
Bad Boy – Dan Croll (extrait de l’album Emerging Adulthood)
C’est marrant comme la façon dont est marketé un bouquin peut jouer sur la perception qu’on en a à la lecture, au delà même de notre envie de l’acheter ou non, au départ. Parce que bon, j’ai acheté très tardivement cet ouvrage de Catherine Dufour, plus dans une optique de complétionnite de ma collection de ses titres que par profonde envie particulière de le lire ; ceci dit sans volonté d’offense. Le truc, c’est que je n’ai réellement entendu parler de ce roman que dans sa dimension « Anti-Twilight », éclipsant toutes les autres lectures et intentions pouvant lui être prêtées ; et comme je ne goûte que très guère l’intertextualité quand elle se veut… disons agressive, bah forcément, j’étais pas ultra chaud.
C’est pas que je suis un fan de Twilight, au contraire, et ce pour plein de raisons évidentes, mais pour autant, ne les ayant pas lus, je trouve que c’est une cible un peu trop facile, depuis le temps ; et surtout que définir un roman comme anti-quoi-que-ce-soit, ça ne m’intéresse pas. Mais bon, le fait est que Catherine Dufour, encore une fois, et pour l’éternité : c’est pas n’importe qui. Donc il fallait bien que j’y passe un jour, histoire de savoir ce que la dame avait à raconter sur ce que je croyais être le sujet de ce roman, rapport au marketing, tout ça ; vous avez l’idée. Et puis en plus je venais de terminer Sinteval, qui était vachement bien, dans une autre veine, je me suis dit que ça faisait ton sur ton, c’était un enchaînement sympa.
Et donc, maintenant, le bilan :
Bah oui, c’était super. Évidemment. Et surprenant, surtout. Super ; parce que surprenant, même.
Catherine Dufour, quoi.
Myriame est de retour à Paris après quelques temps passés à Amsterdam, un peu en catastrophe. Sa vie sur place ne s’étant pas vraiment goupillée comme elle l’aurait espéré, elle a du se débrouiller et vivoter pendant un temps. Elle revient donc grâce à l’obtention d’un petit boulot en CDD qui va lui permettre – elle l’espère – de remettre le pieds à l’étrier. Mais alors qu’elle prend ses fonctions à l’étrange Zuidertoren, elle fait la connaissance à distance de Duncan Vane, un des patrons de la boîte, avec qui elle va nouer une relation non moins étrange. Et de cette relation vont naître des révélations et une histoire peu commune, menant Myriame à remettre en question tout ce qu’elle croyait savoir.
Bon. Commençons par l’évidence : romance surnaturelle. C’est le thème principal, et celui qui, je l’avoue sans peine, ne me rendait que très bassement curieux en lui-même, n’eut-il pas été traité par une autrice dont je sais qu’elle a un don singulier pour ne rien faire comme tout le monde. Et du coup bah même de ce côté là, j’ai été séduit autant que convaincu. D’abord parce que le personnage de Myriame, dans ce qu’on devine de son parcours comme de ses valeurs, est diablement attachante ; il me paraît très aisé d’entrer en empathie avec elle. Et que malgré ses évidentes qualités humaines, Catherine Dufour prend le soin, au fil de sa narration, de lui donner un maximum de souffle et d’organisme, comme elle seule sait le faire. Quelques accès de vulgarité bien dosés, quelques défauts, des prises de décision questionnables, quand même, de quoi donner de l’équilibre à l’ensemble, ne pas verser dans un pathos malvenu ou un récit trop attendu. Et ça passe par beaucoup de petites choses, comme à chaque fois dans les romans de l’autrice, et ce dont je ne me lasserais jamais : le sens de la formule, des métaphores complètement obliques mais terriblement évocatrices et claires, autant de petites claques qui sonnent à chaque fois avec un accent de vérité merveilleux, sans jamais en faire trop. Voilà, la base, en somme : c’est une bonne histoire, et elle est super bien racontée.
Mais puisque on parle de Catherine Dufour – si vous n’aviez pas encore compris – évidemment, ça va bien plus loin qu’une « simple » bonne histoire d’amour surnaturelle avec des twists sur la formule consacrée. Si au premier abord et pendant un bon tiers on est dans un fonds relativement convenu magnifié par la plume acide et merveilleuse de l’autrice dont on a l’habitude, on a droit à plusieurs virages bien serrés qui changent drastiquement la donne, et ce – à mes yeux – pour le meilleur. D’abord pour le bien du récit lui-même qui profite tant dans la forme que dans le fonds de ces bouleversements, donnant sens à absolument tout ce que la narration nous livre, y compris le plus subtilement, mais aussi et surtout parce que l’intertextualité marketée en amont prend ainsi son sens.
Pour être honnête, malgré mon enthousiasme global, je dois quand même dire, après cette lecture, que je regrette toujours un peu cet axe « anti-Twilight », qu’il fut à l’initiative de l’autrice ou non. Parce que je pense sincèrement que Entends la nuit trouve ses qualités premières et propres bien loin des poncifs toxiques et malsains qu’il entendrait dénoncer selon cet axe, et ce en dépit de ses meilleures intentions ; ce que je veux dire, c’est il n’a pas besoin de rabaisser d’autres textes pour être bon tout seul, au contraire. Et en même temps, il faut bien admettre que lire un personnage féminin tomber dans les griffes d’un bellâtre ayant l’ascendant sur elle à tous les niveaux, mais à son corps défendant, devant se débattre avec ses pulsions comme ses devoirs et ses valeurs, c’est aussi passionnant que rafraichissant, d’une certaine manière. Ce n’est pas cousu de fil blanc, pour le dire plus simplement : on ne sait pas d’emblée où tout ça va terminer.
D’autant plus rafraichissant, je dois le dire, que ce que j’ai trouvé là-dedans, bien au delà du récit lui-même qui était frontalement fascinant à suivre, tant narrativement que conceptuellement, c’est une superbe métaphore du monde du travail et de la société moderne, notamment au travers du prisme hiérarchique, managérial, etc. J’oserais même dire une attaque en règle sur les luttes de pouvoir au sein des entreprises et du monde privé en général, avec le filtre du patriarcat à rajouter par dessus tout ça : évidemment que ça m’a plu. D’autant plus que pour une fois, je n’ai pas trop peur d’avoir versé dans la surinterprétation, les indices sont à mes yeux trop proprement disséminés, trop clairement établis comme tels ; Entends la nuit est construit comme une poupée gigogne.
Et de fait, puisque Catherine Dufour est trop forte, eh bah c’est super bien fait et c’est formidable, voilà. On passera peut-être sur une fin un tout p’tit poil abrupte à mes yeux et laissant quelques pistes pas refermées ; ça participe aussi un peu de son charme comme de son ouverture à interprétations, puisque tout nous est livré au travers de Myriame, elle-même pas toujours au clair avec ses envies, ses besoins ou ses ambitions. Donc au pire, c’est raccord, et l’essentiel du travail était déjà bien abattu avant la conclusion, qui n’est là que pour dire que justement, le contrat avait été conclu, qu’il était temps de passer à autre chose.
Ce que je vais faire, non sans être encore une fois tombé dans le piège que je me suis moi-même tendu : dire du bien de Catherine Dufour après l’avoir lue en versant honteusement dans des compliments flirtant avec la flagornerie. Eh bah tant pis. Elle n’a qu’à pas écrire des récits aussi amusants qu’intelligents, sachant être lucides sans être cyniques, touchants sans être pathétiques, le tout d’une manière qui n’appartient qu’à elle, à coups de formulations assassines d’efficacité et d’unicité et de concepts tout bêtes mais tellement bien construits qu’ils tabassent comme un boxeur berserk. (J’ai pas son talent, pardonnez moi.)
Bref : j’arrête si elle arrête, voilà.
Prions pour qu’elle n’arrête jamais vraiment.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉