search instagram arrow-down

Si vous ne me suivez par sur les réseaux sociaux, où je suis le plus actif, vous pouvez être prévenu.e par mail à chaque article.

Rejoignez les 133 autres abonnés

Infos Utiles

Mes réseaux

Archives

Swa, Daniel Walther

Take Control – Old Gods of Asgard

J’aime beaucoup les éditions Mnémos ; ça me paraît très important à préciser en introduction de mon introduction à cette chronique. Dans le paysage éditorial actuel, je pense pouvoir affirmer avec un très haut niveau de confiance que cette maison est une des plus fiables et constantes en terme de qualité et d’ambition, en tout cas à mes yeux. J’en veux pour preuve la quantité de bouquins marquants dans mon parcours estampillés de leur logo, comme leur solidité au fil des années.
C’est la raison pour laquelle j’accepte toujours avec enthousiasme leurs propositions de SP, poussé par l’exigence que je leur prête comme par ma curiosité naturelle. Avec d’autant plus d’enthousiasme initial dans le cas qui nous concerne aujourd’hui que la coïncidence était trop belle pour être ignorée : quelques jours seulement après ma recension d’Univers 06 contenant une nouvelle au ressenti mitigé mais intriguant de Daniel Walther, voilà qu’on me proposait un exemplaire d’une réédition à sortir d’un roman (en fait la condensation de ce qui était au départ une trilogie) signé de ce même auteur. Notre monde est tout petit, comme dirait l’autre. Et si je ne crois pas vraiment aux signes et autres manifestations du destin, j’aime bien faire comme si c’était le cas ; ça crée des anecdotes et ça ouvre régulièrement la porte à des jolies surprises. Mais, vous l’aurez compris avec cette introduction, ce n’a pas été le cas cette fois-ci, bien au contraire.
Ce qui me met dans une position extrêmement inconfortable, pour être tout à fait transparent. Parce que ce bouquin m’a été offert dans une respectable optique commerciale, et que comme je l’ai dit, j’aime beaucoup la maison qui a décidé de le rééditer. Une certaine logique voudrait que j’en tire d’abord et avant tout les principales qualités objectives, éventuellement nuancées par les reproches nés de mon ressenti personnel ; bien que je n’ai reçu aucune consigne en ce sens, cela va sans dire. On travaille à la confiance, et c’est très bien comme ça.
Sauf que disons le tout net : je n’ai pas trouvé beaucoup de qualités dans ce texte, pour ne pas dire aucune qui me vienne spontanément à l’esprit. Et je me retrouve devant vous avec un gros tas de sel et de reproches, et aucune idée de comment les équilibrer avec ma profonde et sincère envie d’honnêteté sans franchir la ligne de la méchanceté que je m’échine à ne jamais passer sur ce blog.
Parce que j’ai beau tourner et retourner la question dans ma tête, je n’arrive pas à la poser autrement que comme ça : « Qu’est ce qui a bien pu pousser Mnémos à rééditer un machin pareil ? ». Une Interrogation qui franchement, ne me renvoie pas un reflet flatteur, me faisant me demander si je n’ai pas un peu pris le melon, à force, pour me pousser à remettre en cause les décisions d’une maison d’édition qui a bien plus fait ses preuves dans son domaine que moi dans le mien. Une interrogation qui me fait me dire que mordre la main qui me nourrit, ça manque furieusement d’élégance, dans le contexte de ce blog. Mais une interrogation dont je n’arrive pas à me détacher pour autant, et que mon ambition d’honnêteté radicale en son sein me pousse à explorer aussi précisément que possible, quitte à me mettre en difficulté.
Parce que je m’en voudrais plus, au final, je crois, de ne pas pousser cette chronique aussi loin que possible, et de ne vous fournir qu’une critique molle et creuse. Je ne dunk jamais par plaisir, mais uniquement par nécessité : il faut que ça sorte. Alors tant pis. Au diable l’humilité et l’instinct de conservation, et allons-y. Tâchons d’expliquer pourquoi, à mes yeux, Swa, de Daniel Walther, est une purge, et une inexplicable décision éditoriale.

Dans un futur défiguré par la Guerre du Cristal, réduit à une abjecte caricature du passé, Swa est un apprenti de la maison du Serpent, vivant au sein de la Citadelle, bienheureusement séparé du monde du Dehors et de ses créatures malfaisantes, promis à un brillant avenir. Sauf qu’un jour, il entre en contact avec l’extérieur, et comprend que son existence entière est un mensonge. Il décide donc de trahir les siens pour rejoindre le camp ennemi. Et vivre des aventures dans ce monde de l’extérieur en compagnie de ses nouveaux compagnons.

Bien bien bien. Commençons par le commencement, ça me semble le plus pratique. Conceptuellement parlant, au départ, Daniel Walther tenait clairement quelque chose, en dépit de quelques tropes un peu éculés avec le recul des années quoique absolument acceptable : un monde post-apocalyptique faisant cohabiter la science-fiction avec une forme sommaire de fantasy par dégénérescence généralisée, dans l’idée, ça a de la gueule. Mais comme je le dis toujours, ce n’est pas tant l’idée qui compte que son exécution ; et c’est bien évidemment là que le bât blesse. Disons le brutalement et sans aucune hyperbole : en dehors de l’idée de base, il n’y a rien qui va.
Et pour justifier cette terrible accusation, j’utiliserais cruellement les mots de Daniel Walther contre lui. Voyez-vous, en introduction de son roman, l’auteur cite Ayn Rand et son roman Anthem, partant des mots de l’autrice érigeant EGO en mot sacré. Au crédit de Daniel Walther, il annonce son intention de prendre le contre-pied de Rand ; de faire une différence plus saine qu’elle entre l’individualisme et l’égotisme, de ne pas sombrer comme elle dans un enterrement de toute forme de collectivisme « stalinien ». À travers de cet avant propos inclus de fait dans le corps du roman à mes yeux, puisque placé après l’exergue et juste avant le prologue, j’ai lu une claire et définitive note d’intention de la part de l’auteur : un roman à propos de l’idée que les « solitaires forcenés » ne peuvent arriver à rien et que le monde futur appartient aux forces capables de mobiliser le collectif, y compris au travers de figures individuelles. Soit. Nuancer Ayn Rand, ce n’est sans doute déjà pas assez à mes yeux, mais c’est toujours ça, et compte tenu de l’époque initiale de publication, 1981, on pourrait se dire que ça peut passer.
Et nous tenons là l’illustration parfaite de la raison pour laquelle je considère toujours que le moindre paratexte est un parasite de mes découvertes littéraires : tout cadrage préalable de la réflexion à mener autour d’un texte le corrompt irrémédiablement. Avec cette note d’intention, Daniel Walther ne m’a pas laissé la moindre liberté d’interpréter son texte autrement qu’à travers son prisme déclaré. Et de fait, il a lui-même mis en place les conditions de son échec ; puisque chaque occurrence d’une séquence me semblant contredire ses primes intentions en était d’autant plus cruellement visible au milieu du reste, et d’autant plus douloureux. Lire ce roman, ç’a un peu été comme de traverser pieds nus une pièce dont le sol est couvert de petites briques de lego.

Et pour expliquer exactement en quoi Swa échoue à remplir ses propres objectifs, intéressons nous maintenant à celui qui donne son titre à ce roman, et le cœur brûlant de mes reproches à son auteur, en illustrant je pense la majorité des travers.
Swa nous est très vite présenté comme un jeune garçon brillant, assoiffé de connaissances, sans doute trop intelligent pour son propre bien, dont les dons intellectuels font de lui l’enjeu central d’incessantes et monstrueuses luttes de pouvoir et d’influence.
En un mot comme en cent : Swa est un abruti. Daniel Walther, avec lui, commet une des erreurs cardinales en littérature à mes yeux, à savoir sombrer dans la complaisance performative. Plutôt que de nous prouver que Swa est effectivement brillant par l’entremise de séquences mettant en scène son intelligence et sa capacité à résoudre les problèmes qui se posent à lui, il nous le fait dire, sans arrêt, par les personnages qui le côtoient. Alors que Swa passe – sans déconner – la moitié du roman à tomber dans des pièges basiques pour ensuite se faire torturer d’une manière ou d’une autre, avant de s’en sortir miraculeusement parce que ses geôliers sont encore plus débiles que lui. La seule réelle qualité de Swa, c’est sa résilience, et encore, cette dernière est absolument irréelle et n’existe que parce que sans ce macguffin incarné, le roman n’existerait plus.
Parce que voilà encore autre chose : Swa est promis à un grand destin. Lequel, pourquoi, de quelle manière ? On ne sait pas. C’est l’élu, c’est tout (source : tkt frère), même si on l’exprime jamais aussi directement. Tout le monde dans le roman semble le savoir, puisque tous les camps existants semblent vouloir s’attacher les services de notre héros nul sans jamais rien expliciter de leurs raisons autrement que de façon sibylline, quitte à se mettre en difficulté dans le processus. C’est ahurissant d’absurdité.

Ce qui nous amène au bordel conceptuel et narratif qu’est ce roman.
D’abord avec un univers qui pourrait faire sens, mais n’y parvient jamais, à cause de ce qui me semble être une flemme cataclysmique. On a des gens qui semblent pouvoir voir l’avenir au travers de leurs rêves, mais pas vraiment, qui peuvent communiquer par télépathie, mais pas vraiment, qui semblent être au courant de tout, tout le temps, sans raison visible ou explicable ; bref, tout un tas d’éléments qui font très fantasy old school, cohabitant de façon très frontale avec des stations orbitales, des pistolets laser et autres éléments science-fictifs, eux aussi old school. Très sincèrement, en m’en tenant à la simple idée de cette cohabitation, je suis d’accord. Je pourrais même être un peu enthousiaste : j’adore le mélange des genres.
Sauf que le mélange des genres, surtout à l’échelle d’un monde entier, ça demande beaucoup de travail de worldbuilding et de suspension de l’incrédulité. Et Daniel Walther n’a pas fourni le travail. Même pas le minimum syndical. La moindre interrogation est esquivée, la moindre explication est évacuée : on a pas le temps, faut enchaîner les péripéties vues et revues, créer du faux mystère à coup de discours mystiques moisis. Tout est là mais rien n’est justifié ; en dehors peut-être d’un élément linguistique, dont je n’avais même pas pris conscience tant mon attention était portée sur d’autres éléments bien plus abusés, mais que l’auteur relègue à une appendice de deux paragraphes en toute fin de roman, ressemblant furieusement à un aveu d’impuissance déguisé en un post-scriptum piteux. Appendice qui en suit une autre d’une page et demie nous exposant le destin d’un antagoniste minable croisé en tout début de roman, d’ailleurs. Pourquoi en appendice ? Vous posez trop de questions, il va vous arriver des bricoles…
Voilà pour le conceptuel, passons au narratif. Ellipses, changements de point de vue, progression dramatique, expression guindée et ampoulée, c’est là aussi n’importe quoi. On nous introduit un des romans de la trilogie avec son antagoniste principal pour l’oublier pendant 60% de ce qui suit, on nous présente un trio de personnages comme des amis indéfectibles alors qu’on ne nous les a pas écrits autrement comme une vague convergence d’intérêts à forme humaine jusque là ; pas un personnage ne semble avoir de personnalité en dehors d’objectifs transitoires vagues ou d’une quête générale générique.
Le héros est là parce que c’est le héros, il est là pour s’héroïser en dehors des situations nulles dans lesquelles il s’est héroïquement précipité lui-même comme un idiot héroïque ; pour tout dire, même une fois le roman terminé, je ne sais pas ce que quiconque attend de lui. Toutes les qualités que lui prêtent Daniel Walther sont performatives, on est censé le croire sur parole, puisque on en voit jamais la moindre preuve, que ce soit son intelligence, sa capacité à rassembler ou quoi que ce soit qu’on puisse lui trouver. Son mentor est là parce que c’est son mentor et qu’il est là pour le mentorer ; mais seulement pendant les ellipses, en dehors de quelques répliques potentiellement échangées par esprit interposé. Quant à sa compagne… C’est tellement grave que ça mérite un changement de paragraphe.

La misogynie de ce roman. C’est pas compliqué : pardon my french, mais toutes des salopes. Là, y a pas d’époque qui tienne ou la moindre excuse à trouver à l’obsession sexuelle de Daniel Walther vis-à-vis de ses personnages féminins. Non seulement elles sont peu nombreuses à l’aune du roman, mais en plus, elles sont systématiquement réduites à des objets sexuels, y compris quand il y a une vague tentative de leur donner une personnalité ou quelque chose à faire (genre s’échapper après avoir été capturée pour l’énième fois). Pauvre Lsi, copine attitrée du héros, qui passe de la figure de la demoiselle en détresse à celle de la compagne éplorée par l’absence de son brave héros parti/capturé au loin, puis de nouveau à celle de la demoiselle en détresse en fonction des situations et besoins narratifs de l’auteur, qui n’a pas voix au chapitre une seule fois, et dont je pourrais plus facilement vous décrire le corps que le visage.
Pauvre fille, dont le destin entre les pages de ce roman n’est que de subir les assauts libidineux d’un auteur apparemment plus intéressé par l’idée de caser autant de scènes de sexe que possible que de celle de créer un minimum de liant entre ses chapitres. Quelle fatigue, de voir les contorsions abjectes de Daniel Walther pour justifier l’inclusion de ces scènes ou de ces allusions à n’importe quel moment du bouquin, ruinant les moindres de ses efforts pour créer un semblant d’ambiance ou d’atmosphère ; quelle fatigue. Et ça sans évoquer plus avant les classiques tendances masculinistes immondes où un homme peut tromper sa compagne si les circonstances lui sont un tant soit peu défavorables, justifiant ses errements, mais où ses accès de jalousie sont considérés comme mignons par sa compagne, y compris si ces derniers ne sont justifiés que par un semblant d’avance extérieure sans réciprocité.

Bref, ce roman est naze. Vraiment, je ne lui trouve aucune qualité rédemptrice. Une idée de base prometteuse mais d’autant plus frustrante qu’elle n’est jamais réellement exploitée ou alors complètement par dessus la jambe, des personnages unidimensionnels voire inexistants en dehors de leurs noms ou de leurs fonctions – s’ils ont la chance d’en avoir une -, une obsession sexuelle poisseuse, hors-sujet et ponctuellement moralement discutable, une narration démantibulée épaissie par une expression d’un autre temps, une intrigue creuse et cryptique ; je n’ai que des reproches à formuler à son égard, me poussant encore et toujours plus fort dans la direction de ma question initiale. Pourquoi publier un tel roman ?
Alors oui, évidemment, tout simplement : mon regard n’est pas le même que tout le monde. Tout le monde ne verra pas les mêmes choses que moi dans ce roman. Il est tout à fait possible que ce genre de texte extrêmement marqué par son époque et les ambitions (*tousse*) de son auteur puisse encore trouver ses fans à l’heure actuelle. Basiquement, je ne suis pas la cible de ce genre de texte, pour ne pas dire son complet opposé, et ma curiosité m’a simplement poussé dans la mauvaise direction, pour cette fois. Sauf que vraiment, je dois le dire : dans le contexte actuel, je n’arrive pas à saisir l’attrait éditorial d’un texte aussi daté, à tous les niveaux, en dehors, si j’ose dire, d’une pure volonté patrimoniale ou nostalgique.
Mais je me prends sans doute trop la tête. Ce ne serait pas la première fois.

Il fallait juste que ça sorte. Pour une fois, la source de ma prime frustration n’est pas l’incompréhension du texte lui-même, mais bien son existence dans un paysage littéraire qui me semble mériter infiniment mieux à tous les égards. Swa est un très vieux texte, en esprit comme en expression, qui ne me semble pas mériter la moindre réhabilitation. Un vague croquis de squelette textuel sur lequel ont été balancés des morceaux de chair littéraire aléatoires, dont beaucoup trop de seins, de vulves et de phallus. Une idée d’histoire sans substance, une ambition sans réalisation. Un roman que dans d’autres circonstances j’aurais sans doute abandonné sans le moindre scrupules.
Et non, vraiment, ça m’emmerde de dire tout ça, parce que j’adore Mnémos, et je ne pense pas avoir besoin de le prouver d’une quelconque manière ; je trouve que ce roman ne leur ressemble pas. Mais ce n’est pas ma place d’aller plus loin, et je regrette déjà un peu d’avoir autant chargé la mule.
Je préfère simplement reléguer ce roman dans les limbes dont il n’aurait jamais du sortir et faire comme s’il n’avait jamais existé.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “Swa, Daniel Walther

  1. Avatar de tampopo24 tampopo24 dit :

    Ecoute merci pour cet avis honnête et argumenté, on ne pourra pas t’enlever ça.
    J’avoue que séduite par la couverture et les 2-3 bribes d’intrigues dont j’avais entendu parler, je l’avais sur ma wishlist, mais clairement je ne savais pas que c’était un vieux texte et pire encore que c’était aussi misogyne a priori. Je préfère donc passer mon tour et laisser sa chance à des textes mieux travailler et qui ont peut-être mieux vieilli. Ce n’est pas comme s’il n’y avait rien chez nous en post-apo + fantasy (NK. Jemisin *kof kof*).
    Je pense que ce ne serait pas pour moi non plus. Alors merci de m’éviter cette erreur.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire
Your email address will not be published. Required fields are marked *