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Chlorine, Jade Song

catch these fists – Wet Leg (extrait de l’album moisturizer)

Raaaaah.
J’ai pris l’habitude de dire qu’entre Argyll et moi, maintenant, c’est 50/50. Et du coup, j’ai beau savoir que je prends systématiquement un risque en m’emparant d’une de leurs publications, j’arrive toujours à être surpris. Et ici, initialement séduit par la simple promesse d’une reprise très moderne de la figure de la sirène, une fois arrivé au bout de ma lecture, je me retrouve dans la situation rare et toujours aussi difficile où je vais devoir tenter de rendre compte d’un sentiment qui n’est encore pas clair pour moi. Comme pour Toi l’Immortel, je serais incapable d’inscrire Chlorine dans mon barème de notation habituel d’une manière un tant soit peu satisfaisante ; tous les compliments qui pourraient me venir à propos de ce roman me semblent contenir en eux-mêmes les arguments de leur réfutation, de la même manière que les reproches qui pourraient leur être opposés.
Ce roman m’a paumé. Je ne sais pas quoi vraiment en penser.

Conceptuellement, c’est super cool. Créatif et original, une proposition vraiment neuve autour d’une figure mythique aussi puissante que paradoxalement éculée, et mine de rien assez peu convoquée dans le paysage imaginaire contemporain ; je ne peux que saluer l’ambition de Jade Song d’aller faire couler une eau nouvelle sous ce pont. De même que je ne peux qu’admirer le positionnement générique et thématique impeccable de l’auteurice, situant son récit à l’intersection quasi parfaite des deux extrémités du spectre fantastique tel que je le conçois ; entre matérialisme et symbolisme. Avec cette histoire de jeune nageuse prodige dont la passion vire progressivement et toxiquement à l’obsession à cause d’un environnement néfaste, Jade Song parvient tout à la fois à nous offrir un portrait intime et social de son héroïne, abordant des aspects personnels et plus collectifs de sa trajectoire, dans une synthèse assez phénoménale. L’idée même de raconter la vie d’une jeune femme sous le prisme du body horror le plus quotidien, même à d’aussi petites touches qu’ici, je trouve sincèrement que ça touche au génie.

Mais paradoxalement, c’est là que je suis mis en difficulté au moment de la rédaction de cette chronique ; j’ai beau avoir identifié au fil de ma lecture un paquet d’éléments de construction narrative assez bluffant d’efficacité et de subtilité, qui permettent à l’auteurice de faire passer ses réflexions et images sans jamais risquer l’indigestion, il n’empêche que je n’ai jamais réussi à m’enthousiasmer pour ce que je lisais. Et je serais bien en peine de vous expliquer exactement pourquoi j’ai ressenti comme un mur invisible entre nous, en tout cas pas sans me donner l’impression d’être une sorte de monstre d’insensibilité et de distance prétentieuse.
Je pourrais me dire que c’est pour partie à cause de l’écriture de Ren, notre héroïne, par moments très froide elle même, très distante avec l’humanité, pour qui elle éprouve très clairement un dédain et un mépris assez violents. Sauf que c’est justifié dans le texte, et pas qu’un peu : cette distance dans l’écriture, elle fait sens et en rajoute en creux à tout ce que raconte l’auteurice au travers de son personnage.
Je pourrais me dire que c’est à cause de l’écriture franchement rigide et trop informationnelle des lettres ponctuant le récit. Sauf qu’honnêtement, je sais que j’ai un réel problème avec l’écriture épistolaire dans les romans quand elle n’est pas absolument impeccable, alors je suis obligé de revoir mes exigences à la baisse pour ne pas me donner l’impression d’être trop dur ; d’autant que là aussi, ces lettres servent un objectif bien trop important à l’aune du texte tout entier, en apportant une perspective essentielle à la bonne compréhension de l’ensemble de la narration.
Je pourrais imaginer que c’est encore une fois parce que ce texte, comme beaucoup d’autres œuvres ces derniers temps – et j’ai bien conscience de salement me répéter, ici – me paraît trop mettre en scène les conditions de l’oppression qu’elle dénonce par rapport à ce qu’elle offre comme solutions à cette même oppression… Mais pour une fois, je trouverais ça vraiment injuste de ma part, parce que le texte opérant en même temps sur les plans métaphoriques et matériels, en réalité, illustre à sa manière les voies à explorer pour sortir des horreurs qu’il nous fait lire.

Ce texte est une somme. Une synergie bouillonnante d’un nombre effarant de frayeurs, d’angoisses, de frustration et de rage, s’additionnant furieusement pour arriver à un résultat fascinant, quasi hypnotisant. Entre l’usage permanent du foreshadowing et de l’ironie dramatique issu de l’adresse directe du personnage principal à notre encontre, je trouve très difficile de seulement envisager d’abandonner un roman pareil ; sa finalité paraît très vite trop importante pour seulement envisager de ne pas aller au bout. En tout cas c’est ce que j’ai ressenti : il fallait que je sache. Ça aussi, c’est à mettre au crédit de Jade Song.
Et pour autant, là non plus, sans estimer que le roman m’a trahi ou n’a pas fait un travail honnête, je n’arrive pas à ressentir autre chose que de la frustration en repensant à mon parcours de lecture jusqu’à sa conclusion. Et là où d’ordinaire, je serais capable d’au moins projeter ce que j’aurais voulu depuis la promesse que j’avais comprise comme m’étant formulée par l’introduction du roman, ici, je sèche. Ironiquement, sans doute, parce qu’en fait, j’avais parfaitement compris et anticipé ce que le roman voulait me dire ; sans toutefois parvenir à me satisfaire de ce qu’il m’a donné. Alors même que d’habitude, encore une fois, établir ce genre de complicité avec un roman, c’est la garantie d’un grand sourire sur mon visage en captant qu’on avait effectivement tissé un lien de confiance. Et ici, rien d’autre qu’un grognement de frustration, dont je ne saurais absolument pas vous donner l’origine ni les motivations.
Je ne comprends pas.

Tous les ingrédients d’un roman fantastique qui devrait me plaire : un concept ultra solide, de la profondeur dans l’exécution et de la suite dans les idées, de la colère aussi justifiée que bien mobilisée, un rythme efficace… Tout était là.
Et pourtant, me voilà devant vous, les bras ballants, la mâchoire serrée et l’œil vitreux. Je ne pourrais pas honnêtement dire que j’ai aimé ce bouquin ou sa lecture, et pourtant, je sens très bien que je serais capable d’en parler pendant des heures.
C’est…
Je sais pas.
Raaaaah, donc.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

8 comments on “Chlorine, Jade Song

  1. Avatar de Celestial Celestial dit :

    C’est rare qu’un roman nous déstabilise à ce point ! J’ai eu la même expérience en lisant, il y a quelques années, La maison dans laquelle, qui m’avait fasciné.

    Aimé par 1 personne

  2. Raaaaah aussi ! Il est sur ma table de nuit et je ne l’ai pas encore ouvert, car il me fait un peu peur. Tu ne me rassures pas vraiment…

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Laird Fumble Laird Fumble dit :

      Désolé !
      À en croire les autres retours sur ce bouquin, je suis quand même clairement dans la minorité, ça devrait aller.

      J’aime

  3. Avatar de Symphonie Symphonie dit :

    Je ne l’avais pas noté plus que ça, mais là, j’avoue que tu m’intrigues^^ A voir à l’occasion 🙂

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  4. Avatar de tampopo24 tampopo24 dit :

    Je viens de le terminer et pour un premier roman j’ai beaucoup aimé la plume assez fine de l’autrice, mais en même temps, elle me laisse sur ma faim, manquant de punch et de crudité quand il le faudrait à part une certaine scène. On me l’avait vendu comme du body horror. Je m’attendais à quelque chose de punk à la Caussarieu. C’est plus aérien, plus éthéré, peut-être plus proche de sa culture asiatique. En tout cas, j’ai aimé tout ce qu’elle dénonce, c’est juste la forme et l’intensité qui sont perfectible pour moi ^^’

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Laird Fumble Laird Fumble dit :

      Tu mets peut-être le doigt sur ce qui m’a manqué à moi aussi.

      Aimé par 1 personne

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