
Peu d’activité sur le blog cette dernière semaine, parce que comme je le disais lors de ma chronique de Re:Start, j’avais un roman à relire. Mais comme c’était un gros morceau et que j’avais besoin de respirer un peu, je me suis dit que j’avais le droit de changer mes habitudes, un peu : donc désormais, les Fiction et consorts, ce sera quand j’aurais envie et quand je nécessiterai des pauses. Après tout, rien de tel que des nouvelles et des vieux articles pour se changer les idées sans trop se parasiter.
Mais bref. Un numéro pris au hasard dans son compartiment dédié dans ma bibliothèque, parce que. Et nous voici pour en parler, en faisant comme d’habitude l’impasse sur la parcelle de roman qu’il contient, puisque malheureusement, je n’ai pas les numéros suivants. Pas de Poul Anderson et ses conquérants de l’enfer pour le moment. Dommage !
Trêve de bavardages. On est ti-par.
Visitation, Josephine Saxton
Un texte qui commence comme un récit d’horreur psychologique pour ensuite embrayer sur un étrange mais pas déconnant du tout mélange de fantastique et de SF, avec comme fil conducteur une exploration de la maladie mentale en générale, de la dépression en particulier. Forcément, étant concerné, cet écho m’a parlé, et j’ai passé un très bon moment de lecture, surtout grâce à l’aspect le plus métaphorique du récit, qui pour moi est son plus gros atout. Certes, j’ai trouvé la chute un poil décevante, mais c’est surtout parce que quand on parle de ces sujets là, j’aime surtout qu’on finisse sur une note d’espoir ; le choix de l’autrice d’aller dans une direction très matérialiste pour entretenir le flou fantastique n’est certainement pas mauvaise, juste déprimante de lucidité froide. Il n’empêche que c’est formellement et conceptuellement vachement bien tenu, donc je ne peux décemment pas me plaindre. Très bonne entrée en matière.
La souris, Howard Fast
Deuxième rencontre avec cet auteur, déjà rencontré dans le n°72. Et cette fois aussi, même si c’est avec moins d’enthousiasme que lors de la première, le résultat est positif. Concept sympathique : de minuscules aliens viennent conférer l’intelligence à une souris sur notre planète. Mais là où une telle prémisse aurait sans doute été prétexte à des bêtises humoristiques chez d’autres auteurices, Howard Fast ici prend un contrepied séduisant, avec ce qui s’apparente finalement à un conte scientifico-philosophique pas dénué de profondeur. Alors certes, à mes yeux, c’est peut-être un poil trop démonstratif, mais demeure que la réalisation est bonne et s’appuie sur des idées vraiment sympas. Mon seul réel regret, c’est que je ne crois pas avoir complètement compris la chute.
La sorcière du marais, Theodore Sturgeon
Note en préambule, avec une anecdote vraiment intéressante narrée par Alain Dorémieux, si les initiales ne me trompent pas. Initialement publiée en 1942, cette nouvelle n’est pas réellement à mettre qu’au crédit de Theodore Sturgeon. En effet, il l’a coécrite avec un certain James H. Beard, indiqué comme co-auteur dans la version originale de ce texte ; considéré comme ayant de bonnes idées mais trop faible dans leurs rédactions par son patron dans la revue Unknown pilotée par John W. Campbell, et nécessitant donc le soutien d’un auteur de meilleure qualité. Je n’avais aucune idée que ce genre de pratique pouvait exister, je trouve ça assez incroyable. Et donc, nous voilà 30 ans plus tard, avec cette nouvelle uniquement attribuée à Sturgeon par la rédaction de Fiction, qui estime que le texte lui appartient en plein, parce que son expression est trop unique et qu’il s’est clairement approprié les idées de base de Beard pour en faire les siennes. Je vous laisse juge de la question, mon avis n’est pas complètement fait, personnellement.
Ceci étant dit.
Theodore Sturgeon : le GOAT. Ah, iels sont pas nombreux·ses, sur Terre, cielles qui peuvent se vanter de me mettre des baffes avec une telle intensité et une telle régularité que ce monsieur. Le pire, c’est que c’est même pas uniquement conceptuel : ça ne tient, systématiquement, qu’à la pure qualité formelle de ce qu’il propose. Certes, il déroule ponctuellement des idées vraiment stylées, ou démontre une ouverture d’esprit et une modernité confondantes – je pourrais parler des heures de ce qu’il fait dans Le Singe Vert par exemple – mais c’est surtout la manière dont il articule ces idées et ce qu’elles signifient qui me rendent béat d’admiration à chaque fois. Qui m’empêchent de choisir entre toutes ses qualités majeures pour réussir à en choisir une qui surpasserait un peu les autres.
Sa sensibilité, la qualité organique de son écriture, sa capacité à rendre à la fois crédible, drôle, touchante le moindre de ses dialogues ou les pensées de ses personnages, d’articuler l’ensemble pour que même les saillies les plus vieillissantes de ses récits soient teintées d’une bienveillance indéniable, lui donnant envie de tout lui pardonner ? Peut-être.
Demeure que je comprends désormais beaucoup mieux pourquoi l’une des anthologies qui lui avait été consacrées avait été titré Les enfants de Sturgeon ; je n’apprends rien à personne en arrivant aussi tard à la fête, mais Theodore Sturgeon est sans doute à mes yeux – pour l’instant du moins – l’ultime écrivain de l’enfance. C’est sans doute ça qui nourrit son regard à la fois tendre et brut sur le monde, capable d’autant de douceur que de constats lucides sans jamais se départir d’une réelle gentillesse : un regard enfantin. Tout à la fois naïf et à qui on ne peut pas indéfiniment mentir sans se faire attraper.
C’est tout ce qui s’exprime ici. Dans cette histoire de papa qui raconte comment lui, sa femme et surtout sa petite fille, ont dû affronter une méchante sorcière dans un marais. Et ce serait peu dire que d’affirmer que cette petite fille vole la vedette à tout le monde. Ses dialogues comme ses actions réussissent l’exploit d’être à la fois espiègles, malins et infantiles sans jamais tomber dans le cliché de l’enfant trop précoce pour être réel. Et à une autre échelle, le texte réussit lui aussi à être tout à fait organique tout en étant extrêmement littéraire sans jamais trop verser d’un côté ou de l’autre, avec des formules stylisées qui claquent tellement qu’on ne prend même pas le temps de s’interroger sur leur juste place dans un discours narré comme celui là à la première personne.
Sturgeon fait partie de cette classe à part d’auteurices pour qui l’hyperbole est autorisée. J’ai envie de tout lire de lui. Pour le plaisir de le lire, d’abord, mais aussi et surtout, ensuite, pour le plaisir de le partager. Partout, tout le temps, avec tout le monde. Subtil et implacable génie.
La dernière volonté, Piero Prosperi
Huh.
Je ne sais pas trop quoi penser. C’est très court, cette histoire d’un condamné à mort du futur qui n’attendait rien d’autre que sa sentence, accompagnée de sa très particulière dernière volonté, et en même temps, ça traîne juste ce qu’il faut pour créer un sentiment d’attente un peu fiévreux… Jusqu’à une chute… Une chute. C’est pas mauvais, c’est pas particulièrement enthousiasmant non plus, mais ce petit texte jouit quand même d’un certain pouvoir déconcertant. Je réserve mon jugement ; y a de l’idée, c’est certain, j’ai juste un doute sur l’exécution. (Roh, je suis drôle sans le faire exprès, dites.)
Les oiseaux ne savent pas compter, Mildred Clingerman
Encore une deuxième rencontre, et dans le même numéro que pour le comparse plus tôt ; notr-euh-monde-est-touuut-petiiiit !
Et encore une fois, me voilà conquis. Peut-être pas au même point que la fois précédente, étant un chouïa moins séduit par le fonds du texte, mais pour le reste, le délice est similaire. Entre l’intro qui m’a fait joyeusement glousser et le ton très décontracté de la nouvelle, on est là sur du divertissement éclairé de haute qualité : sans vouloir trop m’avancer avec seulement deux textes à son actif dans mon catalogue, Mildred Clingerman me semble tout de même préfigurer tout un courant de littérature féministe joyeusement décomplexé et émancipatoire (dans le contexte de la sortie dudit texte, toutes proportions gardées).
Je note ce nom pour plus tard, je vais peut-être le chercher autant que d’autres dans les sommaires de mes prochains numéros.
Et voilà pour les textes. Petit numéro, morceau de roman que je ne peux pas lire oblige. Heureusement, on a deux rubriques à explorer avant de se quitter. Faites au moins semblant d’être content·e·s, s’il vous plait.
Et voici donc qu’un certain Roland Stragliati nous propose une chronique intitulée Lectures insolites. Vous vous doutez bien que je suis fort curieux devant une telle promesse. Qui se révèlera assez vite semi-creuse, puisque c’est en fait une revue de lectures imaginaires. Avec un titre pareil, j’avoue que je m’attendais à quelque chose un brin plus original. C’est la vieillesse, ça. Je deviens aigri.
Mais bref : L’ombre de l’arbre mort de Marcel Brion semble avoir tout autant fasciné qu’ennuyé le critique. Je n’en suis pas certain, parce que le style dudit critique est assez chargé, pour ne pas dire sacrément ampoulé.
Alors que Le marquis de Bolibar, signé Leo Perutz, lui, mérite d’emblée le titre de chef d’œuvre du roman fantastique. Ç’aurait pu me donner envie si l’auteur de la chronique n’avais pas spoilé 80% de l’intrigue comme un sagouin. Arrêtez de faire ça, vraiment ; vous pouvez chroniquer des œuvres sans en raconter l’essentiel, je vous jure. C’est d’autant plus frustrant quand vous parlez des 20% qui restent avec un air de mystère, comme si vous nous faisiez une faveur, d’ailleurs, je dis ça en passant. Je pense sincèrement qu’on peut plus efficacement parler d’un bouquin – en l’occurrence – en explicitant ses thèmes et ses mécaniques formelles, qu’en expliquant exhaustivement ce qui s’y passe. Mais c’est peut-être que moi, allez savoir. Bref encore.
J’avoue que la Trilogie Noire de Léo Malet, en revanche, me fait désormais sacrément de l’oeil. L’auteur est déjà sur mon radar depuis un bout de temps pour la simple et bonne raison que la figure du détective privé est mon kink littéraire ultime, et qu’il ferait beau voir que je passe outre Nestor Burma dans mon parcours ; surtout quand on sait qu’il y en a un peu dans mon cher Tem des Futurs Mystères de Paris. Mais si ce même auteur s’attaque au fantastique dans son décor parisien habituel, me voilà fort titillé. J’apprends des choses, c’est merveilleux.
On évoque en passant le neuvième tome des aventures d’Harry Dickson, sous la plume de Jean Ray ; un autre nom sur mon radar depuis un bout de temps, avec qui je n’ai pas encore passé le cap. Mais j’en ai dans ma PàL : un jour.
Ensuite, amusante coïncidence puisqu’il me semblent qu’ils ressortent chez J’ai Lu, Roland Stragliati nous évoque plus longuement la saga des Pardaillan de Michel Zévaco. Il s’est quand même enfilé les 10 tomes en un été, qu’il nous dit. Respect. J’apprends à cette occasion que l’œuvre en question a longtemps été éditée et rééditée en souffrant d’énormes coupures et de « simplifications » de la part d’éditeurs souhaitant gagner en rentabilité. C’est pas pour citer un repris de justice, mais quand même : quelle indignité. Heureusement que ce genre de pratique immonde n’est plus monnaie courante aujourd’hui ; et en leur accordant ma confiance pour ne pas commettre la même ignominie, je comprends d’autant mieux la ressortie en poche. Bon, encore une fois, le chroniqueur en dit peut-être un poil trop, mais je lui pardonne, puisqu’il y a 10 tomes, ça laisse de la place ; et que là, quand même, il y met du sien pour donner envie. Je serais curieux, un jour, peut-être. Si j’ai le courage.
Et on parle encore d’une réédition de classique, quoique plus surprenant, avec Fantomas, de Pierre Souvestre et Marcel Allain ! 8 tomes sur 32. Damn. Notre chroniqueur du jour ne prend pas de gants pour dire tout le mal qu’il pense de cette saga populaire, et j’insisterais volontairement sur ce terme, puisqu’il se permet même un tacle assez puant à la « province ».
Derrière, on parle du Musidora de Francis Lacassin sans vraiment d’autre justification que l’envie de l’auteur de l’évoquer ici, ok. Et on fait ensuite le lien avec les Entretiens sur la paralittérature, co-dirigés par ce même Lacassin.
Ce ne serait pas bien passionnant, si ce n’était pour le constat amer que quand même, tous les arts littéraires n’étant pas des romans reviennent de très loin : puisque cette « paralittérature » désigne pêlemêle les romans populaires, le mélodrame, le roman policier, la bande dessinée, le roman-photos et la science-fiction. Je passe sur cette section, mais je constate encore une fois que tout ce qui n’est pas culture consacrée est décidemment, et de manière historique, reléguée à un arrière-plan souffrant d’un dédain et d’un mépris absolument abject.
Revenons en à une autre réédition La reine de Sabbat, de Gaston Leroux ; à la fois seule et au sein dans un ensemble illustré sobrement titré Les chefs d’œuvre de Gaston Leroux. Pas grand chose à dire à propos de Gaston Leroux qui ne soit pas évident, mais il est assez amusant pour moi qui aime bien me plaindre de certaines tendances du monde éditorial de constater qu’elles ont toujours existées, seulement à propos d’autres auteurices que cielles qui ont aujourd’hui droit à ce genre d’attention. Ça m’apprendra à être mauvaise langue, tiens.
Roland Stragliati ne nous conseille franchement pas non plus Lune de Sang de David Case, pas plus que Le repaire du ver blanc de Bram Stoker ; son avis est plus mitigé à propos du travail d’Arthur Machen dans un recueil signé de son nom, Le peuple blanc. Je reste curieux de l’exemplaire anthologique le concernant sorti chez les forges de Vulcain il y a quelques temps et qui traîne encore sur ma PàL. Un jour.
Dans la droite lignée de l’héritage fantastique de ce dernier, on trouvera logiquement un recueil des Mythes de Cthulhu compilés par un certain Rafael Llopis. Loevcraft c’est pas plus ma came que ça, mais c’est toujours fascinant de constater l’ampleur de son succès culturel, au point de voir des ouvrages de langue extra-anglaise anthologiser des récits signés d’autres plumes que la sienne à propos de la mythologie qu’il a construite.
Et enfin, pour finir reparution d’une Anthologie de l’humour noir signée André Breton. Sans même regarder la – prestigieuse ! – liste d’auteurs convoquée pour justifier de la pertinence d’un tel ouvrage, j’avoue que je serais curieux de mettre la main sur un tel ouvrage. En me préparant à salement grincer des dents, parce que je ne me fais pas trop d’illusions, mais quand même.
En somme, une revue littéraire, que cette chronique. Pas bien insolite, mais merci quand même.
Et nous pouvons ainsi passer à notre dernière rubrique, qui est la même mais avec une moustache : la revue des livres, signée cette fois ci par Jean-Pierre Andrevon, qui, si je m’en souviens bien, est mon copain.
Qu’a-t-il pensé de La variété Andromède de Michael Crichton ?
Eh bah il a beaucoup aimé. Et décidemment, oui, j’adore la manière qu’a Jean-Pierre Andrevon d’aborder ses chroniques, avec un œil technique mais très pédagogue dans sa façon d’expliquer son cheminement intellectuel. En ce qui concerne le roman, je sais que Crichton a effectivement une approche hard sf dans la construction de ses romans, ce qui n’est pas forcément ce que je préfère, m’accrochant plus volontiers aux personnages qu’aux concepts. Je serais ici en revanche plus curieux de la construction formelle du roman évoquée par Andrevon, présenté comme un dossier de presse regroupant les différentes interviews et trouvailles d’un journaliste ayant enquêté sur une catastrophe militaro-scientifique. Je suis curieux.
Et enfin, enfin : Le dernier rivage, de Nevil Shute.
On parle ici d’un livre dont la version cinématographique de Stanley Kramer, bien qu’apparemment assez médiocre, lui aurait plus que largement survécu : j’avoue que l’une comme l’autre ne me disent absolument rien. Question d’époque, sans doute.
La chronique commence par un petit détour passionnant autour du concept même de roman atomique, dont le lectorat a pu salement se lasser au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, tant les motifs apocalyptiques et post-apocalyptiques ont pu être surmobilisés ; Jean Pierre Andrevon leur met sur le dos une partie du désamour du grand public pour la SF, et sans me prononcer moi-même sur le sujet, j’avoue que la question mérite sans doute d’être creusée.
Mais revenons au présent roman de la présente chronique. Qui en prend un peu pour son grade, quand même, et avec des arguments assez implacables : ceci explique sans doute cela. Un roman désespéré et trop sidéré par la terreur de ce qu’il évoque pour réussir à en sortir quelque chose. Une sorte de roman symptôme.
La chronique aura sans doute été plus marquante par son détour initial que pour son propos global, et ce n’est certainement pas la faute du chroniqueur. J’ai appris quelques trucs, c’est toujours ça de pris.
Mais en tout cas, Jean-Pierre Andrevon, c’est toujours mon copain.
Un très bon numéro ! Voilà.
Qu’est ce que j’aime cette revue.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

Je ne sais pas si ça te prend moins de temps, mais le plaisir est palpable ! Et là technique de la pioche au hasard donne parfois de belles surprises.
Tant d’autrices et d’auteurs inconnus pour moi, ça me donne le vertige. Névrose, névrose.
Le mot de la fin : Sturgeon !!!
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Sturgeon.
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Passionnante, cette plongée dans un (lointain) passé. Surtout quand on peut poser un regard distancié sur certains avis (Fantomas, par exemple).
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Merci !
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Il a l’air bien sympa ce numéro 🙂
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