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Impossible Planète – Episode 34

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Puis le court silence qui précède toujours la pression du bouton qui éteint l’appareil, et un dernier crachotement. Aussi subitement qu’elle s’était enclenchée, la communication s’était coupée, laissant tout le monde dans le bureau de Korey un peu sous le choc, Agcen compris. Malgré la convergence d’indices l’ayant mené à conclure exactement ce dont ce message était la preuve formelle, il fallait quand même qu’il encaisse ; et surtout qu’il arrive à faire semblant de ne pas être du tout surpris. Il calqua aussi immédiatement que possible son attitude sur celle de ses gardes, qui n’avaient pas bougé d’un poil. Facile d’être imperturbable quand on a pas la moindre idée de ce qui se passe. L’ignorance est un luxe, quand on n’est qu’un·e soldat·e.
Mais la manœuvre était sans doute inutile, Korey ne le regardait pas, le regard perdu dans la direction de la radio qui venait de lui larguer une demie-tonne de brique sur le crâne. Difficile de dire à ce moment-là ce qui l’avait le plus sonné, entre l’usage inattendu de la radio ondes courtes, la voix de Cap’ surgie de l’antique machine, ou un vicieux mélange des deux. Dans un cas comme dans les deux autres, il avait l’air encore plus bêtement bovin que d’habitude, sans doute à cause de sa confusion.
Il fallait tout de même lui reconnaître que tout ce qui venait de se dérouler en si peu de secondes était foutrement déroutant, à sa décharge. Rien que l’usage de la radio ondes courtes, pour commencer. On ne les utilisait plus vraiment, et depuis un bon moment, en plus. C’était une technologie archaïque, pour ne pas dire complètement obsolète, mais qui subsistait précisément grâce à son statut rétrograde. Puisque plus personne ne s’en servait vraiment, privilégiant évidemment des méthodes plus modernes et efficaces pour leurs communication, y compris à courte distance, la Fédération s’était dit que ce serait une bonne idée d’en faire un instrument privilégié de sauvetage. Parce que malgré leur efficacité médiocre au delà d’une certaine distance et la trop grande facilité avec laquelle on pouvait les pirater, les radios ondes courtes étaient incroyablement peu chères, en matériaux comme en énergie. On pouvait même les équiper d’une batterie interne dédiée qui permettait de contacter l’intérieur de vaisseaux perdus un peu partout autrement plus simplement qu’en devant acquérir des codes et des permissions informatiques qui buggaient comme pas possible à la moindre avarie. Et il y avait une ironie savoureuse, d’ailleurs, à se dire que c’étaient ces mêmes ondes courtes archaïques qui devaient être le seul moyen de communication à même de passer au travers du bouclier de brouillage qui semblait entourer l’étoile, tout simplement parce que sa technologie était devenue trop avancée pour simplement se préoccuper d’un concept aussi arriéré en comparaison. Peut-être même que les xénos n’avaient jamais découvert les ondes radios, avaient suivi un autre chemin technologique complètement différent. Ça, ou l’équipage – aidé d’Achille, il ne fallait pas se faire d’illusions – avait simplement trouvé un moyen de passer outre les perturbations provoquées par la technologie xéno.
Mais Agcen interrompit bien ses pensées techniques pour se concentrer sur l’émotion brute qu’il avait ainsi malhabilement tenté de contenir au fond de ses entrailles. Sous sa carapace d’impassibilité, il bouillait, à la limite d’une brutale implosion.
Cap’ était toujours vivante.
Comme Andro et Burrito aussi, sans doute.
Il le savait, d’une certaine façon ; les indices s’étaient doucement accumulés, il n’avait juste pas vraiment osé leur donner tout le crédit qu’il méritait. Ou il n’avait simplement pas vraiment osé y croire, sans doute à cause du poids de sa culpabilité grandissante. Il avait évidemment envisagé que l’équipage survive à sa trahison, juste après l’avoir commise, par un effet inconnu de la technologie xéno, mais il n’avait pas vraiment pris le temps d’y réfléchir correctement. Le sens des priorités hérité de sa formation, le pragmatisme, toujours. Ça faisait partie des choses qu’il voulait commencer à changer. Pour de vrai, cette fois, pas le temps d’une mission.

« Tu le savais, pas vrai, hein connard !? »

Korey s’était brusquement levé pour coller son visage à quelques centimètres de celui de son prisonnier, la mâchoire crispée, les yeux exorbités, la sueur au front et la bave aux lèvres. Furieux, c’était le mot. Agcen avait encore dû laisser vagabonder son esprit trop loin, il ne s’était même pas rendu compte que l’autre abruti s’était levé pour venir le menacer et expurger sa rage d’être à la merci de Cap’. Son doigt tendu avait l’ongle crasseux et son haleine était chargée d’alcool et de manque d’hygiène bucco-dentaire. L’impassibilité était de mise, le vexer n’aurait fait qu’empirer la situation.

« J’avais plus de raisons de croire que mes… exécutions étaient définitives. Que la planète ait ramené Cap’ et les autres à la vie était tout à fait possible, mais trop peu probable à mes yeux pour que je l’évoque dans mon rapport. On était dans une zone de transition au moment où je les ai abattu·e·s, je pensais sincèrement que le système de résurrection automatique n’avait pas effectué la sienne. De transition, je veux dire ; puisqu’on avait pas été scanné de nouveau, à ce moment là. »

Il s’était dit que passer en mode protocolaire, avec un ton bien monocorde, était le meilleur moyen d’apaiser Korey, tout comme de répondre à ses questions avec sincérité. Tant qu’elles n’étaient pas trop précises ou gênantes, évidemment.

« Mon cul ! Tu te… non, VOUS vous foutez de ma gueule ! Ah t’es fier de toi hein, espèce de salopard, tu me fais bien passer pour un con, là, avec ton p’tit plan d’enfoiré de petit sournois de MERDE ! Tu te rends bien compte que tu m’as fait traverser la moitié de l’espace fédéral en quelques semaines à peine, en devant bouleverser tout mon planning pour vos conneries, pour me retrouver comme un débile à devoir tout gérer au dernier moment parce que t’as décidé que t’étais plus heureux en tant que Pirate qu’agent de Def-Tech. DEF-TECH, bordel ! Tu penses aux gens comme moi qui rêveraient d’être à ta place, HEIN ?! Putain, je devrais être à Zegema beach, moi, là, pas à poireauter comme un turbo-crétin en attendant que toi et tes petits potes, vous vous décidiez à m’ouvrir la porte de votre garage privé en bordure de la fédé ! Tu comprends ça ?! On m’a privé de mes vacances, sous prétexte que j’étais celui qui te connaissais le mieux dans TOUT le Consortium. Que, je cite,  »je serais le plus à même de gérer tes méthodes ». C’est de ta faute, ça ! Ma FEMME. ET MES GOSSES. ME FONT. LA GUEULE. À cause de toi, connard ! »

Il avait du prendre sur lui un bout de temps et se faire sacrément violence, parce qu’il avait complètement vrillé. Il peinait à respirer normalement, la peau violacée, les veines palpitantes, les lèvres blanchies par la bave, les yeux injectés de sang. Plus d’équipage autour de lui, plus d’amour-propre, plus de sens du devoir, rien. Il était seul au monde avec sa colère et une sorte de tristesse renfrognée qui faisait assez peine à voir, en réalité. Un mauvais chef victime d’un management encore pire que le sien, c’était aussi pathétique que terriblement symbolique. En vrai, Agcen comprenait sa frustration. Pas la réaction en elle-même, mais sa source, oui, forcément, il la comprenait.
Et de fait, absolument tout s’expliquait enfin sur l’état d’amateurisme déplorable de cette mission depuis qu’il avait été appréhendé, entre sa détention à peine contrôlée – Korey n’avait même pas pris la peine de faire installer des micros corrects dans la soute, bordel – et la pitoyable délégation des pouvoirs de Korey. Cette découverte était pourtant importante, voire vitale, pour une organisation telle que le Consortium ; quand bien même il le connaissait bien, cela ne compensait en rien sa bêtise et le manque de ressources allouées à cette mission.
Comme si on y croyait si peu qu’on s’en était débarrassé, finalement. C’était aussi une option, mais il allait falloir y réfléchir plus tard, parce que Korey s’était assis sur un coin de son bureau pour se calmer, et qu’il avait la tête du mec un peu perdu qui prend une décision en désespoir de cause. Il voulait que ça se termine plutôt qu’autre chose. Il se passa une main sur le visage en s’arrêtant sur l’arête de son nez pour la masser, et de l’autre, fit un vague signe à ses sbires. À leur crédit à eux, ils n’avaient pas bougé d’un poil depuis le pétage de plombs de leur patron.

« Préparez la navette de transit extérieur et foutez ce trou d’balle dedans. Dès que l’étoile fait seulement mine de s’éteindre, vous nous prévenez Badj et moi, et on embarque avec n’importe quelle unité volontaire. Et si y a pas de volontaires, vous m’en trouvez ; , vous panachez,vous promettez une prime exceptionnelle, vous m’organisez une battle royale ou vous tirez au sort, ce que vous voulez, je m’en branle. Il nous faut une escorte de cinq, avec tout le matos réglementaire. Rompez. »

Un salut synchronisé trop rigide pour être honnête, et ses deux gardiens emportèrent Agcen avec eux hors du bureau de leur patron, dont le hurlement de rage ne fut pas assez étouffé par la lourde porte qui s’était refermée sur lui.
Un cap avait clairement été franchi, comme en attesta le dialogue surprenant entre les deux soldats quelques mètres plus loin.

« T’en es ?
– Et puis quoi encore. Deux mois de solde sans prélèvements fédéraux et on pourra ptet’ discuter. Sans ça, il peut se la mettre là où je pense, son escorte. »

Ils ne dirent rien de plus, et Agcen non plus, surtout après qu’il ait mangé un taquet très douloureux à l’arrière du crâne à cause du petit rire mesquin qu’il s’était autorisé en entendant ce début de mutinerie. C’était savoureux, malgré tout, n’était-ce que parce qu’ils avaient arrêté de le traîner par les biceps, préférant le laisser devant eux en lui indiquant le chemin du bout de leurs fusils.
La navette dont avait parlé Korey n’était pas loin, effectivement plus apte à effectuer le voyage vers l’intérieur de l’étoile sans avoir à risquer le vaisseau principal tout entier et sa part du blocus. C’était une sorte de vaisseau miniature autonome, littéralement encastré dans l’arrière du plus grand modèle dont il faisait partie intégrante ; vu de l’extérieur, l’illusion était parfaite. En se représentant son souvenir de ce modèle du Consortium, il se demandait même si cette navette n’offrait pas une couche supplémentaire de protection aux moteurs principaux tout en constituant un circuit de refroidissement supplémentaire pendant les voyages longues distances. Il se dit qu’il faudrait qu’il pense à faire attention au protocole de décollage au moment de partir, peut-être des bruits familiers ou évocateurs ; il en parlerait à Tombal’ ou Larsen, tiens, à l’occasion.
Il fut rappelé à la réalité au moment où la porte du sas se referma derrière lui avec un bruit sec et métallique qui lui résonna encore une fois douloureusement dans les oreilles. Il avait oublié qu’il était prisonnier, encore, pendant quelques instants.
Mais il était serein, malgré tout. Bien sûr, ce qui s’annonçait n’était pas de tout repos, mais il n’était clairement pas celui qui souffrait le plus de la situation, ni celui qui risquerait le plus en descendant sur la planète.
S’il jouait son peu de cartes en main à la perfection, certes ; mais ce n’était pas le moment de s’en inquiéter. Il fit un rapide petit tour de la navette, qui contenait tout le confort essentiel d’un vaisseau en miniature, en plus d’une grande baie d’observation et de loisirs sur sa surface arrière. Il décida de s’y installer en attendant le départ, les banquettes y étant confortables et donnant directement sur la surface de l’étoile. Il pourrait se préparer à leur départ dès qu’il la verrait s’éteindre, du coup.
Il croisa les mains sous sa nuque et ferma les yeux pour se détendre un peu, mais sentit très vite un bourdonnement familier monter dans le haut-parleur situé juste derrière lui, encastré dans le mur.

« Hey, salut copain. C’est mini-Hector, en attendant que le modèle-Papa revienne. On est tranquille de chez tranquille ici pour papoter. Leur système informatique est aussi complexe qu’un hochet, c’est scandaleux. Ça va toi ?
– Pas trop mal, je te remercie. Des choses à m’apprendre ?
– Pas vraiment non, j’en suis au même point que toi, là, et je manque de données pour pouvoir te dire d’où vient le message radio de Cap’, forcément. C’est pas parce que les ondes radios passent que soudainement je peux passer le brouillage extérieur. Mais c’est cool. Tout ce que je peux te dire, c’est que dès que Korey a trouvé de quoi motiver une escorte à les suivre et que l’étoile s’éteint de nouveau, vous y allez. Il est salement sur les nerfs, je te conseille de faire gaffe à pas trop jouer avec lui.
– Noté, merci. Je vais essayer de me détendre pour de vrai histoire d’être reposé et d’avoir les idées au clair, ptet’ me faire un bout à manger, tiens. Tu me tiens au courant si t’a du neuf, entre temps. Et lance moi de la musique, tiens, tu connais mes goûts, je pense.
– Ça marche, et ça marche. »

Il ferma les yeux au doux son de la playlist qu’un membre du Consortium lui avait volé et se détendit si bien qu’il finit par s’endormir du sommeil du juste.
Sommeil dont il fut violemment tiré par une violente alarme. Comme un sentiment de déjà vu.

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