
Get Out – Yonaka (extrait de l’album Seize The Power)
Heartbeat of the Dead – Mono Inc. (extrait de l’album Ravenblack)
Il y a beaucoup (trop) de livres dans ma PàL que je laisse traîner des mois voire des années avant de m’y consacrer, pour bien trop de raisons ; allant de tout à fait valables à absolument stupides. Le roman du jour rentre plutôt dans la deuxième catégorie. Il m’avait été très chaudement recommandé par mon patron pendant mon apprentissage en librairie, vieux fan de SF, à un tel point que je me suis porté acquéreur des deux tomes du dyptique dès sa sortie en poche, envoyé en quasi-exclusivité depuis le Québec par son éditeur ; mon patron était si fan qu’il continuait à le vendre en grand format depuis sa première sortie.
Et donc, bien que j’avais relativement confiance en son jugement, j’avais bêtement peur, depuis tout ce temps, que le roman ne soit simplement pas à la hauteur de la réputation qui m’avait été dépeinte ; d’autant plus avec l’expérience accumulée prouvant que bien qu’étant un lecteur de goût plutôt aligné sur mes valeurs, mon patron n’avait pas exactement les mêmes préférences que moi. Je blâme la différence d’âge, avec un peu de mauvaise foi. Mais j’avais trainé trop longtemps, me suis-je dit : et un dyptique de pure science-fiction venu du Québec, quelque part, ça ne pouvait que rentrer dans mon ambition de découvrir des choses un peu différentes de ce que je recherche d’habitude.
Et le verdict est tombé après une semaine de lecture un peu compliqué : ok, c’est bien, et je veux lire la suite. Mais je n’avais pas tout à fait tort de craindre la déception ; il est possible que le roman m’ait été un poil survendu.
Que ce soit mis à la fois au crédit du roman et un peu à son débit, son intrigue est extrêmement dense, et impossible à résumer de façon synthétique et simple, je vais donc me permettre de le faire d’une manière un peu plus informelle (et volumineuse) que d’habitude. J’espère que vous trouverez la force de me pardonner :
Nous avons donc un récit qui se concentre sur trois trajectoires différentes, réparties sur deux lignes temporelles distinctes. Nous sommes d’abord – et principalement – en 3045, dans la ville de Nagack, suivant Takeo, un jeune Mikaï. Il fait partie d’une race à mi chemin entre le singe et l’homme, entièrement créée par les Eridanis, une race hominidée descendant de notre humanité, bien plus avancée à tous les niveaux, à un tel point qu’ils se donnent comme mission première de coloniser l’espace tout entier. Takeo vit avec son grand-père, un Mikaï comme lui, de plus en plus sujet à des crises de régression, causées par le Mal de Rumack, sorte de maladie neurodégénérative touchant les Mikaïs, instillée il y a des années par un Eridani renégat. D’une nature rebelle, Takeo est prêt à tout pour trouver un remède pouvant aider son grand-père, au moins dans l’intervalle de temps le séparant de sa prochaine séance de Grand-Renouvellement, le seul palliatif un tant soit peu efficace trouvé par les Eridanis pour permettre aux Mikaïs de demeurer des citoyens productifs.
Dans cette même chronologie, mais de l’autre côté de la frontière, nous suivons plus succinctement Sackurah, reine autoproclamée des Héoniths, peuple de Mikaïs dissidents des Eridanis, dont les ambitions sont clairement belliqueuses.
Et enfin, dans l’autre ligne temporelle, en 2901, nous suivons Nemrick, jeune Eridani missionné à bord du Lemnoth, vaisseau affrété par son peuple à la fois pour aller coloniser les étoiles, mais aussi et surtout aller secourir un autre vaisseau perdu lors d’une mission passée. Nous découvrirons assez vite que la mission dont Nemrick fait partie aura un lien très important avec les aventures de Takeo.
Voilà. Donc, avec ce résumé absolument pas exhaustif et volontiers bordélique – toutes mes excuses, encore une fois – vous avez un aperçu de certaines des grandes qualités et des défauts de ce roman, et sans doute du dyptique dans son ensemble : y en a beaucoup à intégrer. Je n’oserais pas dire que c’est le bordel, parce que ce serait aussi méchant qu’exagéré, mais en vrai, on en est quand même pas très loin. Disons, pour être aussi diplomate qu’exact dans l’expression, que Philippe Aubert-Côté a de l’ambition à revendre : c’est indubitablement un compliment que je lui fais, de mon point de vue, d’autant plus qu’il met les moyens au service de cette ambition. Il s’agit, avec ce roman, de construire un monde réellement étranger, d’autant plus qu’il est construit selon des normes futuristes assumées et foisonnantes, tant dans ce que sont les Mikaïs que les Eridanis ou les rapports extrêmement complexes qu’ils entretiennent.
Mais une telle ambition, ça se paie, forcément ; j’ai mis un bon tiers du romans à seulement comprendre ce que l’auteur voulait raconter, bien au delà des explications d’où on était et ce que tout le monde y faisait. Je peux par exemple citer l’utilisation intensive – et quasi exclusive, d’ailleurs – du lexique, dans ce premier tiers, définissant tout plein de choses faisant purement partie du décor, autant que certains éléments essentiels à la compréhension des enjeux. Personnellement, je suis très dubitatif quant à au moins la moitié de ces définitions incluses au forceps dans le récit, obligeant le lectorat attentif à aller au bout de l’objet livre pour savoir exactement de quoi on parle. Quitte à devoir lire des explications hors du fil de la narration, j’avoue que je préfère autant les notes de bas de page au lexique. Et donc si j’aurais préféré que les éléments essentiels à la bonne compréhension de l’intrigue soient directement inclus dans son fil narratif, je ne peux pas m’empêcher de penser, à l’inverse, que les éléments ne faisant que partie du décor, pour, je pense, ajouter un certain exotisme à un récit déjà extrêmement dense en dépaysement, étaient superfétatoires.
Non sans ironie d’ailleurs, c’est lorsqu’il a fallu que j’explique à l’oral pourquoi j’étais circonspect, rendu au bout de ce premier tiers, que je me suis rendu compte de l’hallucinante richesse conceptuelle de la création de Philippe Aubert-Côté, dont vous n’avez eu, je vous jure, qu’un petit morceau à la lecture de mon beaucoup trop long résumé. Le truc, c’est qu’il y a beaucoup, beaucoup d’idées, dispersées tout le long de ce roman, parfois balancées sans plus de volonté que ça de la part de l’auteur de les creuser ou de les exploiter à fond pour le compte de son récit principal ; ce qui crée un sentiment singulier. D’un côté, j’ai plus d’une fois été frustré en lisant quelque chose que je trouvais être une super idée de science-fiction juste posée là, comme ça, sans plus ; et de l’autre, j’ai plus d’une fois, souvent dans le même mouvement, d’ailleurs, été soufflé par une autre idée. Qui, elle, était creusée juste ce qu’il fallait à l’aune du récit en court, me posant tout un tas de questions captivantes. Encore maintenant, une fois ce premier roman terminé, je ne saurais exactement jurer ce qui m’a vraiment le plus séduit, ce qui m’a le plus interrogé. Parce que si je ne démordrais pas de l’impression que me premier tiers est effectivement un peu trop lent, touffu, trop riche pour son propre bien, les deux tiers suivants m’ont eux, complètement accroché ; j’ai vraiment, maintenant, envie de savoir comment tout cela va se terminer, et surtout, comment les concepts les plus cools et surprenants déployés par Philippe Aubert-Côté vont s’intriquer avec les éléments les plus communs ou prévisibles de son récit.
C’est là que j’explique qu’effectivement, je pense que mon patron m’a un peu survendu ce roman. Si j’ai absolument adoré son world-building, allant de sa construction politique à ses efforts d’inclusivité en passant par ses aspects les plus hard-SF, je crains quand même que son récit, en lui-même, une fois réduit à ses plus simples expressions, soit un peu trop simple, voire simpliste. Et ça m’embête de le dire autant que de le constater, parce qu’encore une fois, les ambitions de l’auteur sont criantes, aussi criantes que l’évident mal qu’il s’est donné à intégrer toutes ses envies dans un récit flamboyant de créativité. En fait, je dirais que la diégèse créée par Philippe Aubert-Côté aurait peut-être mérité un récit d’une plus grande ampleur, ou passant par des chemins moins convenus, pour parvenir à la faire briller de façon plus spectaculaire. Ce n’est pas pour dire que l’intrigue en elle-même n’est pas bonne : elle l’est, clairement. Mais elle aurait sans doute pu être encore meilleure, je trouve, en se reposant sur des mécanismes narratifs un peu moins éculés, ce qui lui aurait permis de tirer pleinement profit, à mes yeux, de tout ce qui est complètement réussi au sein de ce roman. Mais je pinaille, honnêtement ; j’ai trouvé beaucoup d’éléments auxquels me raccrocher avec beaucoup de plaisir dans cette histoire, autant de mon point de vue d’indécrottable analytique que de mon plus rare et pur point de vue de lecteur. Parce que malgré mes reproches sur le fond comme sur la forme, je me suis fait avoir plus d’une fois au fil de cette lecture, notamment là où je pensais que l’auteur faisait trop de révélations trop tôt, alors qu’il ne faisait qu’allègrement et malicieusement épaissir la brume.
Il ne me restera plus qu’à lire la suite et fin, donc. Alors pas tout de suite, parce qu’il y a clairement une grosse part de digestion à faire, et que je veux attaquer le second volume du dytpique avec toute l’énergie et l’allant possibles : il y a fort à parier que je ne suis pas du tout au bout de mes surprises, surtout en tenant compte de la tonne de (très bons) retournements de situation qui me sont tombés dessus dans les cent dernières pages. Je reste un peu circonspect quant à la qualité à venir, étant pour toujours craintif des œuvres démarrant fort pour s’écrouler quand vient le moment de conclure en beauté. Mais dans tous les cas, je serais ravi d’avoir découvert cet ouvrage, qui propose un paquet de choses passionnantes à découvrir et à discuter, et j’ai hâte de pouvoir vous dire tout ce que je pense de l’intégralité de cette courte mais clairement dense saga.
Rendez-vous est pris, donc. Dans l’intervalle… Hm.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉