« Mais dans quelle galère est-il encore allé se mettre, lui ? »
Question légitime, s’il en est. Encore une fois, je dois reconnaître que mes tendances à l’amusement littéraire et mes facéties sur les réseaux m’ont amené un peu trop loin pour le bien de ma santé mentale. Je vous ferai la grâce de l’intégralité de l’histoire qui m’a mené ici, elle est inutilement longue et compliquée à retranscrire. Tout ce que vous devez savoir, c’est que je suis ici pour tenir un engagement auprès de Nelly Chadour, que j’aime bien et que j’aimerais éviter de vexer. L’engagement en question étant évidemment l’existence même de cette chronique, qui s’est annoncée compliquée dès lors que j’ai pris la pleine mesure de l’éloignement thématique et générique entre les deux œuvres concernées.
Croiser les chroniques, pourquoi pas, mais il faut comparer ce qui est comparable ; et en effet, en dehors de leurs qualités de livres, ces deux ouvrages n’ont rien en commun ou presque qui justifierait une opposition se voulant objective. Ça tombe bien, je ne prétends pas à une quelconque objectivité, que je trouve souvent illusoire et trop propice à l’usage de la mauvaise foi. Cette chronique croisée sera donc pleine, remplie à ras-bord de subjectivité. Du genre qui tâche, je préviens. Et comme je veux vraiment la jouer aussi transparent que possible, je vais vous annoncer la démarche en avance, histoire qu’on soit sur la même longueur d’ondes. Ce que je vais faire, après un résumé succinct des deux romans et l’exposition claire et rapide de mon avis, c’est surtout vous expliquer pourquoi, pour moi, au delà même des qualités et des défauts des deux ouvrages, l’un des deux était condamné à subir mes mauvaises humeurs, et pas l’autre, ou pas autant.
Alors forcément, ce sera très personnel, avec une sincérité sans doute un peu abrupte par moments – je me connais – que j’enjoins toutes les personnes qui liront ce billet à ne pas prendre personnellement. Mon avis et mes goûts ne constituent pas un jugement en dehors de mon seul prisme.
Tout étant dit, je crois, il est temps de s’y mettre.
D’un côté, nous avons Chaque femme est un roman. Autobiographie à peine déguisée de l’auteur, éclatée en une cinquantaine de scènes, autant de portraits des femmes qui selon lui ont été les vectrices d’importantes leçons de vie l’ayant construit au fil de son parcours.
De l’autre, Espérer le Soleil nous narre les parcours croisés, presque le carambolage karmique, de plusieurs personnages aux parcours diamétralement opposés dans une Londres uchronique de 1951, étouffée par l’hiver nucléaire provoqué par la destruction d’une vaste partie du monde par un Joseph Staline au comble de sa paranoïa. La population y vit dans l’attente désespérée du retour du soleil, prisonnière d’un monde hostile où vampires et Rôdeurs de la nuit se multiplient, et où la pègre a autant de pouvoir sinon plus que le gouvernement en place.
Autofiction d’un côté, Imaginaire de l’autre. Un premier instinct me ferait facilement que dire que la comparaison directe des deux ouvrages n’aurait que peu de sens. Et pourtant, je pense que ces deux romans, dans leur disparité, ont réussi à me démontrer exactement pourquoi mes goûts me porteront toujours du côté de l’Imaginaire plutôt que de celui de la littérature générale, qui s’est beaucoup (trop) portée vers l’autofiction ces dernières années. C’est de ça que j’ai envie de parler, à l’issue de ces deux lectures, parce que c’est ce à quoi je n’ai jamais cessé de penser.
Une précision, tout de même, qui me parait vitale, par souci d’honnêteté. L’autofiction n’est pas une « mauvaise » forme littéraire en soi : il n’en existe pas dans l’absolu, ce n’est qu’une question de sensibilité personnelle avant tout. Et surtout, Alexandre Jardin, avec Chaque femme est un roman, à mes yeux, n’en est pas du tout un noble représentant, mais plutôt une abjecte caricature.
D’abord, on passe par la case obligatoire du style, mon obsession numéro 1 quand il s’agit d’expliquer pourquoi je me suis énervé au cours d’une lecture, je confesse. Mais vraiment, je ne comprends pas cette manie très française de toujours se croire obligé de faire des phrases, pour convoquer Audiard. Dans ce roman, Alexandre Jardin semble incapable de dire les choses simplement, c’est insupportable. Bien au delà des formulations ampoulées et volontiers alambiquées, on a surtout le droit à un étalage pédant et incessant de vocabulaire destiné à faire briller son utilisateur, quitte à parfois (souvent) risquer la sortie de route du sens.
Et puisqu’on parle de l’utilisateur en question, arrêtons nous quelques temps sur l’auteur. Je savais avant d’ouvrir ce bouquin qu’Alexandre Jardin est ce qu’on pourrait pudiquement appeler un personnage. Je ne savais de lui que quelques unes de ses relativement récentes frasques égocentrées qui auraient pu passer pour amusantes si elles n’avaient pas si souvent empiété sur la tranquillité de pauvres gens qui ne lui avaient rien demandé. Mais en lisant ce roman, je me suis cruellement rendu compte à quel point cet homme est infernal de mégalomanie et de prétention. Prétendre parler de femmes (avec une approche horriblement sexualisée et essentialiste) pour toujours finalement revenir à lui et à son génie, à l’impact incroyable qu’il aurait sur son lectorat (essentiellement féminin), à sa capacité apparente à pouvoir retirer de tout événement une leçon de vie, j’appelle ça du narcissisme malsain.
Mais si au fond je me suis agacé et m’agace encore (euphémisme) de la misogynie crasse qui parcourt ce texte, comme du terrible manque d’empathie de son auteur qui explique tranquillement avoir pu ressentir une forme de soulagement au moment du suicide de son frère parce qu’il avait un problème avec la femme de ce dernier, ou avoir pris du plaisir à ses 9 ans à tirer sur des animaux domestiques à la carabine, ou encore de la terrible déconnexion d’un bourgeois qui semble jamais avoir eu à s’inquiéter de rien d’autre que de sa carrière, de ses soucis familiaux ou des problèmes sociaux, que son caractère lunaire lui aura provoqués ; rien ne m’aura autant fait littérairement sortir de mes gonds que la profonde malhonnêteté de ce roman.
Parce que ce roman commence par une rapide exergue, voyez vous. « Deux épisodes de ce roman en liberté sont imaginaires ; naturellement, ce sont les plus sincères. » Tout le problème est là. Quels épisodes ? Lesquelles de ces anecdotes fumeuses censées avoir appris quelque chose à Alexandre Jardin – et nous apprendre quelque chose – sont fausses, et lesquelles sont véridiques ? Ces leçons ont-elles dès lors une quelconque valeur, puisqu’elles peuvent toutes être nées de l’imagination de l’auteur pour justifier n’importe laquelle de ses lubies ? Et de là, puis-je seulement accorder le moindre crédit à aucune de ses histoires, qui le dépeignent toujours positivement, dans une lumière néo-romantique, où la moindre contradiction avec les codes établis, la moindre transgression, deviennent des preuves d’une incroyable capacité de disruption et de « pensée hors de la boîte » ; comme si prendre un contre-pied était intrinsèquement positif, sans jamais la moindre considération pour le contexte dudit contre-pied, qui le justifierait ou non. « Je suis génial parce que je suis toujours imprévisible », en somme : non.
Mais pour ce qu’Alexandre Jardin a d’insupportable en lui-même, et de caricatural dans ce qu’il représente de l’autofiction avec ce roman, il incarne tout de même suffisamment ce qui me chiffonne personnellement avec ce genre littéraire – au demeurant respectable, j’insiste – pour me fournir une ouverture. J’ai une lecture très analytique, et surtout très politique (Scoop, je sais). J’aime quand les œuvres que je parcours bousculent mes idées préconçues, mes préjugés, mes certitudes, même un tout petit peu. Et j’estime qu’à ce jeu là, l’Imaginaire a plusieurs longueurs d’avances, par le simple choix du cadrage de ses récits. Comprenons nous bien. Le dénominateur commun de tous, absolument tous mes plaisirs littéraires, est et demeurera, fondamentalement, le talent ; c’est à dire la convergence des idées et du travail conséquent qui va avec pour leur prêter vie. Un exceptionnel roman de littérature générale mettra toujours à l’amende un mauvais roman d’Imaginaire : la clé de voûte sera toujours l’exigence de l’auteurice derrière la plume, dans un cas comme dans l’autre. Ou même à l’inverse.
Mais pour autant, par le choix d’un cadre autre, de personnages fondamentalement différents, par leurs parcours, leurs conditions de vie et d’existence, l’Imaginaire fait toujours un pas de géant dans la même direction que moi, ce que ne fait que trop rarement la littérature générale/ dite « blanche », et par extension l’autofiction, qui par définition, reprend toujours un prisme unique et désespérément réaliste. On peut faire de belles choses avec la réalité : j’en ai lues. Mais si je lis, ce n’est pas pour me plonger encore plus profondément dans ce que je connais déjà, j’avoue. (Et ne me lancez pas sur le profil habituel des auteurices producteurices d’autofiction dans ce pays.) Bien au delà de la tarte à la crème de l’évasion, c’est l’altérité que je recherche, une façon détournée de me poser des questions nouvelles. Comme le dit La Mort de Terry Pratchett dans ses Trois Soeurcières, « Les humains se croyaient désireux de sortir d’eux-mêmes, et tous les arts qu’ils imaginaient les y faisaient entrer davantage. » On ne peut pas s’évader. On ne peut que mieux réfléchir, ou différemment. En tout cas c’est ce que je cherche, personnellement.
Si j’aime si profondément l’Imaginaire, c’est bien parce que j’ai le sentiment qu’au delà de poser ces bonnes questions, on y trouve surtout rarement la prétention de donner les réponses, ou en tout cas avec suffisamment de recul et de mise en contexte pour éviter une regrettable tendance au péremptoire ou à un universalisme essentialiste de mauvais goût. Ce qui nous amène à cet excellent Espérer le soleil, qui brille précisément là où son homologue est terne, en plus de le faire sur ses propres mérites ; même si la comparaison directe et une certain pollution mentale ont souvent été inévitables pendant ma lecture, proximité entre les deux, découvertes et perspective de cette chronique obligent. Mais avant de revenir à ce que cette proximité m’a inspiré, éloignons nous de la comparaison pour ne parler que du roman en question ; nous n’y reviendrons que mieux.
J’ai beaucoup aimé ce roman, pour le dire vite. Pour le dire un peu moins vite, il cumule avec efficacité beaucoup de mes faiblesses personnelles, entre l’exercice périlleux mais diablement enthousiasmant de l’uchronie, une narration à points de vue multiples et la réinvention partielle de figures établies de l’Imaginaire, entre classicisme et ajustements plus modernes et/ou cohérents avec la diégèse. Nelly Chadour triche, mais ostensiblement. Donc elle ne triche pas, elle change les règles. Et surtout, elle fait la part belle à une idée que je trouve trop rarement exploitée avec suffisamment d’équilibre ou de force dans tous les domaines littéraires, à savoir que la vie, et tout ce que ça implique, c’est compliqué. Il ne s’agit pas juste d’empiler les drames et les conflits les uns sur les autres pour rendre compte d’un tel constat, qui pourrait passer pour simple ou simpliste. Trop souvent, je lis des personnages s’embrouiller, mentir, directement ou par omission, voire même involontairement, sans jamais y revenir tant que le scénario n’en avait pas décidé autrement.
Or, Nelly Chadour, ici, bien au delà des évidents conflits entre les personnages qui meuvent une partie du récit, se concentre assez brillamment, je trouve, sur les relations qu’entretiennent les personnages avec eux-mêmes. Et c’est là qu’on trouve cette complexité que je salue, celle qu’on trouve dans nos paradoxes, nos non-dits et nos inconscients, celle qui motive en sous-main des décisions stupides mais motivées, dont on ne comprendra les raisons que lorsqu’on aura fait le deuil de leurs racines insoupçonnées. Le roman fonctionne du feu de dieu parce qu’il laisse la place aux errements de ses personnages sans jamais prêter le flanc à un pathos exagéré ou à une quelconque artificialité. Alors certes, ça peut donner parfois quelques dialogues un peu rigides ou quelques flottements dans le rythme général, mais ça ne m’a jamais gêné, parce que paradoxalement, cela conférait à l’ensemble une patine terriblement humaine. Il n’y a pas de vrai·e·s héro·ine·s dans ce roman au sens le plus noble et éculé du terme, puisque tout le monde y est l’ennemi potentiel de tou·te·s les autres, à la merci des circonstances et d’un besoin impérieux de survivre face à une adversité omniprésente et terriblement dangereuse, prendrait-elle simplement l’apparence d’un destin capricieux.
La vie, c’est faire des choix, et faire des choix, c’est foutrement compliqué.
Et c’est là qu’on peut en revenir à l’autofiction en général, et plus particulièrement à Alexandre Jardin, puisqu’il est à notre disposition le temps de cette chronique. J’aime souvent parler de cadrage, pour expliquer pourquoi un ouvrage littéraire m’a plu ou déplu ; et je crois que cette notion s’applique extrêmement bien à la différence fondamentale de perception entre les deux romans du jour, à mes yeux.
Du côté de l’autofiction, nous avons le regard d’un littéral bourgeois, héritier, sans aucun souci d’argent, pouvant décider de partir une semaine aux Baléares sur un coup de tête, de prendre son temps pour écrire ses romans de la façon qui lui siéra, avec un réseau ouvert sur les plus grandes maisons d’édition grâce à son seul nom, puisant d’ailleurs dans ce dernier l’inspiration pour une bonne part de sa production. Alexandre Jardin ne vit pas dans le même monde que la plupart des gens, et ça se ressent autant dans ses réflexions que dans son point de vue sur le monde, qui tourne nécessairement autour de lui et de ses obsessions. Ne connaissant pas grand chose du vrai monde, ou du moins d’un monde existant hors du sien, il en entend parler et se fait une idée dessus, que personne ne viendra vraiment discuter, forcément, à moins qu’il produise l’effort d’aller à sa rencontre, ponctuellement, à sa façon.
Encore une fois, il faut minorer mon reproche à l’égard d’un genre respectable à l’aune de la perspective singulièrement biaisée de cet auteur. Mais pour autant, je pense qu’une partie de ces reproches demeurent valables à mon échelle pour une grande partie de cette production. Un point de vue centré autour d’une perspective unique, malgré tout ce qu’elle pourrait avoir à dire, demeure tronqué et insuffisant pour traiter quasiment n’importe quel sujet. Dès lors la moindre manipulation romanesque du récit prend le risque de dérailler l’ouvrage, le faisant entrer dans une vallée dérangeante littéraire ; un dialogue trop écrit, une rupture de cohérence, et tout s’effondre, parce que l’ouvrage est d’autant plus fragile qu’il ne demande rien d’autre qu’à être évocateur. Alors forcément, l’autofiction, c’est aussi une question de goûts, d’envie ou non d’aller au delà de la réalité, ou de s’y ancrer le plus solidement possible. Cela permet très régulièrement d’aborder des thèmes importants, essentiels, mais cela manquera forcément de profondeur et de complexité pour que j’y trouve personnellement, littérairement, mon compte. Que de tels ouvrages existent est important pour une éventuelle valeur testimoniale, mais ils existent trop souvent à mes yeux pour valider les egos de gens qui n’avaient sans doute pas besoin d’écrire un roman ou de raconter une histoire vraiment importante, confondant cette notion avec celle de « personnelle ». Et pour être clair, une histoire personnelle aussi a le droit d’être racontée, et le mérite autant que n’importe qu’elle autre. Mais je pense, à mon humble niveau, que certaines maisons d’éditions tablent un peu trop sur la valeur marchande d’un nom plutôt que sur la qualité et l’importance desdites histoires. Je ne demande qu’à être convaincu du contraire, j’ai simplement trop souvent été déçu par le passé.
Mais repassons du côté de l’Imaginaire. Dans Espérer le soleil, nous avons une rencontre, violente, entre différents mondes cohabitant dans un ensemble plus vaste. Le regard d’une autrice qui essaie de rendre compte au travers des luttes personnelles et collectives de ses personnages la complexité d’un monde qui est à la fois le nôtre et pas du tout. Là où Jardin triche et ment, ou du moins joue sur un certain flou pour ajouter du romanesque à une réalité qu’on devine assez terne ou ennuyeuse, Nelly Chadour ne ment pas ; elle ne « triche » que quand elle est bien sûre qu’on regarde attentivement. Au contraire, le contrat est établi dès le départ, il n’y a aucun doute à avoir sur la réalité des faits qui nous sont décrits. Ils sont intégralement faux, et dès lors, on peut se permettre d’y croire, le temps de la lecture, on n’a pas à douter en dehors des clous induits par les qualités ou les défauts propres au récit. On peut de fait y discerner cette forme de sincérité que j’évoquais plus haut, une sorte de transparence. Parce que les luttes de ses personnages, teintées de la réalité qui leur est propre, nous reviennent en pleine tronche, par le jeu de l’exagération, de la caricature qu’induisent par exemple les éléments fantastiques : tout n’est qu’affaire de manipulation de symboles, de métaphores et d’analogies. Des qualités que je prête plus volontiers à l’Imaginaire, dès lors qu’il s’assume comme tel. (Là non plus, ne me lancez pas sur ce sujet.)
Alors certes, l’Imaginaire ne fait pas toujours office de conduit propre à l’analyse ou à l’interprétation. Il ne peut s’agir, comme dans la littérature générale, d’ailleurs, que de raconter une bonne histoire et de divertir, ce qui amène des exigences particulières, similaires, complémentaires ou supplémentaires. C’est important de se rappeler de ça, parfois, surtout pour moi, il peut ne s’agir que d’apprécier une bonne histoire, pas de chercher à tout prix un sens caché ou plus ou moins camouflé. Mais n’empêche que tout est politique à mes yeux, c’est inévitable. Vouloir raconter une histoire purement divertissante, c’est déjà une prise de position, dépourvue de neutralité ; raconter une histoire c’est choisir un point de vue et ses implications, explicites comme plus discrètes. Raconter une histoire, c’est choisir ce qu’on met en lumière dans le monde que l’on présente, c’est montrer ce qu’on voit du monde qui nous entoure et accepter que ce qu’on illumine ne corresponde pas aux perceptions des gens qui nous lisent. Et c’est pour ça que je préfère l’Imaginaire à une littérature dite « réaliste » ; parce que ces décisions créatives, de par leur visibilité, rendent les enjeux à la fois plus complexes et plus clairs à voir, là où j’ai trop souvent le sentiment que la littérature générale se contente de constats à plat, sans réelle volonté d’aller plus loin, comme si ces derniers suffisaient, comme si l’émotion seule pouvait faire changer les choses. Dès lors, je n’y trouve pas mon compte et je reste trop souvent sur ma faim. L’Imaginaire reste aussi fondamentalement impuissant à directement changer les choses, évidemment, mais amène plus facilement à imaginer, précisément, des solutions ou du moins des pistes de réflexion, à ajouter de la force d’impact grâce aux détours effectués.
Personnellement, en tout cas, j’ai plus facilement tendance à considérer les choses sous un nouvel angle lorsque je les vois différemment de d’habitude, même avec des variations qui resteraient infimes. Je préfère trouver une leçon cachée dans un récit au détour d’un dialogue ou d’une épiphanie d’un personnage plutôt que me la faire asséner directement par l’auteurice, en italiques, comme une morale de fin de fable au fil du texte. C’est peut-être un défaut de caractère, j’en conviendrais bien volontiers, ou juste une différence de câblage mental, mais j’ai horreur qu’on me dise comment penser à l’aune d’une sagesse auto-proclamée, surtout née d’une expérience purement personnelle. Je préfère largement qu’on partage avec moi une vision du monde, passant au travers du prisme d’une histoire, de ses personnages et de ses métaphores, pour me faire comprendre l’intention, en me laissant me dépatouiller avec tous les éléments ainsi mis à ma disposition. Et de fait, oui, aussi, je préfère les histoires qui sortent de l’ordinaire, ça facilite clairement le travail, c’est vrai ; surtout quand je n’ai pas des pulsions de violence envers les auteurices qui les écrivent. Ça aussi ça aide.
Alors voilà. Que retenir de toute cette étrange aventure, finalement ?
Bon, déjà, clairement, qu’Alexandre Jardin, en tout cas avec ce roman particulier, c’est très mauvais ; et si vous me connaissez, vous savez que je ne dis pas ça à la légère. C’est sans aucun doute l’un des pires romans que j’ai jamais lus, tant en terme de forme que de fond. Le genre de mauvais texte qui a en plus la sournoiserie de vous rester en tête tant vous n’arrivez pas à croire ce que vous avez lu. En ajoutant à ça ce défi (un peu bête, j’avoue) de la chronique croisée, je crains que ma lecture d’Espérer le soleil ait été un peu corrompue, à force de réfléchir à l’axe de cette chronique et aux potentiels rapprochements entre les deux œuvres.
Mais pour autant, il m’est apparu assez clairement, qu’en dehors de toute comparaison, ce roman de Nelly Chadour est très bon. Et en dehors de mes considérations personnelles sur la littérature générale (qui valent ce qu’elles valent, n’est ce pas) et de mes ambitions à aller plus loin qu’une simple chronique parallèle pour cette occasion, j’aimerais que ce soit cette excellence qui en ressorte avant tout le reste.
Espérer le soleil est un roman ambitieux, exigeant, sachant ménager un excellent équilibre entre ses aspects de pur divertissement, autant graphiques que conceptuels, et ses aspects plus politiques, enragés, que j’aime beaucoup chez Nelly Chadour, côtoyés notamment dans Hante-Voltige. On pourra signaler par honnêteté un côté peut-être un peu jusqu’au-boutiste dans l’empilement des catastrophes au sein du récit et sur certains personnages, ce qui pourrait rebuter certain·e·s ; mais cela participant à mes yeux de l’effort symbolique général du récit et d’une certaine cohérence au sein de l’univers dans lequel tout ça se déroule, j’aurais tendance à l’accepter gracieusement.
De toute façon ce sera jamais pire ou moins crédible que les prétentions mythomanes d’Alexandre Jardin.
Mais bien au delà de me rendre compte de la vacuité terrible du travail de cet auteur pour le moins singulier, je peux me réjouir, je crois, d’avoir encore une fois su profiter d’une instance de lecture (très) difficile pour affiner ma conception des choses à l’échelle littéraire. Certes, il est un peu dommageable que je doive m’infliger des trucs pareils pour verbaliser plus finement mes pensées, mais il semblerait que c’est comme cela que je fonctionne. J’ose espérer qu’au moins mes idées auront su éveiller votre intérêt et surtout qu’elles auront été exprimées avec assez de clarté pour bien rendre compte de leur côté absolument personnel.
Si je devais avoir un mot de fin, ce serait sans doute ça, du coup : aimez ce que vous aimez, et partagez cet amour sans modération.
Moi j’aime pas Alexandre Jardin, mais j’aime beaucoup Nelly Chadour. Lisez Nelly Chadour.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
J’ai retenu plusieurs leçons:
1- Tu es courageux ou complétement fou pour tenir ce genre de promesses
2- Alexandre Jardin ça craint
3- Espérer le soleil a l’air franchement pas mal
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Oui.
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