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Le frère des dragons, Charles Sheffield

Marching with GiantsBlack Math (extrait de l’EP Point Blank)

En littérature comme pour le reste, les premières fois, ça compte. Ça compte même énormément, parce qu’une bonne expérience, comme une mauvaise, peuvent décider de sentiments pour vous bien longtemps après avoir eu lieu, sans même que vous puissiez vous en rendre compte tout seul. Ce qui doit sans doute jouer dans mes réticences à ouvrir un live de littérature générale maintenant que j’y pense, mais j’y travaille, et de toute façon, ce n’est pas vraiment le sujet. Non, le sujet, c’est Le Frère des Dragons, un roman de SF que j’ai lu très jeune, piqué dans la bibliothèque de mon père, et si je ne m’abuse, probablement un des premiers romans adultes sur lequel j’ai pu poser des yeux aussi avides que curieux. Et si je veux l’aborder aujourd’hui, c’est pour deux raisons. D’une parce que je persiste à penser, même en tenant compte d’un recul nécessaire par rapport à ma propre nostalgie, que c’est un excellent roman ; mais aussi et surtout parce que je veux parler de cette satanée nostalgie, en me servant de ce roman comme d’un exemple et d’un support. Plongeons-y donc, si vous le voulez bien.

Le Frère des Dragons, c’est Job Napoléon Salk. Un jeune garçon, né d’une mère droguée, au passé aussi trouble qu’effrayant, abandonné à sa naissance, rescapé, miraculé total de ses malformations alors que tout le destinait à être mort-né. Nous suivons ses débuts difficiles dans la vie, alors qu’il y fait littéralement ses premiers pas, dans un orphelinat insalubre, piégé dans les quartiers les plus difficiles de la ville ; au sein d’un pays où les classes dirigeantes, richissimes, vivent dans leurs tours d’ivoire, loin des préoccupations d’une population pauvre et démunie. Et alors que sa vie avance, il finira pas se découvrir une utilité, au milieu de ce monde pour lequel il n’est pas fait, des missions à remplir, et finalement, un destin à suivre.

Nous sommes donc dans le registre de l’anticipation, et les échos à notre monde doivent déjà vous parler un petit peu, si cette sensibilité est autant la vôtre que la mienne. Premier point qui me lie aussi fort à ce roman, je crois, le fait que ce soit l’un des premiers romans que j’ai lus qui ait titillé ma conscience politique. Encore aujourd’hui, je garde un souvenir très fort de ce rapport exacerbé à la réalité, et de cette capacité de ce roman à appuyer là où ça fait mal ; avec juste assez d’abstraction par rapport à notre monde pour ne pas être dans un bête décalque, tout en montrant ce qui doit être montré. Ce monde futur n’est pas tant futuriste pour ceux qui y vivent, au contraire des Princes, ces entités presque invisibles, quasi-légendaires qui ne semblent vivre que pour diriger et utiliser le reste du Peuple, condamné à survivre. Si l’on y aperçoit bien des éléments de pure science-fiction, sa projection demeure très raisonnable et ancre beaucoup des enjeux de richesse et de pouvoir dans des éléments qui encore aujourd’hui sont très prégnants dans notre monde. Ce qui avec le recul me parle beaucoup, encore aujourd’hui. Si la technologie avance, et parfois à grande vitesse, la question de son accès et de ses applications est absolument passionnante, surtout lorsqu’on change d’échelle d’observation.

Tout dans ce roman se passe à la hauteur de Job, ne le quittant jamais, retraçant tout son parcours et son évolution dans les rues de cette ville que nous apprenons à connaître en même temps que lui, alors qu’il grandit et parfait ses capacités de survie. Et si je suis si attaché à ce roman, c’est aussi et surtout pour Job, symbole extraordinaire du concept de résilience, mais aussi et surtout de la puissance de la bienveillance. Etant extrêmement fragile, il ne conçoit jamais la violence comme un moyen d’action valable d’emblée, et y préférera toujours la réflexion, la ruse ou le dialogue. Le dialogue, justement, qui est au cœur de sa psyché et donc du roman, puisque son plus grand talent est celui des langues. Et je dois bien dire que jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais croisé un autre roman qui ait aussi bien présenté et raconté la capacité fédératrice d’un gamin des rues capable d’apprendre les vocables de ses congénères, mais aussi et surtout la façon dont son cerveau fonctionne lorsqu’il s’agit de les appréhender puis les apprendre. Un aspect d’autant plus impressionnant que Sheffield arrive à en faire un enjeu narratif constant qui ne semble jamais forcé, mais bien faire partie intégrante de la façon de penser de Job, allant jusqu’à forger ses capacités de réflexion d’une façon unique, se retrouvant donc dans tous ses plans et sa trajectoire personnelle, sa façon même d’être, une orientation captivante dont je garde un excellent souvenir.

Et nous en arrivons à la nostalgie. Parce que bon, il faut bien admettre que je l’ai découvert il y a longtemps, ce roman, près de 15 ans selon mes estimations. Et si je l’ai depuis relu, à deux trois reprises je crois, avec à chaque fois le même plaisir, je demeure dubitatif. Est-ce-que je l’aime et l’ai aimé encore parce que je l’ai aimé à cette époque là ? Ou bien est-ce-que je l’aime aujourd’hui pour ce qu’il est ? J’y ai en effet à chaque fois retrouvé des éléments qui savent me parler, des résurgences d’une anticipation que je jugerais aisément comme étant de qualité, qui parle très fort à ma conscience politique d’aujourd’hui ; mais dans quelle mesure cette conscience politique, mes goûts littéraires, notamment en matière d’Imaginaire, ont-ils été justement forgés par ce roman ? Je n’ai pas le souvenir de quelconques facilités d’écriture, de fautes de rythme ou de style, mais il m’est absolument impossible de jurer de mon objectivité.
Et puis je me souviens, quand même, que par un amusant hasard, le vrai, gros premier souvenir que j’ai en SF, c’est la lecture de Terre Champ de Bataille, de Ron Hubbard, dont je ne savais absolument rien à l’époque de sa lecture. Et le contraste comme la réflexion s’éclairent d’un jour nouveau. Car pendant longtemps, Ce diptyque a été ma référence absolue, lue 13 (!) fois en quelques années seulement. J’en ris aujourd’hui, de ce double roman, rempli à ras-bord d’approximations et de facilités. Et pour autant, j’en garde un souvenir extrêmement tendre, que j’aborderais sans doute ici un jour (mais pas avant Rama, il s’agirait tout de même de se respecter). Car malgré tous ses défauts – et ils sont nombreux, j’en conviendrais aisément – je saurais encore y trouver des qualités qui ont elles aussi forgées mes goûts et ma personnalité, et des éléments qui, mine de rien, me paraissent encore pertinents dans le regard que nous pouvons porter sur les littératures de l’Imaginaire.

Mais revenons-en à nos Dragons. Mon mot final sera « fi ». Fi de ces interrogations finalement un peu stériles sur le rôle de la nostalgie dans nos jugements. Elle est là, et elle sera toujours là. Le tout est simplement de faire avec, sans pour autant oublier sa présence. Ce raisonnement, quelque part, se situe dans la continuité de mon billet d’humeur sur La Nécessité dans la Culture ; il n’est pas toujours nécessaire de pouvoir justifier de façon parfaitement rationnelle notre attachement aux œuvres qui nous sont chères. J’aurais toujours un doute sur Le Frère des Dragons, pour autant que je sois tout à fait capable de justifier à mes yeux ses qualités. Mais je dois aussi être prêt à admettre les failles qu’on pourrait m’en présenter – comme son terrible quatrième de couverture – cela ne me fera en rien renier mon amour profond pour ce que j’en ai retiré ; tout comme mon attachement purement matériel à un roman que je sais maintenant être rare dans sa version papier. Il faudra sans doute que je le relise encore, histoire d’être sûr.
Mais si jamais vous avez la chance de tomber dessus par hasard, ne laissez pas passer votre chance. J’aimerais bien avoir votre avis aussi. Au pire, je crois même être prêt à le prêter, il me semble que dans tous les cas, il le mérite.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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