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Les choses immobiles, Michael Roch

As The Sun – Samael (extrait de l’album Reign of Light)

Rien de nouveau sous le soleil : Michael Roch, je respecte. Je respecte même très fort. Depuis Moi, Peter Pan et Le Livre Jaune, je sais que le monsieur est spécial, à plus d’un titre. En tant qu’auteur singulier en lui-même, d’abord et avant tout, mais aussi pour moi. Il s’est passé un truc quand je l’ai découvert, et il se passe toujours quelque chose quand je le lis ; y compris au cours d’expériences littéraires moins percutantes que les premières fois, bien que complètement convaincantes, comme avec Tè Mawon. Que je sois emporté de la même manière que la première fois ou non, que l’effet de surprise et de découverte totale soit intact importe peu : j’ai toujours ce sentiment unique de lire quelque chose d’important ; dans le texte lui-même ou dans mon esprit, il y a toujours une réaction, des éléments de réflexion et de verbalisation. Quelque chose de radicalement inédit à mes yeux : du neuf, de l’originalité.
Alors autant dire que lorsqu’on m’a contacté pour me proposer de recevoir un exemplaire de sa nouvelle sortie chez Mu, j’y ai vu un accomplissement personnel en plus d’un honneur particulier. C’est pour ce genre de privilège tout simple mais pas du tout anodin que j’ai monté ce blog ; juste histoire de parfois pouvoir avoir un peu d’avance.

Et bien entendu : je ne regrette rien, bien au contraire. Cette chronique sera celle de ma découverte et de mes réflexions au fil de cette dernière, puisqu’encore une fois, il s’est passé des choses pas banales entre le texte et moi.
Pendant le premier quart, d’abord, j’ai été déstabilisé. Comme toujours avec Michael Roch, il faut bien le dire. Positivement déstabilisé, certes, mais déstabilisé quand même. Dérouté. Entre l’expression stylistique si singulière de l’auteur et la construction très éclatée de sa narration, et ce à plus d’un égard, il faut bien dire que je ne savais pas trop où j’avais mis les pieds, encore une fois. Pour être honnête, si ce n’avait été pour ma confiance totale envers l’écrivain grâce à ses œuvres passées, notamment Le Livre Jaune et l’expérience de lecture si fascinante qu’elle avait été en son temps, je n’aurais pas su continuer ma découverte des choses immobiles avec sérénité.
D’un côté on avait une représentation très graphique de choses qui souvent ont le don de m’agacer et/ou de me mettre mal à l’aise quand je lis ; à savoir des questions sexuelles. Je l’avoue, c’est un vrai problème chez moi : j’ai souvent beaucoup de mal à trouver un intérêt à la description trop précise de ces sujets en littérature en dehors d’un contexte clair l’encourageant et le justifiant à plein. Le reste du temps, j’ai tendance à trouver ça voyeuriste, vulgaire ou plus simplement superflu, voire les trois à la fois. Et ici, en dehors de l’idée que tout cela allait finir par faire sens au sein d’un concept ou d’une idée encore à venir, pleinement développée par Michael Roch, j’étais encore une fois, en cette présence malaisante, très circonspect. Curieux, évidemment, mais tout de même prudent.

Mais bien entendu, j’ai persévéré. Sans trop de mal, il faut bien le dire. Non seulement parce que Les choses immobiles ne se démarque pas par sa densité ou son volume, mais aussi et surtout parce qu’en dépit de ces quelques doutes, j’avais toujours la foi chevillée au corps. Le récit se voulait très clairement nébuleux et désarticulé, à l’image de son protagoniste ; j’ai donc assez vite accepté l’idée que tous mes doutes étaient avant tous les siens, tout comme les errements et éclatements du texte n’étaient que des symptômes de ses questionnements à lui. Si je n’avais qu’une seule chose à mettre en lumière dans le travail de Michael Roch pour expliquer à quel point je trouve son travail fascinant, ce serait sans doute celui-là : l’adéquation absolue entre la forme et le fonds de ses récits.
Ici, on a un personnage clairement perdu, tiraillé entre ses héritages, ses ambitions, son anxiété, ses loyautés, errant dans un monde qui n’est pas vraiment le sien et dans lequel il ne sait pas s’il peut se faire une place, sans parler de savoir s’il veut seulement y appartenir. Et le texte que Michael Roch nous livre est entièrement à son image, oscillant brillamment entre différentes formes d’expressions, jouant avec les conventions narratives pour rendre compte au plus près de l’état mental de son personnage, l’accompagnant textuellement jusque dans la frénésie de ses sensations et réflexions.

Alors oui, forcément, c’est pas toujours simple à suivre, entre les dialogues sans tirets ni guillemets et encore moins de passage systématique à la ligne, les passages en créole, les allers et retours temporels allant avec l’état mental instable de notre narrateur. Mais ça fonctionne ; tout simplement parce qu’inconsciemment – ou consciemment, venu un moment, je ne sais plus trop – ça fait sens. Et c’est peut-être ça le secret de Michael Roch, à mes yeux. L’explication centrale de mon attachement viscéral à son travail, plutôt qu’à d’autres. Là où il serait aisé de ne voir dans ses efforts stylistiques et créatifs qu’une succession de pirouettes ampoulées et prétentieuses, en dépit des ponctuelles et fugaces difficultés de compréhension qu’ils posent, je ne vois toujours, au bout du compte, qu’une débauche de talent brut et de travail acharné. Je n’arriverais pas à expliquer autrement ces instants d’épiphanies qui me saisissent à chaque fois que je le lis, qu’il n’est qu’un des rares à me faire ressentir avec une telle acuité. Ces moments où je lève les yeux de ma lecture pour intégrer pleinement ce que je viens de comprendre en le lisant, à l’aune du texte et au-delà de lui-même, ils ne se jouent à rien. À chaque fois la même réalisation du même sentiment : c’est pour ça que je lis. Et c’est ce que j’aime partager par dessus tout. Michael Roch est rare dans mon parcours, forcément, donc je fais l’erreur fatal de parfois l’oublier, parmi tout ce que je découvre et relaie ; mais à chaque fois que je retombe sur lui, c’est la même leçon d’humilité et la même illumination.

Exceptionnel. C’est le mot qui m’est venu en refermant ce bouquin, qui s’est imposé à moi.
Est-ce que je pourrais jurer que ce texte est à mettre en toutes les mains ? Un récit si puissant et sans concessions sur les ravages du virilisme à l’aune d’un monde en perdition, y compris dans le microcosme spécifique de la Martinique, encore plus particulièrement dans une niche aux ambitions décolonialistes et révolutionnaires : certainement pas. Je ne me fais aucune illusion là dessus. Ce texte sera instantanément gâché aux yeux qui refuseront seulement de le voir, et ce, probablement avant même d’être lu. Leur perte avant tout, je ne pleurerai pas pour eux. Mais j’encouragerai sans aucun scrupule toutes les personnes de bonne volonté à se jeter sur ce texte unique et merveilleux à sa manière rien qu’à lui. Il y a trop de choses à en retirer pour que l’expérience soit un gâchis.
Dans Les choses immobiles, Michael Roche frappe très fort et fait encore une fois preuve de son sens chirurgical de l’analyse, sans oublier son amour contagieux de la poésie et son si singulier sens de l’expression. Écrire un court roman si dense en thèmes sans se disperser ni rien oublier, à la portée si universelle, tout en sachant rester si intimement personnel, sachant appuyer là où ça fait (très) mal sans pour autant oublier sa bienveillance, je crois que c’est ce qu’on appelle dans le jargon un putain de tour de force. Un numéro d’équilibriste sans autre fin que celle qu’il veut atteindre.
Michael Roch est un funambule lanceur de couteaux. Pas plus qu’il ne tombe, jamais il ne rate sa cible.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

2 comments on “Les choses immobiles, Michael Roch

  1. Je me disais que le roman avait l’air dense puis je lis « court » et « dense » dans la même phrase. Je suis très curieuse de le lire mais j’attendrai le bon moment pour moi de le lire. Le moins que l’on puisse dire c’est que, depuis « Mortal Derby X » (qui n’est pas son premier mais qui est le premier de lui que j’ai lu), Roch en a parcouru, du chemin ! Ca fait plaisir pour lui =)

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