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Le Déchronologue, Stéphane Beauverger

Overboard – Poets of the Fall (extrait de l’album Signs of Life)

Il y a des bouquins dont on sait qu’ils ont été importants, au moment de les refermer, et dont on sait de fait qu’on ne les oubliera pas de sitôt. Et à l’instar d’une Horde du Contrevent ou d’un Rama, Le Déchronologue a fait partie de ces bouquins lus sans doute un peu trop tôt dans mon parcours, mais paradoxalement au meilleur moment possible, pour me donner mes premiers émois littéraires. Ces mêmes émois me faisant me rendre compte de ma passion naissante, les premières braises dans le feu qui aujourd’hui m’anime. Et si certaines de ces braises peuvent parfois provoquer en moi des souvenirs et émotions contradictoires, il demeure qu’elles demeurent essentielles ; c’est pourquoi en dépit du temps passé et de la vivacité mouvante de ma mémoire, je suis toujours un peu curieux de me replonger dans leur lecture : histoire de voir ce qui a changé en moi et dans mon rapport à ces œuvres.
Le Déchronologue, ç’a été une baffe conceptuelle, à l’époque, avant toute chose, un roman si singulier et si audacieux, formellement, que j’en avais encore un souvenir global assez net. Il m’était si durablement gravé au fer rouge, sous certains de ses aspects, que j’ai depuis longtemps renoncé à l’idée même de pouvoir l’aborder de nouveau de façon parfaitement vierge. Pour être honnête, j’ai même songé à le lire dans le désordre, et donc dans l’ordre chronologique des chapitres. Histoire de voir ce que ça pourrait donner. Et puis j’ai renoncé, parce que je voulais quand même retrouver un peu de cette première découverte naïve de l’époque, pour en extirper une vision aussi honnête et transparente que possible.
Le constat est sans appel : j’ai effectivement suffisamment changé pour que mon regard sur ce roman ne soit plus vraiment le même. Je n’aurais pas les mêmes débordements enthousiastes et fiévreux qu’à l’époque de sa première lecture ; mais il n’empêche que ce roman est toujours un exploit littéraire de premier ordre à mes yeux.
Explorons donc ça en détails.

Le Capitaine Henri Villon sait qu’il va bientôt mourir ; il en profite pour mettre la dernière main à ses mémoires, narrant ses aventures dans les mers des Caraïbes, déchirées par les affrontements entre Espagnols, Natifs sud-américains, Français et Anglais, sans parler des étranges visiteurs d’un futur incertain. Au fil décousu de ses chroniques, c’est autant sa vie que son monde que nous découvrons, allant de surprise en déconvenue.

C’est un peu rigolo que je relise ce roman, là maintenant, probablement arrivé au pic de mon agacement envers l’idée d’une narration chronologiquement éclatée, pouvant me gâcher des novellas ou romans entiers par une application que je peux si souvent et facilement trouver malavisée. Et j’y ai réfléchi, encore une fois, au fil de cette relecture : pourquoi, là, ça passe pour moi, alors que si souvent, je me lasse si vite de ce procédé ? Je me suis creusé la tête, à un moment. Pas très longtemps, il est vrai, mais il a quand même fallu que je le fasse : il est vrai que la frontière est fine à mes yeux. Le moindre déséquilibre coupable est souvent synonyme de frustration, encore faut il que j’arrive à identifier proprement ce qui peut constituer ledit déséquilibre, ou au contraire, des éléments de consolidation du récit, rendant son éclatement non seulement compréhensible ou digeste, mais même meilleur.
Ici, la réponse est double, je crois. D’un côté, on a un récit qui traite frontalement du temps et de sa manipulation : quelque part, il est donc presque cohérent qu’une réalité éclatée soit narrée d’une façon rendant compte de cet éclatement. Soit, mais même cet argument ne serait que technique et plus stylistique que dramaturgique, si j’ose dire ; il faut encore que la réalisation et le rythme soient à la hauteur, derrière, pour soutenir une telle agression des conventions narratives les plus basiques. Le second aspect de la réponse tient alors, je pense, au fait que Stéphane Beauverger profite de cet éclatement pour nous donner tous les éléments de son intrigue de la façon la plus pratique, et ce d’une façon que je trouve particulièrement élégante.
Là où un récit tiré sur une trame classico-classique, de façon linéaire, aurait nécessité des tunnels d’explications techniques ainsi que des rappels ponctuels aux événements passés précédemment dans le roman, son éclatement chronologique permet à l’auteur de nous balancer toutes ses infos d’une façon nettement plus naturelle et directe, il me semble. Qui plus est, cela permet à Stéphane Beauverger de rythmer son roman autour d’une certaine gradation dramatique, ou du moins de s’éviter des écueils à certains moments du récit qui auraient trop facilement pu passer comme ennuyeux ou longuets les uns à la suite des autres. Il est assez impressionnant, finalement, de constater qu’en dépit de la forte présence de prolepses et d’analepses nous dévoilant progressivement énormément d’aspects du récit, on arrive régulièrement à être surpris par le déroulé des événements évoqués au moment où ils arrivent finalement, sans jamais paraître malhonnêtes. Quelque part, l’auteur parvient à systématiquement déplacer les enjeux de là où on pense les trouver à là où ils parviennent à se nicher. Et de fait, si j’avais retenu énormément d’aspects du récit, j’ai réussi à encore être surpris par certains événements, retrouvant ponctuellement le même frisson qu’à l’époque de ma découverte première.

Et c’est là que j’aborde ce qui a partiellement changé pour moi : si j’ai développé mon esprit analytique, trouvant donc de nouvelles façons de me réjouir à la lecture d’un roman si audacieux, j’ai aussi développé une réticence nouvelle à l’usage trop poussé du style. Et bon : force est de constater qu’Henri Villon, il a une certaine tendance au verbiage. Pas que ce soit indigeste, dans l’ensemble, hein, loin de là ; il y a même beaucoup de magnifiques occurrences dénotant d’un exceptionnel sens de la formule. Non, c’est juste que parfois, quand même, je trouve que ça se laisse un peu aller à faire des phrases pour le principe de faire des phrases. C’est joli, hein, ça parle très bien et ça ajoute à l’ambiance caribéenne XVIIe Siècle ; mais ponctuellement, à force d’ajouts de mots les uns aux autres, il a fallu que je me reprenne un peu pour garder complètement la tête dans ce que je lisais. Voilà, ça c’est pour le pinaillage traditionnel ne dépendant que de mes préférences purement personnelles : j’aurais peut-être enlevé un peu de gras çà et là histoire de garder le récit pleinement sur ses rails et lui assurer une pleine et entière efficacité.

Ce qui n’empêche pas qu’en raison de sa construction audacieuse et de son style très appuyé, j’ai compris à la relecture pourquoi exactement ce Déchronologue était et sera toujours un roman essentiel. Enfin compris… Disons plutôt que j’ai reverbalisé une évidence qui vaut le coup d’être exprimée encore et encore : ce roman est absolument et complètement unique. Une explosion synergétique intemporelle, oserais-je, s’il me prenait l’envie de faire des phrases, moi aussi. Et j’ose.
Pris individuellement, la plupart des éléments de ce roman sont cools, bien que probablement préexistants, à quelques détails près, certes. Mais sur chacun de ces éléments, Stéphane Beauverger a su imprimer sa patte et son regard ; une approche neuve et singulière. À l’image de son Fèfè de Dieppe, ce roman est un fier amalgame d’idiosyncrasies (j’adore ce mot) parvenant à tenir debout, contre vents et marées. Plus j’y réfléchis, et plus je me dis que ce roman ne devrait certainement pas fonctionner aussi bien qu’il le fait. Pour tout dire, je me dis que si j’ai autant trainé à le relire en dépit de mon respect latent pour lui, c’est peut-être bien parce que j’avais la triste conviction qu’il ne passerait pas l’épreuve du temps. Ce qui aurait été foutrement ironique, il faut bien le dire.
Et non, au contraire, je crois bien qu’en dépit de mes réserves nouvelles, aussi faibles soient-elles, mais nouvelles néanmoins, mon admiration pour ce roman a grandi, depuis la première fois. Parce qu’à l’époque, j’ai simplement été ébloui par la manœuvre conceptuelle, par la claque de la nouveauté et de l’audace flamboyante : désormais, en plus, je discerne la maîtrise et l’intelligence dans l’exécution. Et cerise sur le joli gâteau : je trouve que la représentation féminine du roman, bien que logiquement et regrettablement discrète, a tout de même super bien vieilli. Ça compte aussi à mes yeux.

Bref bref bref : Le Déchronologue, il reste bien au chaud dans ma bibliothèque, aucune chance de le désavouer. Non seulement je sais pourquoi ce bouquin est essentiel dans mon parcours, mais en plus j’ai le plaisir infini de pouvoir continuer à en dire tout le bien du monde sans aucune arrière-pensée ou regret. Ce qui n’est pas un luxe si courant que ça pour mes relectures, expliquant sans doute que je les espace autant. Ici, on a un concept ambitieux servi par une réalisation non moins ambitieuse, magnifié·e·s par une synergie exceptionnelle, pour un résultat proche de la perfection. En toute sobriété : je me dis que ce bouquin a plus ou moins profité d’un alignement astral pour exister.
Tout ça pour dire que comme à l’époque de ma première lecture, j’ai une terrible envie de me jeter sur la trilogie Chromozone pour (re)voir de quel bois elle est faite, après avoir constaté l’excellence de ce roman délicieusement unique. Excellent bilan.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

5 comments on “Le Déchronologue, Stéphane Beauverger

  1. tampopo24 dit :

    Tu m’as beaucoup fait rire avec ton propre verbiage dans cette chronique riche et dynamique, me donnant envie de sortir des abîmes de ma PAL ce roman qui m’a si longtemps fait peur. J’aime les titres qui ont du style, j’aime les titres originaux, je devrais passer un bon moment avec lui. Reste plus qu’à lui trouver un créneau !

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Bon, j’avoue, je me suis peut-être un poil laisser emporter. 😀

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      1. tampopo24 dit :

        Mais cet enthousiasme est la preuve que la lecture t’a beaucoup plu et marquée !

        Aimé par 1 personne

  2. Lullaby dit :

    Un roman qui dort honteusement dans ma PAL depuis des lustres…. Mais vu que tu l’as apprécié lors de cette nouvelle lecture, je fais bien de le garder au chaud. Je sens que le voyage sera exceptionnel, avec celui-ci !

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      C’est tout le mal que je te souhaite. ❤

      Aimé par 1 personne

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