
We Don’t Have To Dance – Andy Black (extrait de l’album The Shadow Side)
Not But Disco – KARDI
Quand on peut compter parmi vos romans favoris de tous les temps Outrage et Rébellion ou Rêves de Gloire et que vous préfacez toutes vos chroniques par une ou plusieurs chansons, on peut facilement deviner deux trois petites choses sur vous en tant que lecteur. Typiquement : la musique est une part essentielle de ma vie, et elle constitue, en tant que sujet, un kink littéraire très puissant pour moi, au même titre que la figure du détective privé. C’est pas forcément la garantie qu’un bouquin me plaise à fonds, mais c’est quand même un très bon début.
Alors forcément, quand ma copine m’a expliqué avoir adoré le bouquin qui nous concerne aujourd’hui, je l’ai interrompue alors qu’elle ne m’en avait expliqué que le strict minimum, afin d’être sûr de pouvoir le lire moi-même aussi vierge que possible de toute information.
« L’histoire d’un groupe de musique mythique fictif », ça me suffisait pour savoir qu’a minima, je voulais savoir.
Maintenant je sais. Ce bouquin est absolument formidable. Et ça va être encore une fois compliqué de vous expliquer précisément pourquoi. Mais essayons quand même.
Bon. J’ai cité Outrage et Rébellion dès l’intro de l’intro, et ce n’est pas un hasard. Sans parler de réel et avéré lien de parenté entre le roman légendaire de Catherine Dufour et celui de Taylor Jenkins Reid qui nous concerne présentement, je ne peux pas faire comme si l’ombre du chef d’œuvre suscité n’avait pas immédiatement et irrémédiablement plané sur ma lecture. Trop de proximités thématiques et surtout formelles pour que je puisse même faire semblant de ne pas trouver des liens à tracer entre les deux ouvrages. Pour tout dire, en relisant ma chronique d’Outrage et Rébellion, j’y ai trouvé beaucoup de compliments que je pourrais adresser quasiment à l’identique à Daisy Jones & The Six. Et ça m’embête, parce que je n’aime pas trop me répéter ; ça me donne l’impression de tomber dans une forme de facilité. Mais bon. Les deux romans se ressemblent, c’est quand même pas ma faute. Même narration par témoignages interposés, même structure biographique linéaire, même thème centrale, même ambiance sexe drogue et rock’n’roll… Quand c’est là… C’est là.
Mais puisque je dis ça, et même si je n’aime pas trop hiérarchiser mes lectures, je dois bien dire que la comparaison était inévitable dans mon esprit au fil de ma découverte, et qu’Outrage et Rébellion n’a jamais cessé de garder l’avantage ; mon goût prononcé pour l’Imaginaire et la plume sardonique de Catherine Dufour étant bien trop puissant pour que je puisse en faire la moindre abstraction.
Ceci étant dit ; le fait que j’ai absolument kiffé Daisy Jones & The Six en dépit de cette comparaison défavorable constante devrait, je pense, constituer un témoignage encore plus efficace de sa qualité. Et maintenant, on va pouvoir en parler, de cette qualité.
Depuis Cimqa, j’ai consacré dans mon esprit l’idée que ce que j’aimais lire par dessus tout, c’étaient « des gens qui n’existent pas qui existent ». Et bon, vous l’aurez deviné, c’est exactement ce que m’a servi Taylor Jenkins Reid, ici. Et ça tient à trois facteurs tout bêtes, mais qui mis ensemble, créent une jolie convergence synergétique.
Le premier, comme je l’ai cité plus haut, c’est la forme du roman, toute en témoignages croisés. À chaque situation, à chaque anecdote, on a des points de vue différents qui s’affrontent ou se complètent, qui confèrent à l’ensemble un sentiment de réalité, par la contradiction et la nuance. En nous donnant à lire des gens qui ne savent pas tout les uns des autres, qui rendent compte avec sincérité et une relative honnêteté de ce qui a pu leur arriver, le roman nous permet de dresser un portrait de groupe rempli de trous et de zones d’ombre sur lequel chacun·e pourra dresser son propre jugement, en fonction de sa propre sensibilité et de son rapport intime aux problèmes rencontrés par les personnages.
Le deuxième, c’est l’ancrage historique assumé et très réussi choisi par l’autrice. Simplissime, encore une fois, mais vraiment bien fait : les trajectoires des Six ou de Daisy Jones s’inscrivent dans un paysage culturelle et historique qui nous est familier, et qui nous permet instantanément de les situer, sans nécessité d’en rajouter. Dès lors, les images et les sons, sans réellement exister, évidemment, convoquent néanmoins des éléments avec lesquels on a déjà l’habitude de composer, facilitant d’autant plus la composition mentale des tableaux que nous peint Taylor Jenkins Reid. Et puisque l’environnement nous apparait facilement, les interactions qui en découlent sont d’autant plus simple à imaginer et à ressentir.
Le troisième, peut-être un peu moins simple, quand même, c’est la qualité de l’écriture de la musique au centre des différentes intrigues qui meuvent ces personnages. Un truc très compliqué, quand même, quand on écrit des histoires sur des artistes fictifs, surtout quand on les représente comme des artistes majeurs, c’est de rendre compte avec succès de leurs réussites. Alors certes, on peut rester flou et juste balancer des images nébuleuses, histoire de préserver une certaine mystique et s’éviter de décevoir en ne sachant pas se hisser au niveau promis par la narration ; et franchement, dans 90% des cas, c’est sans doute la meilleure solution. Mais ici, l’autrice nous donne régulièrement des extraits des textes écrits par Daisy Jones et Billy Dunne, le leader des Six, et ils tabassent. Sans rire ; les punchlines que s’est permis d’écrire l’autrice me semblent être de qualité. Et comme ces paroles sont toujours en lien avec les émotions les plus crues de ses personnages principaux, ainsi que leurs difficultés à les accepter et/ou les surmonter, elles sont d’autant plus puissantes. On lit ces personnages s’écrire eux-mêmes, au travers de leur art, et ça rend l’ensemble encore plus sensitif pour nous, assez paradoxalement.
Tout ceci étant dit, ce serait mentir de dire que les personnages sont la seule et unique raison de mon appréciation pour ce roman. Je veux dire, oui, j’ai adoré lire ces gens un peu cassés, un peu égoïstes, un peu hypocrites, mais juste assez peu pour demeurer avant tout très humains et organiques, avec plein d’autres qualités liées à leurs fêlures respectives, ce genre de cocktail concret qui fait qu’on s’attache et qu’on veut savoir ce qui leur est arrivé. C’est vrai.
Mais ce qui m’a accroché, bien au delà de tout le reste, c’est quand même la musique. Une musique qui n’existe même pas, c’est terrible. Mais qui existe, donc, d’une certaine manière. Entre les extraits de texte qui résonnent merveilleusement de l’écho de leurs naissances aux mains de leurs auteurices intradiégétiques et le rendu précis des processus de leurs enregistrements au fil du récit, j’avais l’impression que je n’avais qu’à faire une recherche sur le net pour retrouver les morceaux signés de Daisy Jones & The Six. Et je vais être tout à faire sincère : le fait que ce ne soit pas réellement possible me fout un seum intersidéral. Dès lors, comment pourrais-je qualifier un bouquin qui parvient à me donner envie d’écouter une musique qui n’existe pas autrement que comme foutrement excellent ?!
Je vais vous dire : si des artistes de talent se donnaient comme mission de donner vie à l’album Aurora tel que raconté dans ce bouquin, je paierais mon dû avec diligence. Sans aucune précaution préalable. J’ai aimé l’expérience à ce point. Parfaitement.
Formidable roman. Pure expérience émotionnelle et sensorielle. Si vous aimez la musique et les bonnes histoires, avec d’excellentes personnages pour faire le liant entre les deux, c’est un home run garanti. En tout cas, pour moi, il ne fait pas l’ombre d’une doute que l’autrice a réussi avec ce roman quelque chose de spécial, et ce avec un brio assez confondant. Il n’est pas aisé de rendre compte de la vie d’un groupe musical aussi dense et complexe que Daisy Jones & The Six, surtout en considérant qu’il a fallu l’inventer de toutes pièces, textes en supplément, mais Taylor Jenkins Reid y est parvenue.
Chapeau bas.
Je vais peut-être même tenter le reste de sa production, tiens.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. Et de bonne musique. 😉
