Les gradins commençaient à peine à se remplir, et De’Rel en avait déjà marre. Il s’était levé avec la certitude qu’il allait détester cette journée, et elle avait passé toutes les heures suivantes à lui donner raison. Comme tous les jours de rencontre, il s’était réveillé et levé tôt, juste à cause de l’angoisse que cela lui causait, par pure anticipation. Comme à chaque fois, il avait passé la moitié de son temps disponible, maussade, à ressasser ces années passées, à se demander ce qu’il avait bien pu rater pour en arriver là. Un manque d’ambition, de discipline, d’opportunités ? Et toujours le même constat amer, celui de se dire qu’il n’en saurait jamais rien, et qu’il fallait simplement faire avec.
Son seul vrai talent était d’avoir une sale gueule, et une carrure naturelle rare pour un Elfe Noir, qui intimidait les gens sans avoir à fournir le moindre effort. Il avait beau se plaindre – intérieurement – de son humble statut, il savait bien qu’il n’avait qu’à en prendre son parti. Il demeurait de ceux qui n’avaient finalement pas tant de problèmes que ça. Un boulot stable, un foyer aimant et pas de soucis de santé. Il en croisait des plus tristes, des plus pathétiques que lui dans les travées, même s’il avait un peu honte de devoir en arriver à relativiser sa propre médiocrité par celle des autres.
Mais l’horaire commençait à s’avancer, et il se reprit, bien obligé de faire son travail, trop fier de sa conscience professionnelle. Ce qui précisément lui fit tourner la tête en direction de cet abruti de Piefen, probablement déjà occupé à faire n’importe quoi. Et comme d’habitude, ça ne ratait pas. Il se lança donc dans une rapide course pour aller coller un taquet derrière la tête de son collègue, provoquant l’hilarité de la jeune Orque qu’il était en train d’essayer de draguer, pour le remobiliser sur son boulot. Un grognement, un geste du pouce de sa part, et le jeune imbécile reprit sa place en se massant l’arrière du crâne, plus humilié que réellement endolori. De’Rel était le premier à admettre qu’il n’y avait que peu de risques de voir des incidents se produire aujourd’hui, comme pour toutes les autres rencontres de la saison jusque là, mais ils étaient payés à faire la sécurité, pas du gringue. Sans le quitter de son regard noir, il reprit sa place, dos à l’arène, redoublant d’intensité lorsque Piefen fit simplement mine de se tourner dans le mauvais sens. Heureusement qu’il n’y avait que lui à surveiller pour son inconséquence dans l’équipe, sinon il aurait fallu avoir des yeux dans le dos pour pouvoir réellement prendre garde aux éventuels débordements des supporters.
Heureux aussi qu’il ne portât aucun intérêt au championnat d’Octopointe, qui sinon aurait sans doute été une source de distraction supplémentaire. C’était sans doute ce manque de curiosité qui le rendait si précieux au sein de l’équipe, d’ailleurs, et qui l’avait amené à tenir sa position de chef de l’équipe de terrain. Il n’avait jamais eu envie de se tourner vers l’arène pour y suivre l’action, il préférait largement scruter le public pour y repérer les fauteurs de troubles ou les comportements suspects. Il détenait d’ailleurs le record absolu d’arrestations, resquilleurs, mineurs et individus violents confondus. Pas de quoi être particulièrement fier, ceci étant dit, puisque la plupart de ses collègues demeuraient des amateurs du sport et ne pouvaient s’empêcher, de leur côté, de jeter un œil derrière eux de temps en temps. Ce dont il ne pouvait réellement les blâmer, en passant, quand on savait l’engouement que provoquait l’Octopointe, à l’échelle de l’ensemble des Territoires. Combien d’entre eux avaient pu placer quelques paris astucieux grâce à des détails repérés sur le terrain ?
Mais trêve de considérations personnelles, il était temps de se mettre au travail pour de bon, il n’était pas payé à bailler aux corneilles. Il entama donc son tour de l’arène pour vérifier une dernière fois les blocs de Karélite, par acquis de conscience autant que pour respecter la procédure. Il aimait bien suivre la procédure, ça l’ancrait dans la réalité du moment, ça lui rappelait qu’il était vraiment utile, après tout.
Le premier des huit était juste à côté de lui. Il produisit un peu de magie Energétique, du bout des doigts, pour la voir aussitôt absorbée par le monolithe rougeoyant, aussi grand que lui. Il fallait bien ça pour éviter la moindre interférence magique dans la rencontre. Il s’émerveilla, comme à chaque fois, de voir la rapidité du volute de vapeur blanche à se précipiter à l’intérieur. Le rouge resta profond et mat, à l’exception d’un fugace point flamboyant, là où la vapeur avait trouvé son point d’entrée, signe que la Karélite était encore loin d’être à saturation, et qu’elle pourrait donc, au cas où, jouer son rôle de barrière. Il s’avança donc vers le suivant, et d’une distance un peu plus respectable, répéta l’opération, en rajoutant un peu de volume. Le volute se divisa cette fois, de manière inégale entre celui qu’il avait déjà testé et celui d’après. Cette section de la barrière était en place et fonctionnelle.
Comme à chaque fois, le public repéra très vite son manège, et se mit à chanter et crier à l’unisson, en rythme avec la manœuvre, comme le voulait désormais la coutume. Et comme on lui en avait donné la consigne, il y avait de cela déjà des années, il joua avec eux, retardant ou avançant ses canalisations pour provoquer leur colère feinte ou leur authentique joie. Quiconque se garda bien d’interférer, bien entendu, puisqu’un quelconque retard dans le processus aurait retardé la rencontre, et de ça, personne n’en voulait, surtout pas les organisateurs ou les parieurs, qui jouaient de grosses ressources à chaque fois. Comme souvent, la loi du thauma forçait le respect sur tout le monde.
C’était probablement la partie de son job qu’il appréciait le plus, en dehors des rares moments d’adrénaline où il fallait courir après un contrevenant, même si personne dans le stade ne le reconnaissait pour autant. Mais avoir la majorité du public dans la paume de sa main, à ce moment là, lui conférait une insatiable sensation de puissance que jamais, dans le reste de sa vie, il ne pouvait ressentir. Cela ne devait durer que quelques minutes, le temps de faire le tour complet de l’arène, de bien s’assurer que les blocs étaient capables de subir une bonne charge magique, au cas où. Même si cela faisait bien des années que personne n’avait plus rien tenté au sein d’une arène de la Fédération Inter-Territoriale d’Octopointe, autant pour les risques encourus en cas d’arrestation – la FITO ne rigolait absolument pas – que pour le simple risque de soulèvement populaire en cas de rencontre perturbée. Les émeutes ne profitaient à personne, y compris à la pègre. Criminels, mais pas fous. D’autant que les criminels eux-même aimaient le sport, comme tout le monde. Faire rentrer le crime dans l’Octopointe, ç’aurait été gâcher le plaisir, autant que les profits qui allaient avec. Mais la magie étant une pratique courante, beaucoup de gens avaient tendance à s’oublier un peu et à lancer des sorts, aussi bénins soient-ils, par réflexe ou par habitude ; les blocs étaient plus là pour éviter que les duellistes soient déconcentrés par des flux externes anodins que pour prévenir des tentatives de triche.
Le septième bloc était près de la saturation, un fait rare, qui fit presque rentrer le stade en éruption. Par mesure de précaution, De’Rel fit donc signe à trois techniciens d’aller en chercher un de rechange dans les stocks du stade. Le remplacement suggérait de bouger deux blocs du poids de trois Orcs bien portants sans l’aide d’aucune magie, puisqu’ils l’auraient absorbée instantanément. Cela ne prit que quelques minutes et les bras musclés des jeunes assistants, formés à l’exercice, trop heureux d’être encouragés par la foule, mais poussa la fièvre à son maximum ; les duellistes du jour auraient droit à une ambiance absolument infernale pour leurs entrées.
On vérifia le dernier bloc, le public rugit pour la forme, mais on sentait poindre son impatience. Il était plus que temps que la rencontre ne commence.
De’Rel retourna donc à sa place attitrée, campa ses pieds dans le sable et croisa les bras. Un rapide coup de tête sur sa droite, un autre sur sa gauche, pour s’assurer que ses collègues proches étaient dans le même état d’esprit, même ce couillon de Piefen, qui semblait pour le moment avoir retenu la leçon. Un hochement de tête satisfait, puis il riva les yeux sur les gradins et ouvrit grand les oreilles.
On allait entrer dans le dur, ce pour quoi il était le meilleur, ce qui le faisait aimer son boulot, malgré tout.
Car même s’il n’était pas fan du sport, il lui fallait le connaître par cœur, juste à l’oreille, tandis que ses yeux devaient, eux, guetter les réactions. De par sa nature de sport inter-territorial, toutes les Races pouvaient potentiellement y être représentées, jouant sur de nombreuses sensibilités. Et si les duellistes, pour l’immense majorité, prônaient la bonne entente et le bon esprit, les supporters péchaient souvent par un certain manque de sagesse. Son travail, c’était comprendre ce qui se passait sur le terrain pour éviter que les esprits ne s’échauffent, anticiper les foyers chauds et les bagarres potentielles, pour pouvoir redistribuer les sièges, ou, au besoin, les baffes
Il fallait cependant bien reconnaître à l’Octopointe ses valeurs de respect de l’adversité et de rassemblement, allant bien au delà des petites rivalités mesquines inter-Races. Mais la passion, même commune, a toujours eu une certaine capacité de fascination sur les esprits faibles, qui étaient présents partout, sans exception, et donc aussi dans les stades. Il fallait donc bien des gens pour inculquer ces valeurs aux retardataires de la diligence du vivre-ensemble. Y compris à coup de torgnoles donc ; et De’Rel était de ceux là.
Il tendit donc l’oreille à l’introduction des deux duellistes de la première rencontre, dont les Races respectives lui permettraient d’effectuer un premier tri visuel dans les populations à risque présentes dans sa section des gradins. Il aurait pu l’apprendre avant la rencontre en elle-même, en jetant un œil au programme, mais il aimait trop ce petit jeu, qui conférait un intérêt supplémentaire à son boulot, un petit frisson d’excitation et de satisfaction à travailler son écoute et ses capacités de réflexion. Il osait même penser, par moments, que cette démarche lui permettait de se mettre dans de meilleures dispositions pour repérer certains petits détails, à la faveur de la spontanéité des réactions de ceux qu’il surveillait et de ses propres réflexes. Difficile d’en être sûr, mais puisqu’on lui passait bien volontiers cette petite lubie, contrairement aux autres membres de l’équipe, il devait y avoir un fond de vérité.
En entendant que le premier duelliste était un Gnome, il eût la satisfaction de surprendre, sur sa droite, un peu au dessus de sa ligne de vue, le regard chargé de rancœur d’un spectateur ; un Nain déjà particulièrement aviné. Les relations politiques entre les deux peuples étaient au beau fixe, ce duelliste avait donc dû infliger une déculottée à son champion par le passé. Ou alors il n’aimait pas sa tronche et avait l’alcool méchant. Mais pas ou peu de Gnomes dans le reste du public, donc peu de risques de ce côté là, en toute logique.
Par contre, le second était un Eolien, et bien que cette Race n’ait de problème avec aucune autre en temps normal, la réaction très hostile du stade lui fit comprendre qu’il était très impopulaire, sans doute sur sa réputation propre ou son attitude durant son entrée. Les problèmes viendraient de lui et de ses éventuels fans. Il y en avaient toujours pour se poser à contre-courant pour le principe et appeler ça avoir de la personnalité.
Comme lui, tiens, l’Humain, là haut. Son statut auto-proclamé de libre-penseur était inscrit sur son visage. Au lieu de simplement affirmer son appréciation du duelliste hué par 80% du stade ou la garder pour lui, il préférait lancer des sourires narquois à la ronde et crier « Mais arrêtez ! Vous êtes juste jaloux ! » à qui voulait bien l’entendre. Un vrai diplomate. S’il y en avait bien un à surveiller, ce serait lui, pour sa protection. De’Rel eut un court soupir de mépris.
Les salutations d’usage furent échangées, et le premier parcours commença à être monté par la gigantesque équipe de techniciens du stade, selon les plans fournis par l’un des duellistes en amont de la rencontre. De toute évidence, avec quelques audaces dans sa conception, soulevant des exclamations, pour la plupart ravies, bien que dubitatives. Aussi tôt dans la saison, avec des duellistes peu connus, ou du moins peu reconnus, il était assez rare qu’il se passe grand-chose d’inattendu ; les duellistes avaient tendance à garder leurs plans les plus téméraires pour les phases finales. Mais aucune raison pour De’Rel de ne pas rester sur ses gardes, au contraire ; les surprises sur le terrain avaient tendance à avoir des ramifications parfois étonnantes dans les tribunes. Il eut un petit sourire et se permit de rêvasser un instant, au souvenir de cette Noire-Elfe qui avait perdu les eaux sous le coup de l’émotion de voir son duelliste favori remporter une victoire totalement sortie de nulle part au cours de la saison précédente. Les clameurs et encouragements du public avaient été telles qu’il avait fallu suspendre la rencontre le temps de réussir à l’amener sans trop de heurts dans les vestiaires. Par chance, ou par la grâce des statistiques, un M-médecin se trouvait dans ses parages immédiats et avait pu s’occuper de la naissance du petit. Il avait été présenté au public et avait fait gagner à ses parents des entrées perpétuelles pour toutes les futures rencontres organisées par la FITO.
Le parcours du prisonnier sembla finalement commencer, avec l’Eolien comme meneur d’obstacles, au vu des réactions outrées du public. Il n’avait pas l’air d’être le duelliste le plus propre de la ligue. Même l’Humain, si fier au moment de l’entrée de son champion, évitait de trop faire le malin désormais, laissant même échapper quelques grimaces désapprobatrices devant certaines de ses manœuvres et décisions. Pendant quelques minutes, les réactions de spectateurs oscillèrent entre dégoût et surprise. L’Eolien était retors, mais le Gnome malin, en substance. Il évitait les pièges et avançait vers le couteau sans souffrir des astuces malhonnêtes de son adversaire, ce qui plaisait au public, forcément. Ce fut même très rapide, il trouva le couteau et se défit de sa corde sous des vivats nourris. Retors certes, mais somme toute prévisible, donc. Tant mieux, une épreuve courte signifiait aussi moins de risques de débordements. Si la victoire était claire, moins de raisons de se disputer. On passa donc à l’interrogatoire. De’Rel aimait bien être un peu plus attentif à cette étape, elle ne l’empêchait pas de prêter garde au public, et de toute façon c’était la partie la plus calme de la rencontre. Puisque sans magie, à cause des blocs de Karélite, impossible d’amplifier le son des questions et des réponses des deux duellistes autrement qu’avec des porte-voix installés sur leurs plate-formes respectives. Le public, par respect et pour entendre au mieux, restait donc aussi silencieux que possible. Et puis, ce n’était qu’un questionnaire, après tout, aucune raison de s’exciter plus que de raison. Quand le thème déterminé par le duelliste tombait dans ses rares cordes, il ressentait une certaine fierté à connaître une partie des réponses, malgré son manque d’enseignement, celui là même qui l’avait poussé à devenir un garde de sécurité dans un stade de province. Pas de chance ce soir, la première salve de huit questions concernait un romancier de fiction dont De’Rel n’avait jamais entendu parler. Il ferma donc son attention aux événements de la rencontre pour se concentrer de nouveau sur sa portion de public, non sans se permettre un coup d’œil vers Piefen, par sécurité. Qui bien entendu, avait voulu profiter de l’accalmie pour de nouveau s’approcher de l’Orque qu’il avait essayé de séduire plus tôt.
Deux doigts glissés entre ses lèvres, un bref sifflement aigu, un geste sec de la tête, et le couillon était de retour à son poste, tête basse. Sa crédibilité en prendrait un coup pour ce soir, mais ça lui ferait peut-être rentrer le métier dans le crâne, à force. Il aurait pu être un peu moins intransigeant avec lui. Mais s’il voulait garder sa place dans l’équipe, il faudrait bien qu’il suive les règles, les mêmes pour tout le monde. Comment espérer inspirer le moindre respect, intimider les spectateurs les plus violents et les plus alcoolisés en ayant autre chose qu’un comportement exemplaire ?
Mais bon, aucune raison de se faire d’illusions, même s’il avait un goût prononcé pour les moments les plus musclés de son travail, ce début de saison, empiré par le manque de véritables enjeux de cette rencontre en particulier laissaient présager une fin d’après-midi plutôt tranquille. Il savait que cette journée serait nulle, il le savait.
La salve de questions se termina par des applaudissements polis et trois pénalités pour le Gnome. Honorable, mais pas remarquable. Il était temps d’échanger les rôles pour la seconde manche, ce qui permit à De’Rel de faire un signe au reste de l’équipe pour vérifier que les blocs de Karélite étaient toujours opérationnels. Ils l’étaient. L’ambiance, quant à elle, était clairement retombée, probablement à cause du thème choisi par l’Eolien, qui là encore avait sans doute voulu la jouer sournoise. Seulement voilà, il fallait faire approuver les questionnaires par la FITO, ce qui suggérait donc un carcan de culture générale admis au sein de la communauté inter-Territoriale. Les Gnomes étaient réputés pour l’efficacité de leur système éducatif, autant que pour leur mémoire et leur appétit pour la culture littéraire. Sournois, mais pas malin, en somme. Ce qui expliquait sans doute le manque d’enthousiasme des spectateurs pour la fin de la rencontre, on avait déjà le gagnant. De’Rel ne put réprimer un bâillement ; qui, il remarqua, se transmit par rebonds au sein de sa portion de public attitrée. Bientôt, une trentaine de personnes avaient baillé. Il ne put pas plus réprimer un petit éclat de rire, même s’il fallait bien reconnaître qu’il n’avait pas essayé très fort.
Et en effet, le reste du duel se déroula sans trop de surprise. Les méthodes du Gnome sur le parcours du prisonnier n’avaient rien de spectaculaires, mais elles étaient efficaces, en tout cas face à un duelliste finalement assez médiocre comme se révélait être cet Eolien. Le public préféra se mettre en veille, pour mieux attendre la seconde rencontre, où il y aurait sans doute un peu plus de suspense, la plupart des stades préférant programmer les rencontres les plus intéressantes en deuxième partie d’agenda. Le calme dans le stade était semblable à une veillée funèbre, alors que le Gnome procéda à son interrogatoire, et mit au jour le manque de culture de son adversaire du jour avec un simple questionnaire sur l’échelle de Bören. Quelques huées percèrent même ça et là alors que l’Eolien confessait son ignorance répétée. Même certains enfants étaient de la partie, et De’Rel ne pouvait pas les blâmer. Lui-même n’aurait eu que deux pénalités sur ce questionnaire, face aux cinq du duelliste.
Quand même, l’échelle de Bören, une »table de mesure des différentes capacités de canalisation magique des matériaux et minerais référencés » ! Au programme de toutes les écoles de Mölÿazah, révisée tous les ans jusqu’à la majorité ; peut-être à l’exception des écoles Hautes-Elfique, et encore, même eux devaient y trouver une utilité. C’était clairement une honte de trébucher sur autant de questions, même aussi précises, sur un sujet aussi souvent évoqué, et surtout aussi essentiel à la vie de tous les jours. Une honte, totale. On ne reverrait sûrement pas ce duelliste du reste de la saison. Il quitta immédiatement l’arène, écrasé par le silence outré du public ; penaud et humilié pour de bon. Le Gnome reçut quelques applaudissements et cris de soutien. Il n’avait pas été extraordinaire, mais il avait joué le jeu avec honneur et sérieux, tout ce qu’on demandait à des duellistes peu connus, finalement.
Le stade reprit son souffle, attendant la suite, alors qu’un orchestre prenait place pour l’entracte, laissant le temps aux gens d’aller chercher quelque chose à grignoter ou de passer aux toilettes. Sans cesser de faire traîner ses yeux et ses oreilles, De’Rel alla faire un petit tour extérieur de l’arène pour vérifier, une fois encore, que tout se déroulait sans accrocs. Il fit un rapide point avec chaque collègue pour savoir qui allait éventuellement avoir besoin d’aide durant la seconde rencontre, si des individus semblant problématiques avaient été repérés. Mais la réponse était partout la même, le calme était total, les imbéciles semblaient bien être restés chez eux ce soir. Il se prit presque à soupirer de frustration. Une journée aussi ennuyeuse aurait bien pu se racheter par un peu d’action ! Mais soit, il n’allait pas non plus vraiment se plaindre. Après tout, il n’était pas payé à l’arrestation ou au bourre-pif, et s’économiser, pour une fois, ne pourrait pas lui faire de mal, il n’était plus tout jeune non plus. Il serait peut-être même assez en forme pour jouer avec les gosses le lendemain tiens, en voilà une bonne raison de relativiser. À moins d’une surprise très désagréable au cours de la rencontre à suivre, il pourrait rentrer chez lui sans égratignures sur les phalanges ou taches de sang sur l’uniforme.
Cependant, alors qu’il retournait à sa place, se préparant à la suite, l’atmosphère lui sembla changer, imperceptiblement. Il sentit soudain quelque chose, hors de sa portée sensorielle, qui n’allait pas. Peut-être un quelconque résidu de tension dans l’air, une odeur trop infime pour réellement s’imposer à ses narines… Quelque chose. Il se tourna dans tous les sens, mobilisant tous ses sens pour tenter d’identifier la nature du bouleversement, ne constatant rien qui sortait de l’ordinaire. Soit son instinct lui jouait des tours, ce qui aurait été une première, soit quelque chose se tramait bien à l’insu d’absolument tout le monde. Son angoisse monta graduellement, au rythme de son incompréhension et de sa colère de ne pas saisir ce qui se passait sous son nez.
Puis soudain il saisit, alors qu’une de ces taches sombres et fugaces que l’on saisit parfois du coin de l’œil demeura un peu trop longtemps en périphérie de son regard, du côté d’un des blocs de Karélite. Dans l’angle opposé, là bas, en bordure de l’arène, de minuscules éclairs, d’un violet sombre. Quelqu’un était en train de saturer un des blocs d’énergie Démonique ! Comment personne d’autre que lui ne l’avait senti ? L’odeur de soufre caractéristique de la canalisation de cette forme de magie lui saturait les sinus, jusqu’à la nausée. Sans doute simplement parce qu’il s’en était rendu compte. Mais quelque chose dans la procédure avait forcément dû rater. Il s’en occuperait plus tard, il se passait quelque chose de grave.
Il s’élança en courant vers le bloc, qui rougissait à vue d’œil, d’une couleur de plus en plus flamboyante ; alors que tous et toutes autour y étaient totalement indifférents. Il se mit donc à crier, en écartant certains spectateurs à coups d’épaules, aussi effrayé par la perspective de saturation complète du bloc que par l’apathie générale. Sans succès.
Sa course fut interrompue par l’explosion du bloc, aussi violente que soudaine, projetant aux alentours des éclairs pourpres et cette satanée odeur de soufre, signes que la magie démonique avait été à l’œuvre. Absorbée sans doute pendant un certain temps par la Karélite, puis rejetée en masse au moment de l’explosion, elle avait crée une onde de choc sourde et visuellement impressionnante, mais pas si dangereuse. Par chance, mais surtout par des mesures de sécurités précisément instaurées pour ce genre de situation, il était interdit de s’approcher des blocs pour le personnel non autorisé ; donc à première vue et en toute logique, il n’y aurait pas de blessés graves. Les services de sécurité et les infirmiers du stade étaient déjà sur le coup, ils n’auraient pas besoin de lui pour juguler la panique qui s’empara des spectateurs les plus proches. Il entendit Piefen, quelques pas derrière lui, prendre sa première initiative intelligente de la journée, et se précipiter vers l’extérieur en lui criant qu’il allait prévenir la gendarmerie. Brave petit.
Il serait plus utile de son côté, à essayer de comprendre comment et pourquoi quelqu’un s’était décidé à saturer ce bloc jusqu’à explosion, surtout en sachant qu’il l’avait testé lui-même une demie-heure plus tôt, et qu’il était presque vide à ce moment là ! Il avait fallu remplir ce bloc à une vitesse folle. Cela suggérait soit un mage Démonique extrêmement puissant et discret, soit un groupe entier terriblement organisé. La première hypothèse était la plus probable, plusieurs personnes canalisant de la magie Démonique auraient forcément été repérées par les collègues, ne serait-ce qu’à l’odeur émise… Quoique. Après tout, il n’avait lui-même capté l’odeur que quelques secondes avant l’inéluctable, et tout le monde semblait complètement oublieux de la situation. Il fallait qu’il trouve quelque chose, il voulait être utile à la gendarmerie lorsqu’elle arriverait sur place.
Pour commencer, est ce que les autres blocs avaient eux aussi été surchargés ? Il pressa le pas vers le bloc le plus proche de celui qui avait explosé et se fit la remarque que c’était celui qui avait été installé en remplacement au début de la rencontre. Et alors qu’il allait tester sa saturation, sa canalisation de magie Energétique resta en suspens au dessus de sa main, créant comme à son habitude une reproduction d’une petite scène de famille qu’il avait l’habitude de projeter dans ses moments de creux. Elle lui tira son sourire attendri habituel, mais le fit tout de même tiquer. Pourquoi la Karélite ne l’absorbait pas ? Incrédule, il commença à éclater de rire devant l’ingéniosité et la complexité du plan des criminels, se retint aussitôt, se rappelant le contexte et préféra donc grincer des dents en levant les yeux au ciel. Il ne savait pas combien de thaumas ces salopards avaient dépensés, et qui ils avaient soudoyé avec cette somme, mais des têtes allaient tomber.
Ils avaient fait changer un des blocs de Karélite par un faux. Une magnifique imitation, qu’il n’y avait eu aucun besoin de tester, forcément ! Et ce faisant, une zone entière des gradins était devenue une zone libre de pratique magique. Facile à partir de là d’enchanter malgré eux tous les spectateurs et le personnel de sécurité présents pour les endormir un peu et commencer à saturer l’atmosphère de magie démonique sans le moindre risque de se faire prendre. Habile. Et ne nécessitant pas forcément beaucoup de monde, juste quelques mages relativement puissants et doués de discrétion dans leurs canalisations ; ça s’apprenait, comme le reste.
Un sourire sinistre, teinté d’une (très) légère culpabilité, se dessina sur son visage. Enfin, la journée prenait un tournant intéressant.
Mais par où commencer ? L’évacuation du stade avait déjà commencé, en toute logique, la rencontre à venir avait été annulée. Il s’inquiéterait du mobile et des suspects plus tard, ces derniers étaient sans doute déjà en cours de confinement à l’extérieur avec le reste des spectateurs, le temps que la gendarmerie soit contactée et intervienne. Il avait peu de temps à sa disposition avant que toute cette affaire revienne à qui de droit. Il ne leur en voudrait pas de faire leur travail, mais le plus vite il trouverait comment tout cela avait été fait, le plus vite il pourrait faire adapter les procédures de sécurité. Entre les mains de la gendarmerie, le temps que l’affaire soit élucidée et ses éléments rendus publics, il devrait œuvrer avec seulement des idées de ce qui avait été inventé pour contourner le système, un risque qu’il n’avait aucune envie de courir ; et ses patrons non plus, sans doute. Sans compter qu’il risquait peut-être son poste ici, il était aussi fautif que la procédure à ses yeux.
Ces considérations lui firent croiser les bras, serrer les lèvres et taper du pied, frustré, à la fois par la situation et par la capacité de son esprit à s’encombrer d’éléments superflus dans les situations de crise. Il leva la tête au ciel, perdit son regard dans les nuages gorgés de violet, hérauts du crépuscule, et prit une profonde inspiration.
Ce qui lui rappela cette satanée odeur de soufre, toujours aussi présente, malgré déjà quelques minutes pour se disperser. Ce qui signifiait que la magie Démonique était toujours présente, quelque part, juste inerte, ou simplement sans personne pour la faire agir. Il tourna la tête de tous les côtés pendant quelques instants, tentant d’accrocher, quelque part, une certaine intensité dans l’odeur, pour remonter une piste, peut-être. Ou pour plus simplement voir un de ces petits éclairs pourpres, synonymes de la présence d’un esprit Démonique, signe d’une canalisation de la magie, qui par chance, aurait pu encore présente. Mais non, rien à voir, tout à sentir, partout, dans toute la zone où la Karélite était trop loin pour exercer sa capacité d’absorption, cette même senteur tenace et entêtante.
Le crissement du sable de l’arène sous ses pieds, qui d’ordinaire lui procurait un profond sentiment de satisfaction, commençait à doucement lui griller le peu de patience qui lui restait ; il ne supportait pas de tourner en rond comme ça. Mais la satisfaction revint comme elle était partie, alors que la lumière se faisait dans son esprit. La magie avait été canalisée au sol, par le sable ! C’était si simple que c’en était génial. La capacité de canalisation de tous ces petits cristaux et minéraux était si faible qu’en y insufflant de la magie, cette dernière partait systématiquement au plus proche ou se dispersait dans l’atmosphère. Une méthode lente, certes, mais quasiment indétectable, avec la patience nécessaire. Il éprouva l’idée, la retourna dans sa tête, la confronta avec d’autres hypothèses. Celle ci était définitivement la plus solide. Il s’accroupit pour égrener une poignée de sable entre ses doigts et en vérifier l’odeur. Il eut un mouvement de recul et une grimace alors que le soufre agressait à nouveau ses narines, plus fort encore. Il se releva et s’épousseta les mains. Il avait au moins compris la méthode. Ce qui suggérait donc, en toute logique, que les suspects probables se trouvaient tout ce temps en bordure de l’arène, tout en bas des gradins, en contact direct avec le sable. Si le garde en charge de cette section avait été attentif, il serait plutôt aisé de réduire la liste des gens à interroger. Et si sa mémoire ne le trahissait pas, c’était Biërna qui était en charge de cette section, et il avait toujours pu compter sur elle. L’excitation le gagna malgré lui et entama le sang-froid dont il était coutumier. Ce qui se passait était grisant, il n’avait pas l’habitude de faire travailler son cerveau de cette façon, et c’était aussi amusant que passionnant. Et flatteur pour son ego, il fallait bien le reconnaître.
Il dérogea donc à sa lubie habituelle et descendit en vitesse dans les vestiaires de l’équipe de sécurité pour vérifier les enjeux de la seconde rencontre de la journée, ce qui pourrait éventuellement expliquer pourquoi quelqu’un avait décidé de s’attaquer à l’intégrité de l’arène et de sa protection magique. Un court ricanement et un juron désabusé lui échappèrent lorsqu’il vit les profils des deux participants. La seconde rencontre était prévue pour opposer un Orc et un Haut-Elfe, probablement le premier depuis une dizaine d’années. La FITO avait sans doute voulu la jouer profil bas pour ne pas créer de polémiques, et donc minimiser les risques, ce qui était tout à son honneur ; elle avait misé sur la confiance. Mais tout le monde détestait les Haut-Elfes – bon sang, rien que ce nom – sans exception ou presque, dans l’ensemble des Territoires. Même les Laehts, leurs alliés de fait depuis des décennies, les méprisaient pour leur morgue, leur arrogance et leur manque de respect pour l’ensemble des autres Races de Mölÿazah. Ils ne continuaient à commercer que parce qu’ils y trouvaient un intérêt économique, mais c’était probablement la seule raison, attendant des deux côtés la première occasion valable de se séparer.
Et si la FITO avait accepté d’inclure un représentant des Haut-Elfes dans la compétition cette saison, c’était sans doute parce qu’il était renégat, et dans la droite ligne de leur politique d’ouverture. Mais les craintes (malheureusement souvent fondées) d’espionnage et les vieilles rancœurs avaient dû chauffer les esprits, surtout dans une ville de province comme ici, à quelques dizaines de kilomètres seulement de la frontière Haute-Elfique, où l’Histoire ne pouvait pas jouer en la faveur de la paix ; pas si tôt. Le mobile devenait évident et les suspects ne tarderaient pas à suivre. Tout cela devenait presque trop criant, mais faisait cruellement sens.
Il y avait désormais fort à parier que tout ça n’était qu’une tentative d’attentat qui avait misérablement échouée. Puisqu’il ne s’était rien passé d’autre que les mouvements dans la foule et son évacuation après l’explosion du bloc de Karélite ; De’Rel en déduisit que le plan des agresseurs était sans doute de s’assurer un secteur entier de l’arène libre de tout risque d’intervention des forces de sécurité les plus proches, et d’agir en vitesse avant de fuir. Mais par manque de contrôle ou de chance, la magie s’était trop écoulée au travers du sable et avait été en grande partie absorbée par le bloc qui avait fini par exploser, ruinant leurs chances d’êtres discrets. Lui-même n’avait été capable de sentir que quelque chose n’allait pas seulement quelques secondes avant que la saturation ne soit complète, précisément parce qu’une infime quantité de magie avait dû passer outre la Karélite, qui ne pouvait alors plus l’absorber. À quelques centimètres près, ce plan aurait sans doute fonctionné sans le moindre accroc, et le duelliste Haut-Elfe aurait peut-être été une victime autrement plus grave. Un symbole terrible pour les autres membres de sa Race, eux aussi en quête d’acceptation et de rédemption pour les crimes de leur peuple et ses dirigeants.
Il secoua la tête, penché sur ce simple bout de papier, atterré, et laissa échapper un long soupir de lassitude. Sans compter que frapper pendant une rencontre d’Octopointe, une technique d’entraînement spécialement conçue, au départ, pour résister aux méthodes d’interrogatoires particulièrement sadiques des Haut-Elfes ; et qui avec le temps s’était développé comme un réel loisir inoffensif, un sport rassemblant toutes les Races, comme un pacifique bras d’honneur au Territoire ennemi de tous, au delà des frontières, quel symbole ! Oh qu’ils avaient dû se sentir malins ces salopards, en mettant leur plan au point. Et qu’il avait hâte de leur mettre le grappin dessus.
Mais peut-être qu’il se trompait ; après tout, il n’était qu’un simple agent de sécurité. Non, tout cela faisait trop sens. Il se rappelait trop bien des sentiments de haine et des crachats lancés à la figure de certains renégats Haut-Elfes qui avaient tenté de se faire une vie ici ou ailleurs, loin des horreurs commises par leurs pairs, dans des guerres qu’eux avaient eu le courage de refuser et de fuir. Lui aussi avait craché, lui aussi avait hurlé, bien caché au fond de la foule, sur des gens qui n’avaient commis aucune autre faute que d’être mal nés, ou d’avoir eu de la bravoure au mauvais moment. Il ne se souvenait que trop bien de cette flamme malsaine au fond de son cœur qui avait nourri un foyer d’idées plus sadiques les unes que les autres, pour punir quelqu’un, peu importe qui, des morts qu’il avait dû déplorer et subir au cours de sa jeunesse. Combien de temps lui avait-il fallu pour trouver la paix, lui aussi…
Il lui fallait en avoir le cœur net. Il remonta donc les escaliers en quatrième vitesse et se dirigea vers l’extérieur de l’arène, où les spectateurs devaient se trouver à ce moment, si la procédure avait été suivie par son équipe. Et elle l’avait été, au moins un réel motif de satisfaction. Des dizaines de groupes d’une cinquantaine de personnes étaient dispersés un peu partout autour du stade, chacun gardés et surveillés par plusieurs membres de l’équipe de sécurité, à la fois chargés de réguler les déplacements et de s’assurer que personne ne partirait avant que les gendarmes n’en aient donné l’autorisation. Une infirmerie de fortune avait été montée un peu plus loin pour s’occuper des quelques blessés, qui se remettaient déjà, grâce à l’expertise combinée des quelques M-Médecins présents, qui les soignaient grâce à leurs connaissances en magie Naturelle. Tout irait bien de ce côté là, De’Rel était soulagé ; plus de peur que de mal au final, une leçon sans séquelles pour tout le monde. Il navigua avec empressement au milieu des grappes de foules constituées par la procédure pour retrouver celle qui devait, en toute logique, contenir ses suspects. Fort heureusement, c’était bien Biërna qui en avait la charge, une de ses plus solides camarades, aussi fiable qu’impressionnante. Un mélange pas croyable de présence et de gentillesse. Il n’avait jamais croisé une autre Noire-Elfe cumulant un sourire aussi ravageur et la capacité de lui faire décoller le scalp d’un coup de pied circulaire ; alors qu’il la dépassait de deux têtes. Si ses suspects tentaient de fuir, elle pourrait sans doute les rattraper et les retenir d’une seule main. Parfait.
Il lui fit signe de s’approcher pour pouvoir lui exposer la situation. Il lui fit donc son exposé, en continuant toujours de faire face à la petite foule qui, tout autant qu’elle, se demandait ce qui se passait. Il en profita donc pour scruter une partie des visages présents et eut la furieuse satisfaction de croiser quelques regards aussi nerveux que criant de culpabilité. Ils étaient trois Elfes Noirs, très jeunes, rassemblés en bordure du rassemblement, transpirant à très grosses gouttes malgré la relative fraîcheur du début de soirée, signe de nervosité, d’une certaine fatigue due à l’usage soutenu de magie, ou les deux. Ils étaient sans doute prêts à tenter de prendre leurs jambes à leurs cous à la première occasion, bien trop conscients de leur situation. Oh qu’il était fier de lui ! Il contint malgré tout son sourire tandis qu’il finissait sa démonstration à Biërna qui, aussi professionnelle qu’à son habitude, se retint également de produire le moindre signe extérieur sur son visage. Mais il devina à l’agitation qui s’empara de ses jambes, et à la contraction subite de ses poings, qu’elle était aussi prête que lui à en découdre, le cas échéant.
Elle se contenta d’un hochement de tête convaincu et d’une moue approbatrice alors qu’il concluait son explication. Dans tous les cas, il aurait quelqu’un pour appuyer ses dires. C’était rassurant, cela n’avait pas du sens que pour lui. Parfait. Gardant son calme, elle lui demanda comment il comptait procéder. Il lui fit un signe de la main pour lui signifier de le suivre dans la démarche à venir. Elle resta sur place à surveiller son groupe attitré alors qu’il allait chercher un porte-voix. Il goûta la délicieuse ironie de sentir le sable crisser de nouveau sous ses pieds alors qu’il se campait face au groupe. Après s’être raclé la gorge, il commença à exécuter son plan, surtout destiné à faire admettre leur culpabilité aux trois petits salopards.
« Mesdames et Messieurs, votre attention s’il vous plaît ! Dans l’attente de la gendarmerie, qui ne devrait plus trop tarder à arriver, nous avons pris l’initiative de mener un début d’enquête pour déterminer la raison de l’explosion du bloc de Karélite. Comme vous le savez sans doute, nous surveillons très étroitement leur saturation, avant, et surtout pendant les rencontres afin d’éviter ce genre d’incidents ; et nos procédures sont établies de sorte qu’avec une pratique normale au sein du stade, ce genre d’incidents ne puisse pas se produire. Dans le cas présent, nous sommes convaincus, à la lumière des éléments à notre disposition, que cet incident est de nature criminelle. Qui plus est, nous sommes également en mesure d’affirmer avec un certain degré de certitude que les coupables se trouvent parmi vous… »
Autant dire que le plan était un succès. À peine avait il prononcé ces mots qu’ils tentèrent de décamper. Le premier dérapa dans le sable et se rétama aussitôt la face la première. Il fut retenu au sol par quelques citoyens énervés qui n’avaient pas eu beaucoup d’efforts intellectuels à fournir pour comprendre ce qui se jouait ici. Biërna et De’Rel s’élancèrent à la poursuite des deux autres, le même sourire féroce accroché au visage. Elle comptait sur son athlétisme, à raison, tandis qu’il commença à canaliser un de ses sorts favoris depuis qu’il était tout jeune, formant une grosse boule de glaise Elémentale au creux de ses mains.
La course poursuite qui s’ensuivit ne resterait sans doute pas dans les annales, Biërna arrivant à hauteur du premier fugitif en quelques foulées et l’immobilisant d’un plaquage ravageur et d’une clé de bras, sous les cris d’encouragement des spectateurs témoins de l’événement. Ils ne seraient pas venus pour rien. Le dernier, qui avait l’air d’avoir un peu plus de ressources, tenta de projeter un esprit Démonique derrière lui, visant approximativement les jambes de De’Rel pour tenter de le ralentir. Sans succès, puisqu’il n’eut qu’à sauter par dessus, tout en lançant son sort dans les genoux du malheureux fuyard, qui finit comme les autres, le visage dans le sable, et l’amour-propre quelques mètres sous terre.
Alors que les gendarmes, l’air d’abord emprunt de leur propre importance, faisaient leur arrivée sous les huées moqueuses des spectateurs, De’Rel eut l’immense satisfaction de voir leur expression se fondre en totale confusion à la vue de trois jeunes Elfes Noirs à l’expression humiliée, assis, sous la bonne garde d’une partie de l’équipe de sécurité du stade et d’une grande partie des spectateurs, qui avaient voulu rester sur place, juste pour pouvoir dire : « Nous y étions ».
Bon, d’accord. C’était une bonne journée, finalement.
J’ai enfin trouver le temps … superbe moment jouissif. J’ai tout partagé avec De’Rel… de bout en bout en finissant le sourire aux lèvres.
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