Corpore Sano : 1
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« Allez, dites moi tout ! »
Dom’ sut instantanément qu’il aurait beau chercher dans les tréfonds de son excellente mémoire, il n’arriverait pas à trouver un seul moment sa vie où il pourrait ressentir une exaspération aussi soudaine et puissante que celle qu’il dût subir en cet instant.
La vue de ce trou du cul ambulant, moulé dans son costard trois pièces impeccable hors de prix, juste assez court aux manches pour laisser voir sa montre tape-à-l’œil encore plus chère, l’avait déjà fait blanchir des phalanges. Mais l’entendre balancer cette seule phrase, sans même un mot ou un simple geste de politesse, avec cette attitude de parachuté ignorant des réalités – il mâchonnait un chewing-gum la bouche ouverte, nom de dieu! – lui avait fait tourner les sangs comme jamais. Mais il fallait rester pro, n’est ce pas, son job en dépendait ; nouveau trou’d’balle au sommet de la hiérarchie signifiait souvent des coupes dans le personnel. Or, il l’aimait, son job. Il l’aimait beaucoup, même. Et il savait que c’était un luxe. Alors il allait serrer les dents et tout ce qu’il pouvait serrer de serrable pour éviter de péter un plomb, et il allait faire le nécessaire pour montrer qu’il était indispensable.
Et bordel, dieu savait que sans lui, l’organisation ne tiendrait pas debout plus d’une semaine. Alors il fit ce qu’on attendait de lui. Ce qu’on avait toujours attendu de lui depuis 8 ans. Il ferma sa gueule en attendant qu’on lui donne la parole, parce qu’il n’était qu’un spécialiste Tech’, évidemment. Il se mit en veille, comme il le faisait à chaque fois, parce qu’il pouvait souvent se passer des dizaines de minutes avant que son expertise soit utile.
Mais pas cette fois, évidemment. Il sursauta en entendant son nom prononcé d’une voix étrangement blasée et impatiente par Ada. Elle, si pro d’habitude, ne prononçant que les mots qui étaient attendus d’elle, semblait étrangement agacée. Mais pas par Dom’, non.
Un coup d’œil à la projection derrière lui suffit à lui faire comprendre. Avec les précédents responsables en arrivage de Cuillère-D’Argent-City, il fallait attendre un bon quart d’heure minimum, parfois une heure pour les plus zélés, avant d’avoir besoin d’un cours de rattrapage.
2 minutes. Cet abruti de merde avait pas tenu 5 minutes.
Il fallait tout. Reprendre. Depuis. Le. Début.
Il retint un soupir Mach 3 et s’avança vers le pupitre afin de tout expliquer. Après tout, c’était aussi son travail. Il s’éclaircit la gorge et chassa ses pensées négatives.
« Les Animas sont des nodules de pouvoir concentré, d’origines diverses, tellement puissantes qu’elles en viennent à développer une personnalité propre dans les esprits de leurs hôtes. De la nature des hôtes en question, de leur passif socio-culturel et de leur propre personnalité dépendent les effets que peuvent avoir ces Animas sur leur psyché, mais aussi et surtout sur leurs compétences. La plupart des gens touchés par ce phénomène le vivent assez bien dès lors qu’ils bénéficient d’un encadrement et/ou d’un traitement adapté. Que nous sommes chargés d’apporter à la hauteur de nos moyens…
– Nan nan mais tout ça je sais ! »
(Il ne savait clairement pas.)
« C’que je veux savoir, c’est pourquoi vous m’avez fait venir là, c’est quoi l’urgence ? »
Échange de regards gênés au sein de l’équipe. Il fallait bien que quelqu’un se sacrifie. Ada s’avança, elle savait qu’elle était celle qui risquait moins l’inévitable retour de flammes.
« Plus un hôte cumule d’Animas, plus il est puissant. Mais avec cette puissance vient une plus grande instabilité et un danger croissant pour lui-même ou son environnement. Jusqu’à aujourd’hui, nos Chasseurs les plus puissants ne vont guère que jusqu’à 4 Animas, au prix de longues et terribles thérapies…
– Oui, oui d’accord… Et donc, accouchez, bordel !
– Il semble que nous ayons détecté un nouvel hôte… Il… Il a 8 Animas. »
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