ingénieurs en physique nucléaire en recherche d’évasion, j’imagine. Je suis pas là pour juger, et d’ailleurs c’est pas le projet. Comme j’ai déjà pu le dire auparavant, cet auteur n’est jamais aussi bon, à mes yeux, que lorsqu’il intrique au maximum ses concepts avec ses personnages et leurs trajectoires, rapprochant ses réflexions d’un paradigme compréhensible et sensible pour son lectorat moyen. Jusqu’à la lecture d’Océanique, il me semblait que c’était en s’éloignant des applications et implications techniques de ses inventions qu’il était à son meilleur pour moi. Cela reste en partie vrai, mais pour l’essentiel faux ; puisque j’ai enfin compris que je prenais le problème, ou plutôt la question, dans le mauvais sens.

Parce qu’en fait, Greg Egan, pour moi, maintenant, n’est plus tant un auteur de science fiction qu’un philosophe, au sens premier du terme : un amoureux de la sagesse, du savoir, un explorateur conceptuel et des idées. Il s’avère qu’il a choisi d’explorer ces concepts et ces idées, de réfléchir, par le truchement de l’écriture fictionnelle, plus particulièrement celui de l’Imaginaire, et encore plus particulièrement la science fiction, mais je pense que ce n’est qu’incident, pas essentiel : ce n’est que le moyen le plus efficace et probablement personnellement plaisant de procéder qu’il a trouvé. Je l’ai compris avec un certain plaisir en lisant la nouvelle titre du recueil, parmi mes favorites, et dès lors, j’étais nettement plus en paix avec le travail de cet écrivain si singulier, parce que j’ai ainsi trouvé la meilleure clef de lecture pour moi afin d’appréhender ses ouvrages avec sérénité.
Sérénité, oui, parce que lire du Greg Egan, même ses nouvelles les plus  »légères », c’est exigeant. Il y a dans toutes ses œuvres, sans exception, des détails à capter, des spécifications techniques, des concepts dépaysants à intégrer, dans des proportions variables mais toujours avec précision. Lire du Greg Egan sans concentration, c’est l’assurance de se perdre et de s’épuiser à courir après des intrigues ou des idées qui nous échappent complètement ; le moindre moment d’inattention ou paragraphe sauté par empressement peut signer la fin de votre compréhension d’un texte entier.
Sauf que ce que crois avoir compris de lui, là où je me suis trompé tout ce temps : les concepts développés par Greg Egan ne sont pas des fins en soit. Au contraire, je crois qu’ils ne sont que des outils au sein d’une démarche plus complexe et plus éthérée. Comme je disais plus haut, Greg Egan ne fait pas tant de la science fiction que de la philosophie ; ses concepts, ses inventions techniques ou technologiques, comme ses personnages, ne sont que les éléments de contexte nécessaires à des réflexions abstraites, des questionnements adressés au vide ou au lectorat, ou les deux.

Greg Egan réfléchit à haute voix au travers de marionnettes qu’il anime lui-même pour créer la contradiction et les dynamiques humaines nécessaires à ses interrogations méta-physiques. Toutes ses précisions techniques, toutes ses envolées lyrico-scientifiques, finalement, ne sont que des jalons fixes pour cadrer au mieux le débat auquel il se livre avec lui-même. Le meilleur exemple à cet égard, je pense, est la – fameuse – nouvelle introduisant le recueil, ayant fait si peur à tant de monde, et sur laquelle j’avoue avoir dû batailler pendant quelques pages, Gardes-Frontières. On pourrait croire – et ça peut être vrai, après tout, selon votre regard – que la longue séquence explicative de football quantique ouvrant la nouvelle n’est guère plus que de la masturbation intellectuelle, une mélasse incompréhensible, du techno-babble prétentieux n’apportant rien d’autre au récit que la satisfaction du concept même à son auteur. Mais j’y vois finalement, personnellement, un prérequis indispensable à la suite du récit. Au travers de l’exigence d’un sport aussi complexe et son existence même, ainsi que autre menus détails disséminés au long du déroulement de ces premières parties, Greg Egan place en fait ses pions pour la manœuvre philosophico-fictionnelle se passant directement après. Ironiquement, si le final de cette nouvelle a frappé aussi fort à mes yeux, c’est parce qu’elle a pris exactement le temps qu’il fallait pour détailler précisément ses enjeux, et donc les enjeux de sa question philosophique.

Et c’est pour ça qu’Océanique, en dépit de certains de ses récits m’ayant laissé complètement indifférent, confirme à quel point Greg Egan est un auteur majeur et unique : parce qu’il n’a pas cessé de confirmer précisément la lecture que j’en ai faite tout au long de ma découverte ; et rétroactivement, tout ce que j’ai lu de lui dont je me souviens encore. Toutes les histoires que racontent Greg Egan ne sont finalement que les cadrages indirects de questions philosophiques, avec un degré plus ou moins important d’intrication humaine et de sensibilité dans le traitement, en fonction de la spécificité de la question ou de la situation qu’elle implique pour pouvoir exister dans un contexte de science-fiction, aussi pointu soit-il.
Et c’est une démarche d’écriture que je ne peux qu’humblement saluer, et surtout respecter ; parce que je comprends d’autant mieux, alors, pourquoi certains récits de Greg Egan me laissent absolument indifférents ou me touchent plus profondément. Si j’ai adoré Océanique – la nouvelle – et détesté Les Tapis de Wang, si je ne m’abuse une préquelle ou un essai à Diaspora ; au delà du plaisir d’être cohérent, c’est bien parce que les questions qu’il y soulevait ne m’intéressaient pas du tout de la même manière dans un cas comme dans l’autre. Je ne sais pas pour vous mais moi, j’aurais beau être en face d’une personne extrêmement charismatique ; si cette personne se met à parler beaucoup trop longtemps d’un sujet qui ne m’intéresse absolument pas, peu importe ses qualités de vulgarisation ou de narration, je vais fatalement décrocher.
D’autant plus que la fiction c’est clairement mon truc, mais que la théorie brute, ça m’emmerde ; et donc plus un sujet est complexe, moins il est facile à intriquer à la fiction de façon naturelle. Et malgré toutes les immenses qualités que j’ai plaisir à reconnaître à Greg Egan, même lui n’est pas toujours capable de bien rendre compte des implications d’un questionnement philosophique au travers de situations et d’histoires science-fictives : ce sont ces histoires là que j’aime le moins chez lui, paradoxalement – ou pas – celle où la théorie brute prend trop le pas sur les outils qu’elle manie pour avancer masquée. Car elle se perd alors trop en abstraction pure et ne s’incarne pas assez dans son cadrage, ne me donnant ni de quoi croire à l’utilité de la question ni aux possibilités de ses réponses.

Mais l’essentiel demeure : j’aime beaucoup Greg Egan, d’autant plus maintenant que je pense avoir trouvé cet angle de lecture de ses œuvres. Cela ne me le rendra pas plus aisé à lire, au contraire, même, puisque je vais systématiquement chercher ce cadrage philosophique, quitte à sans doute verser dans la surinterprétation par moments, mais cela me donne le sentiment de me le rendre plus accessible. Et ça, au delà d’être réconfortant, ça me paraît précieux. Malgré tous les relatifs défauts que j’ai pu trouver au travail de l’auteur, malgré le sentiment – toujours marginalement présent – que le monsieur vole parfois trop haut pour moi et une partie de son lectorat, je lui ai toujours trouvé une aura sympathique ; curieusement bienveillante, en dépit d’une certaine aridité ponctuelle et d’une exigence systématique.
Je crois juste que malgré tous ses efforts, malgré son talent incroyable et son envie de vulgarisation conceptuelle, Greg Egan reste un sommet parfois trop escarpé, trop éminent, pour être toujours atteignable sans quelque sacrifice d’oxygène au cerveau. Je ne peux alors que me contenter d’avoir trouvé une voix alternative jusque là haut, quitte à peut-être devoir rater quelques émotions ou épiphanies classiques en ne passant pas par la voix traditionnelle ; mais considérant qu’une relation entre un·e lecteurice et son auteurice est sacrée, je ne suis pas trop frustré, au contraire.
Voilà. Et donc si vous aviez un doute : je considère qu’Océanique est un excellent recueil de nouvelles, une preuve de plus que son auteur est aussi exceptionnel que sa réputation peut le laisser croire. Sans doute pas pour tout le monde, mais objectivement incontournable dans le petit monde de l’Imaginaire, ne serait-ce que par sa totale unicité.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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