
Méchas du Littoral : 6
[…]
« Ça va là-dessous ?! Pas trop molle la boue, tranquille ? Faut forcer un peu l’allure, les potes ! Parce que je peux pas aller moins vite moi, hein !
– Ta gueule, Gwen !
– Z’êtes justes jaloux !
– Oui ! »
S’ensuivit un joyeux éclat de rire collectif qui, malgré l’évidente bonne humeur du groupe, sonnait un peu mécanique. C’était le jeu, qu’un seul d’entre eux soit là-haut pendant que les autres pataugent, et Gwen avait toujours été très chanceux à la courte paille. On avait les talents qu’on pouvait.
Il jeta un œil sur le moniteur qui lui rendait compte de l’état de la machinerie du Mono-roue, par acquit de conscience ; c’était une bestiole fragile, à garder à un certain niveau d’échauffement pour éviter la panne. Trop rapide, le moteur explosait, trop lent, l’équilibre du gyroscope faiblissait, et c’était la chute. L’équipe n’avait eu à subir ce dernier incident qu’une fois et avait bien appris la leçon, la retenue sur salaire causée par l’intervention de l’autre équipe avait pris trois mois à rattraper. Sans compter les railleries qu’ils se prenaient encore au port quand ils les croisaient, ces cons. C’était facile de faire les malins quand on avait le meilleur matos, tiens.
Mais heureusement, rien à signaler, le Cyclope était en parfait état et roulait tranquille sur son itinéraire planifié. Gwen reporta donc son regard vers l’équipe, qui pataugeait effectivement jusqu’aux chevilles dans une boue épaisse et vaseuse, à la recherche d’éléments recyclables ou de déchets volumineux à extirper de la baie ; et sirota son café, bienheureux de ne pas avoir à partager leur infortune pour le quatrième jour de suite.
Il faudrait sans doute qu’il fasse exprès de perdre, la prochaine fois, quand même, sinon leur bonne entente allait subir quelques fêlures évitables. La seule valeur ajoutée de ce boulot, en dehors du salaire, quand même, c’était le travail d’équipe et la relative liberté qu’on leur accordait. Pas d’obligations de résultat, c’était un luxe rare, qu’il avaient obtenu de dure lutte durant la grève de l’année dernière, à laquelle tout le monde s’était jointe. Quoiqu’il arrive, on ne leur enlèverait jamais ça. Mais c’était aussi parce qu’il faisait partie de l’équipe qu’il ne pouvait pas non plus abuser de sa chance ; il fallait savoir se salir les bottes et les mains, sinon le collectif en souffrait forcément.
Mais ça, ce serait demain. Jusqu’à ce soir, il était de surveillance-maintenance, et il ferait son boulot à la fraîche, profitant du joli crépuscule d’été, avec un bon café chaud. C’était comme ça.
Au milieu de ses pensées, il faillit rater le clignotement caractéristique de la sonde écho à sa droite, se reprenant juste à temps pour signaler aux copains qu’ils avaient raté un objet massif, affleurant pourtant la surface de la baie, quelques pas derrière eux. Il les siffla pour attirer leur attention, et enclencha la fonction boucle du Cyclope, pour pouvoir tourner en rond sur place à côté d’eux, le temps qu’ils déterrent la bête et n’aient pas à courir avec un objet potentiellement très lourd derrière lui pour le ranger dans sa soute.
Il n’avait jamais aimé devoir faire des boucles avec le Mono-roue, puisque elle n’était pas optimisée pour surveiller les travaux pendant qu’il bouclait ; il fallait constamment marcher dans le chemin de ronde qui n’en était pas vraiment un. C’était aussi épuisant que stérile. Il se posa donc dans la cabine centrale, et se lança une de ses nombreuses vidéos en retard sur l’ordinateur de bord, histoire de concentrer son attention sur un point fixe et éviter à son oreille interne les perturbations dues au cycle infernal qui s’annonçait.
Il lui fallut en lancer une autre. Puis une autre. Ce fut au bout d’une demie-heure qu’il commença à sérieusement s’inquiéter de ne pas avoir de nouvelles de l’extérieur ; ça ne prenait jamais aussi longtemps, sauf en cas de problème ou de découverte majeure. Mais dans ce dernier cas, il aurait sans doute eu un appel à la radio. Il sortit donc de la cabine pour jeter un œil dehors.
Et il rentra immédiatement pour activer la comm’ d’urgence à destination du port.
« Cyclope pour base, message urgent, code 44-8. Je répète, message urgent, code 44-8. Nous avons trouvé un Mécha armé enfoui dans la baie. »
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