
Rien de nouveau dans l’idée que je manque d’instinct de conservation, non plus dans l’idée que j’aime me devoir à mon public, quitte à volontiers en faire un peu trop dans le dramatique. Toujours est-il qu’une fois encore, j’ai décidé, pour la douleur, le plaisir et une certaine forme de science, de me plonger dans un roman signé Jimmy YOLO Guieu.
Sauf que cette fois-ci, j’avais une nouvelle raison de le faire, une curiosité toute autre, provoquée par un certain RMD bien connu des sphères de l’Imaginaire, responsable du merveilleux NooSFere ; sur lequel j’ai pu voir, grâce à ses précieuses indications, qu’un de mes auteurs favoris avait été prête-plume de ce sacré Jimmy, à savoir Roland C. Wagner, sous le nom de Richard Wolfram. Autant dire qu’en remarquant que j’avais un de ces volumes où il avait fait ses premières armes d’auteur (avec ici aussi le concours du toujours amical et précieux Pierre-Paul Durastanti), il fallait que je passe encore un cap dans mon exploration de l’œuvre de Jimmy Guieu.
Si je me doutais bien que l’ombre de ce dernier planerait forcément sur le volume, je voulais en avoir le cœur net, savoir si j’allais pouvoir discerner sous les manies de celui qui avait des collections à son nom, les fulgurances de cet auteur que j’ai appris à aimer autant qu’à respecter. Là où Jimmy, lui, ne récolte majoritairement qu’un amusement volontiers condescendant, si ce n’est méprisant, par moments. En résulte une lecture assez captivante, au delà d’elle-même, puisque j’ai pu m’y amuser à essayer de lire entre les lignes ce qui était du Wagner et ce qui était du Guieu, ou plus souvent un étrange mélange des deux, où l’on devinait le prête-plume sous le contrôle de l’écrivain établi et reconnu, une certaine forme de cahier des charges, ou parfois une plus grande liberté accordée au débutant chargé de tirer les lignes.
Dénouons un peu cet écheveau infernal.
Comme toujours, vous pouvez retrouver mon live-tweet de l’ensemble du roman en parallèle de cette chronique ou à un autre moment.
Charles Floutard, peintre portraitiste, attend des ami·e·s pour une pendaison de crémaillère dans sa bergerie reconvertie en résidence secondaire sur le plateau de l’Albion. Pris en défaut par une livraison de champagne impossible, il sort retrouver un ami d’un village voisin pour aller en acheter. Mais il se retrouve bloqué à l’extérieur par les gendarmes, une manœuvre militaire fait condamner une route entière. Cela intrigue Floutard, qui contacte son ami Gilles Novak, expert en questions liées à l’étrange. Très vite, c’est une grande bande d’une trentaine de personnes qui se retrouve sur place pour enquêter sur le ballet des camions militaires. Et le secret qui s’apprête à être découvert va emmener ce beau monde loin, très loin. Si loin que le retour s’annonce mouvementé.
Je ne saurais dire exactement si c’est parce que j’ai consciemment cherché et subséquemment trouvé la présence de Roland Wagner entre les lignes de ce roman, si c’est parce que ce premier tome d’une nouvelle série pour Jimmy YOLO Guieu devait être un nouveau départ ou parce que je me suis habitué à certains de ses errements, ou parce que ces derniers se sont atténués. Mais La Force Noire était, des trois romans que j’ai lus signés par Guieu, le moins pire, et de loin. Alors bon, ça ne nous a pas épargné le bingo habituel auquel je pense pouvoir m’habituer désormais, entre la nudité féminine ou les descriptions des femmes de façon bien plus poussée que celle des hommes, les approximations scientifiques autour de concepts ésotériques nébuleux, les placements de produit sans vergogne, les intrigues nouées et dénouées par des personnages qui semblent connaître le script, ou encore pas mal d’idées old school un peu nauséabondes qui souffrent du passage du temps.
Et pour autant, j’ai trouvé qu’il y avait comme une retenue sur beaucoup de ces éléments. Peut-être est-ce effectivement dû au fait que c’est Roland Wagner qui a écrit d’abord et Jimmy Guieu qui est passé derrière lui pour rajouter quelques-uns de ces éléments là où il l’estimait nécessaire sans pouvoir aller dans sa surenchère habituelle en devant du coup réécrire tout le roman. Peut-être est-ce dû, aussi, au fait que l’ambition de ce roman – et potentiellement de ses suites – était clairement plus sérieuse que tout ce que j’ai lu de la part de Jimmy Guieu pour le moment, avec des portées socio-politiques claires et assumées. Je ne saurais dire, vraiment. Mais, oui, malgré les éléments présents du bingo, il y avait des partis pris moins mal exécutés que ce que j’ai pu lire jusque là, des dialogues plus légers et réussis, et même une séquence purement humoristique vers la fin du roman qui était une complète et totale réussite, portant pleinement la marque du Roland Wagner que j’aime, me faisant rire au premier degré, là où je ris plus souvent les dents serrées.
Mais que l’essentiel demeure : si Roland Wagner avait déjà du talent et des fulgurances impossibles à ignorer en tant que prête-plume, Jimmy Guieu avait la main sur ce roman, sans l’ombre d’un doute ; et c’est bien pour ça que ce dernier demeure médiocre. On retrouve dans le roman ce côté « horloge cassée » du romancier, partant dans tous les sens et semblant ne donner ponctuellement la bonne heure que par total accident. On retrouve donc dans ce roman des personnages issus d’autres séries, battant le rappel de ces dernières, fictionnelles ou non, en note de bas de page, nouant certaines de leurs intrigues d’une façon qu’on devine assez artificielle et cynique, quasi industrielle. Comme on devine sans mal les intérêts personnels de Jimmy Guieu à dénoncer la prétendue mainmise du gouvernement sur la sacro-sainte vérité concernant l’existence des aliens, ou l’influence néfaste de « l’axe Moscou-Tripoli » sur le monde ; ou encore beaucoup d’autres histoires et concepts assez invraisemblables qui font se mêler d’une façon étrange la réalité et la fiction avec la réalité qu’il fantasme. En clair, malgré les efforts de continuité et cohérence d’ensemble, c’est le bordel. Un bordel Guieuesque, dans lequel j’arrive à me retrouver et à prendre plaisir tant on côtoie encore les frontières du nanar littéraire, non loin d’une série B presque honnête, mais le bordel néanmoins.
Demeure que j’ai encore une fois pris beaucoup de plaisir, au delà d’une certaine souffrance due à l’exercice du live-tweet, à explorer l’univers de Jimmy Guieu, si daté et étrange ; d’autant plus avec l’idée de pouvoir chercher encore autre chose de nouveau entre les lignes. Pour qui ne saurait pas, je doute que la présence de Roland Wagner eut changé grand chose à l’affaire. Au delà d’une légère mais notable diminution des obsessions de Jimmy Guieu, le cahier des charges demeure assez rempli, à peine dérangé par les petites lubies du prête-plume, qui ne fait finalement que ponctuellement magnifier le remplissage dont son commanditaire est un habitué. On sent toujours qu’il faut faire du signe en quantité plus que de la qualité, mais il y a parfois une agréable qualité exotique dans le remplissage qu’on ne peut que saluer avec le sourire, ne serait-ce que parce qu’elle casse la routine. Ce roman n’était pas bon, encore une fois, mais découvrir ce monde de l’ésotérisme forcené, quasi fanatique, au travers d’une œuvre qui ne se cache pas de vouloir dévoiler « la réalité » au travers d’une fiction aussi foutraque… J’avoue que tout ça a quelque chose d’absolument fascinant et d’horriblement captivant, surtout allié à cet espèce de cynisme étrange dont Jimmy Guieu ne se cache pas non plus. Le voilà, prêchant la transparence absolue en signant de sa main des bouquins qu’il n’a pas vraiment écrits, avec des placements de produits immondes de détachement, dénonçant le pouvoir d’un argent corrompu et devenu fou, sans même se rendre compte de la contradiction, fier comme tout de nous raconter des calembredaines invraisemblables, embarquant même ses ami·e·s dans ses histoires inventées-mais-pas-vraiment. J’en viendrais presque à éprouver une forme de tendresse coupable pour son jusque-au-boutisme désabusé.
Et du coup… Bah je vais me mettre en quête du tome suivant, je crois bien. Parce que la conclusion de ce volume est absolument daubée, mais les perspectives ouvertes me rendent terriblement curieux, quand même. Comme j’ai déjà pu le dire, il y a un côté capsule temporelle dans ces romans, une sorte de petit miracle de la causalité qui me permet d’effectivement voyager dans le temps, à travers la psyché singulière de cet énergumène dont je n’arrive pas à tout saisir, accédant sans doute à un de ses rêves d’écrivain de science-fiction, pour le temps où il en fut un avant d’être… autre chose.
Je ne regrette toujours pas ces excursions en terres étranges. De moins en moins, à vrai dire, malgré la difficulté de l’exercice, parce que j’y trouve, d’une certaine façon, une autre forme de cette altérité que j’aime tant retrouver dans des œuvres bien plus qualitatives ; mais ici avec le luxe absolu de la distance. Je peux bien juger Jimmy Guieu comme je veux, ça ne fera sans doute de mal à personne. En tout cas pas à moi, ni aux gens assez atteints pour avoir envie de me suivre dans ce genre d’aventures.
Qu’iels en soient éternellement remercié·e·s.
À la prochaine, donc.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉