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Trois coracles cinglaient vers le couchant, Alex Nikolavitch

London Leatherboys – Accept (extrait de l’album Balls To The Wall)

Je pense ne l’apprendre à personne, mais Alex Nikolavitch, c’est un copain. En tout cas moi je le considère comme tel, je voudrais pas parler à sa place ; malgré mon certain degré de confiance dans notre complicité, à force. Ce qui, en regard du temps que j’ai mis à me saisir d’un bouquin signé de son nom dans ma PàL, devrait apparaître comme paradoxal, voire insultant. Le truc, c’est que si depuis Eschatôn je suis absolument convaincu du talent et de la singularité du bonhomme et de l’écrivain qui va avec, depuis Les Canaux du Mitan, je suis aussi et surtout convaincu que l’univers littéraire de ce cher monsieur doit me pousser à prendre quelques précautions avant de le lire. En bref, jusque là, tout ce que j’ai lu de lui était bon, voire très bon, mais toujours un peu chargé, affectivement parlant, et pas dans le sens qui donne envie de danser dans son salon ; plutôt de se reclure sous un plaid avec plusieurs litres de boisson chaude – au choix – à portée de main en guise de support émotionnel.
Et bon, bref : ces derniers jours, je me sentais bien et prêt à encaisser un éventuel choc mélancolique, je me suis dit qu’il était plus que temps d’avancer dans mon exploration de l’œuvre d’un auteur que j’apprécie à plusieurs niveaux. D’emblée, je peux le dire, première bonne nouvelle, Trois coracles cinglaient vers le couchant n’est pas le roman de la déprime. Il n’est pas excessivement joyeux non plus, évidemment, mais l’essentiel est ailleurs. Et puisque vous êtes sans doute là pour ça avant tout : je trouve que c’est un bon roman. Mais il ne suffit évidemment pas de le dire, il faut expliquer pourquoi.
Embarquons.

Relecture d’un mythe maintes et maintes fois mobilisé oblige, l’exercice du résumé me paraît superflu : il s’agit pour Alex Nikolavitch d’aborder le parcours du légendaire Uther, figure paternelle du mythe Arthurien sous un prisme qui lui appartient en plein. C’est l’avantage de ces histoires si populaires et répandues qu’elles en finissent par être malléables, elles peuvent être travaillées de toutes les manières possibles, elles ne pourront jamais vraiment être trahies tant qu’elles sont abordées avec sincérité et passion.
Ici, l’auteur a fait le choix d’une approche historicisé et relativement pragmatique, sans pour autant sacrifier à certains aspects fantastiques du récit fondateur, en particulier ses versants divins et donc religieux. On se retrouve donc avec un récit dans l’ensemble extrêmement terre-à-terre, où le souffle épique est davantage suggéré par les enjeux soulevés au fil de l’histoire que par l’action elle-même ; le récit se rapproche à mes yeux d’une chanson de geste en prose, découpée en épisodes importants, nous donnant à lire l’essentiel du parcours de notre protagoniste plutôt qu’un déroulement parfaitement linéaire et progressif de ce dernier.

Et je trouve que c’est plutôt malin de la part d’Alex Nikolavitch, puisque que sachant que son histoire est dans l’ensemble relativement connue d’un public intéressé par ce mythe, il ne cherche pas à en réinventer frontalement les aspects les plus attendus. Au contraire, avec sa construction parallèle, suivant deux périodes de la vie de son Uther, dans une Bretagne encore sous l’influence culturelle de Rome, il apporte un éclairage extraordinairement sobre et contextualisé sur un récit qui aurait pu facilement virer dans l’épique spectaculaire mais thématiquement austère ; sans pour autant perdre l’héritage merveilleux des récits originels.
Je dois avouer que je suis assez client de cette approche, où les faits bruts, sans rien retirer à la légende originelle, au contraire, l’enrichissent d’un point de vue non pas différent mais complémentaire. Si effectivement certains éléments du récit sont pleinement assumés comme littérairement merveilleux, on peut facilement leur conférer une valeur littéralement symbolique, faisant office d’illustration détournée du cheminement des informations et de leur absence dans la tradition orale, venant combler les trous dans ce qu’on sait de la réalité, construisant plusieurs histoires à la fois : l’histoire officielle, l’histoire officieuse, la légende et ses origines, et tout ce qui peut exister dans l’espace infini entre les deux, le tout nourri par un jeu érudit et fascinant sur la langue.

Et de fait, ce Uther, tout à la fois fruste, brutal, mais aussi sensible au monde qui l’entoure et conscient de sa force comme de ses faiblesses et de ses responsabilités, en dépit de ses clairs défauts inhérents à sa culture ; ce Uther bien précis, construit par Alex Nikolavitch, a beaucoup de choses extrêmement intéressantes à raconter au delà de sa propre histoire. Ainsi, son récit est celui d’un homme qui est tout autant témoin de son époque que conscient des évolutions qui l’agitent ; des évolutions dans lesquelles il est assez facile de trouver un reflet utile à examiner.
Alors évidemment, puisque on parle de cet auteur là, non, ledit reflet n’est pas toujours le plus flatteur ou le plus enthousiasmant, d’autant plus quand il est soutenu par un rythme binaire et lancinant assez évocateur du tangage rythmique d’un bateau voguant sur une mer calme, mais il demeure que pas mal de réflexions me sont venues au fil de ma lecture, sans forcément s’en donner l’air. C’est encore une fois la preuve qu’il faut savoir, je pense, dissocier plaisir et qualité : si le plaisir a été compliqué pour moi à ressentir à plein tout le long de ma découverte de ce titre, à cause de cette ambiance lourde et mélancolique propre à l’auteur, que je trouve peut-être aussi systématiquement à force de toujours m’y attendre, il demeure que sa qualité n’a cessé de s’imposer à moi, m’amenant mon plaisir un peu différemment.
Je pourrais m’interroger éternellement sur mon pur ressenti, le fait est que ce roman démontre une réelle maîtrise de la langue et des registres romanesques, collant parfaitement à ce que j’attends personnellement d’une modernisation en bonne et due forme d’un récit de ce type. Si les personnages sont relativement unidimensionnels et ne semblent pas avoir beaucoup d’horizons en dehors d’une volonté patriotique et belliciste, je ne peux croire que c’est autrement qu’à dessein de la part de leur créateur ; et je pense qu’il a absolument raison. En ne leur apportant seulement que quelques touches de personnalité et d’influences différentes de celles autorisées par une vision traditionnelle de la légende qu’ils habitent, Alex Nikolavitch me semble leur insuffler le souffle suffisant pour subvertir l’ensemble sans rien trahir. Et je trouve ça assez fort d’avoir réussi à trouver cet équilibre, tout en parvenant à exprimer un jugement moral assez clair sur le personnage extrêmement ambivalent d’Uther.

En bref, un autre exemple d’un roman dont la lecture est passée toute seule, et qui sans forcément me renverser, a su trouver une immédiate et très agréable deuxième vie au moment de la chronique, nouveau témoin de la singularité d’Alex Nikolavitch et de notre compatibilité littéraire. Peut-être même qu’en me méfiant systématiquement de ses bouquins et de leur charge émotionnelle particulière, quitte à peut-être trop me blinder, finalement, je me prépare de façon optimale à les réceptionner. En tout cas, je suis assez ravi d’avoir enfin franchi le pas de cette lecture, et je vais de ce pas songer à franchir celui qui me mènera à découvrir L’ancelot avançait en armes ; sans aucun doute avec un enthousiasme démultiplié par la proximité thématique et littéraire de ces deux romans. Un bon programme.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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