Bureau d’Insertion et de Contrôle : 2
[…]
« Nan mais moi, tout ce que je dis, c’est que c’est pas naturel, c’est tout. J’ai rien contre eux, vraiment ! Mais tu m’ôteras pas de l’idée que c’est pas normal.
– Mec, sérieux ?
– Bah quoi ? C’est vrai, c’est pas normal.
– Tu dis ça uniquement parce que c’est nouveau, t’as pas l’habitude. Réfléchis-y deux secondes ; le communiqué officiel était quand même ultra-clair…
– Ah parce que tu crois à la version officielle ?! Je te savais pas si naïf. Respecte-toi un peu, franchement ! C’est é-vi-dent que ça tient pas debout. Comment on aurait réussi à nous cacher ça si longtemps, ça n’a aucun sens ?! C’est évident que c’est tout récent ; sans doute une expérience de Big Pharma ou des militaires qui a mal tourné, quelque chose dans le genre. C’est ça qu’on nous cache, c’est politique. Perso je serais même pas surpris de voir que c’est une grosse entreprise privée qu’a merdé et qui est couverte par le gouvernement. ‘Té, c’est même dans le nom. Gouverne-ment. C’est sous not’ nez, mon pote. »
Il tapota l’aile du sien en lâchant son affirmation, apparemment très fier de lui. Fred retint un soupir lassé. Il savait très bien que Phil n’était pas un imbécile, comme une bonne partie des gens qui croyaient à ces conneries et se laissaient embobiner dans des théories de plus en plus farfelues pour ne pas accepter la réalité. C’était la peur et la défiance, comme toujours, qui créaient un cocktail terrible de désillusion et de mauvaise foi. Quand bien même Phil n’avait eu aucun réel contact avec l’Autre-Monde, il en avait peur comme si c’était une menace contre lui personnellement.
Et c’était d’autant plus frustrant pour Fred qu’il n’avait aucune idée de comment il pouvait expliquer à quel point son pote se trompait. Parce que lui savait exactement de quoi il était question, évidemment, lui qui traitait avec les Autres au quotidien, de par son contrat de fonctionnaire spécial au BIC, ce même contrat qui le contraignait au secret le plus absolu, à la fois par conscience professionnelle et par enchantement.
Un enchantement qu’il avait littéralement signé de son sang, d’ailleurs ; mais là encore, comment expliquer que le processus était hautement réglementé et sécurisé, à base de prise de sang lors d’une visite à la médecine du travail, injectée après analyse dans un stylo unique qu’on lui avait offert comme signe d’intégration dans l’équipe ? Il fallait admettre que ça sonnait un peu sectaire, à la réflexion. Mais ce n’était pas comme ça, il fallait y être, ça faisait sens avec l’ambiance et les fonctions du BIC. Surtout le fait que c’était top secret et qu’il devait faire semblant de bosser aux immatriculations, idéalement en prétendant s’y faire royalement chier.
Ça, c’était pas trop dur, à vrai dire. C’était le plus étrange avec toute cette situation. Il avait été dans la première vague de recrutement, avec ses 3 ans d’ancienneté, il était un véritable vétéran, de ceux et celles qui avaient cru se lancer dans une formidable aventure pleine d’excitation et d’aventure.
Et pas du tout.
C’était presque pire que quand il bossait réellement aux immatriculations, parce que c’était finalement si décevant. En se voyant confier un dossier de cycle sanguin pour un vampire, on se disait qu’on allait traiter avec le Comte Dracula en personne, ou son Igor, au pire, que ça irait tout seul, en galérant peut-être sur la déclaration de propriété ou la domiciliation du compte bancaire. Et non. On traitait avec Katia, jeune SDF roumaine, bouffée par un connard aux dents longues dans une allée sombre un soir d’orage parce qu’il avait un petit creux. Et elle était incapable de vous donner la moitié des infos nécessaires à la complétion de son formulaire sans éclater en sanglots à la moitié de chaque phrase à cause de la douleur du manque et des sorts de contention posés sur elle.
Mais Phil, il ne pouvait pas savoir ce genre de choses. Il ne pouvait pas imaginer plus loin que ce qu’il voyait à la télé. Et c’était même pas de sa faute, quelque part.
Fred joua nerveusement avec son sachet de sucre histoire d’essayer de se donner une contenance. Il tremblait, et il avait les yeux un peu humides.
« T’sais quoi Phil. Parce que t’es mon pote, je te propose de changer de sujet. »
[…]
Je tremble, et j’ai les yeux un peu humides. Flûte alors, moi qui me croyais asymptomatique!
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À ce point là. Eh bien. 😀
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