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Tout pour tout le monde, M.E. O’Brien & Eman Abdelhadi

Kingslayer (feat. BABYMETAL) – Bring Me The Horizon (extrait de l’album POST HUMAN : SURVIVAL HORROR)

Je pense qu’on reconnaît une bonne maison d’édition à sa capacité à savoir donner envie. Les diverses façons dont elle peut donner envie varient selon les personnes, évidemment, mais je crois que parvenir à susciter la curiosité littéraire encore et encore, texte après texte, en dépit de tous les éléments exogènes potentiellement gênant, c’est une capacité rare.
Ce que je veux dire par là, c’est qu’Argyll est une excellente maison d’édition. Puisque malgré toutes mes difficultés ponctuelles avec certains de leurs textes, sans doute plus nombreuses que mes franches réussites, à ce stade, aussi triste que ça puisse me rendre ; ils parviennent encore et toujours, bouquin après bouquin, à me donner envie. À me faire me dire que « ce bouquin là » aussi, il faut que je le tente. Quand bien même j’ai bien compris, depuis le temps, que nos humeurs littéraires n’étaient que rarement compatibles, j’y reviens toujours, juste au cas où cette fois-ci, ce serait la bonne.
Et je suis extrêmement content de vous dire c’est encore mieux que ça. Sincèrement, si à partir d’aujourd’hui, Argyll ne publiait que des purges absolues, je leur garderais toujours une reconnaissance éternelle pour la publication dont je vais vous parler dans la séante chronique. Je crois que Tout pour tout le monde est un des textes les plus importants que j’ai pu lire ces dernières années, et une trouvaille merveilleuse de la part de toutes les parties impliquées dans son importation en France ; un roman majeur. Ouais, rien que ça.

Alors, par souci de transparence, comme toujours, je dois préciser un biais personnel d’emblée. Si vous me connaissez un peu, vous savez que je tiens Rêves de Gloire en très très haute estime, comme Outrage et Rébellion, ou encore World War Z, des exemples pas du tout innocents. Et que de fait, j’ai un faible terrible pour les textes polyphoniques. Pire qu’un faible, on peut le dire. Cette forme d’expression littéraire me parle comme aucune autre ; elle va chercher quelque chose chez moi qui tient de la rare et prisée émotion, celle que je désespère un jour de réellement ressentir au premier degré au court d’une de mes lectures. Bref, je trouve ça super cool. Donc forcément, j’avais envie que ce texte confirme encore une fois ma faiblesse, parce que j’aime bien en avoir une, et qu’en plus son concept central était franchement alléchant. Un roman composé d’un agglomérat de témoignages, constituant l’histoire d’une Commune située plusieurs décennies dans le futur, c’était extrêmement prometteur.

Et c’est là que je vais sans doute commencer à un peu galérer. Parce que j’ai adoré, ça oui, mais si cette appréciation enthousiaste va clairement de soi à mes yeux, sa verbalisation va sans doute être un poil plus complexe, pour ne pas dire carrément ardue. Le truc, c’est qu’on est dans cet alignement parfait des ambitions et des moyens qui souvent me laisse coi et fait sauter mes réflexes analytiques ; j’avale du texte avec plaisir sans vraiment faire attention à pourquoi ça marche aussi bien. Alors avec un peu de recul une fois le bouquin refermé, évidemment, j’ai quand même quelques éléments à vous fournir, mais je sais déjà que ce sera globalement insuffisant. Tout pour tout le monde constitue pour moi le genre d’expérience littéraire qu’il faut éprouver frontalement pour parvenir à réellement s’en faire une idée ; il y a là-dedans quelque chose de profondément sensitif.

C’est sans doute à mettre au crédit de la forme extrêmement sérieuse et académique choisie par les autrices, se mettant elles-mêmes en scène dans plus de 50 ans, vieilles dames toujours actives dans la recherche sociologique, interviewant divers·e·s acteurices de la Révolution globale ayant mené à cette fameuse Commune, tachant de comprendre aussi bien que possible tous les bouleversements qui l’ont provoquée ou qu’elle a amenés. Ce qui nous donne à la fois une introduction un peu âpre car forcément aride et technique, mais aussi une succession de témoignages incroyablement organiques et puissants. J’aime particulièrement les choix narratifs faits par les autrices parce qu’ils leur permettent de désamorcer absolument tous les reproches pénibles qu’il aurait été trop aisé de formuler envers des formes de récits plus classiques dans leur linéarité. De fait, évidemment que ce texte peut paraître un peu trop « militant », puisque par essence, au sein de la diégèse proposée par les autrices, il l’est : faire une histoire orale de la Commune au travers de ses acteurices, c’est en livrer une vision partisane. Mais pour autant, puisque ce texte existe au sein d’une fiction, il nous raconte cette fiction de manière détournée, sa narration est merveilleusement indirecte, tout en creux, en non-dits et en implicites.

Mais que cela ne vous fasse pas croire que les témoignages structurant ce récit ne sont pas des histoires captivantes en elles-mêmes, oh non ! Au contraire, on constate là aussi un choix très fort des autrices qui vient nourrir le roman, selon moi absolument essentiel, ne faisant qu’en renforcer sa puissance d’impact : l’importance du traumatisme. J’ai en effet pu déjà exprimer par ailleurs mon rejet d’une certaine forme de littéraire positiviste ne laissant pas assez de place aux difficultés mentales et émotionnelles de certains personnages une fois leurs obstacles respectifs dépassés ; comme je trouve qu’il est parfois trop facile de simplement passer à autre chose une fois que la menace globale pesant sur un récit était narrativement écartée.
Ici, si les autrices nous présentent au travers des témoignages de leurs personnages un monde semble-t-il apaisé et en route vers un avenir radieux, elles insistent surtout sur le chemin parcouru pour en arriver là, et sur les séquelles que ce chemin a fait peser sur les acteurices du changement. Il n’est pas tant question de montrer ce que le monde est devenu, maintenant que le modèle de la Commune a triomphé, mais plutôt d’où le monde est parti, et ce qu’il a du traverser pour parvenir à sortir de ses mauvaises habitudes. Je reviendrai à cet égard sur la formidable oralité des échanges entre nos intervieweuses et leurs sujets, pouvant ou devant parfois changer de sujet pour éviter un inconfort quelconque, hésitant, bégayant, se répétant éventuellement, racontant des choses en n’en racontant précisément pas. On pourrait se rengorger – à raison – de l’inclusivité radicale du roman, mais ce serait, je pense, faire une impasse dommageable sur ses efforts de mise en lumière de la souffrance et du deuil qu’impliquent les bouleversements racontés au fil de ces interviews, et les sacrifices qu’ils impliquent.

Là encore, je dois saluer l’intelligence du choix formel des témoignages directs, permettant de couvrir de façon naturelle et légère tout un historique, tout un tas de trajectoires plus ou moins éclatées, faites d’éléments épars et divers. Là où un récit plus linéaire aurait forcément très vite souffert d’un essoufflement cruel, ici, on n’a pas le temps de s’ennuyer, et encore moins de gamberger : tout est prétexte à l’émotion – si vous en ressentez à la lecture – ou à la réflexion. Puisqu’évidemment, avec leur approche théorique et leurs parcours militants appuyant le cœur de leur récit, les auteurices parviennent à faire de tout ce roman une sorte d’œuvre « Bilan et perspectives », d’un point de vue queer et… bah communiste, hein, faut dire les choses. Elles font habilement cohabiter toutes leurs problématiques, jonglant sans cesse entre ce qui ne va pas, ce qui pourrait aller mieux, ce qui pourrait poser problème, intervertissant les contextes des questions comme des réponses à y apporter. Et de fait, pour peu qu’on soit un peu curieux de ces questionnements, en dépit des ambiances parfois un peu lourdes qui émaillent le récit, ce bouquin en devient absolument enthousiasmant ; d’autant plus pour moi qu’il ne fait pas semblant d’ignorer que les choses ne sont jamais simples, il ne prétend pas à l’utopie, mais plutôt à la farouche volonté de sa réalisation, sans complaisance ni naïveté.

Des bouquins comme ça font un bien fou. Parce qu’ils permettent de croire à une lumière au bout de ce long tunnel sombre et crade que semble devenir ce foutu XXIe siècle. Parce qu’ils articulent d’une manière claire, concise et foutrement efficace tout ce qui ne va pas et en même temps tout ce qu’il est possible de faire ; ils ne se voilent pas la face sur notre trajectoire collective et parviennent quand même à convaincre que tout n’est pas perdu. Et franchement, de nos jours, je trouve que parvenir à faire ça d’une manière convaincante tout en articulant des idées et concepts frais autour d’un récit prenant et formellement singulier, c’est un sacré exploit.
Que dire de plus, sincèrement ? Je pense que ce roman a un très bel avenir devant lui, que ce soit pour ses qualités propres ou pour l’inspiration positive que je lui souhaite sincèrement de provoquer parmi son lectorat. Et s’il n’a pas un aussi bel avenir que celui que je lui souhaite, eh bah franchement, on mérite collectivement ce qui va nous arriver, voilà. Ce n’est rien d’autre qu’une question de justice karmique, à ce stade. Nah.
Un très grand merci à Argyll, encore une fois. Je sais que ce texte ne nous serait pas parvenu aussi tôt et dans un si bel écrin sans vous, et je n’y aurais sans doute pas prêté autant d’attention ; que toute la gloire vous revienne.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

6 comments on “Tout pour tout le monde, M.E. O’Brien & Eman Abdelhadi

  1. Avatar de Symphonie Symphonie dit :

    Bon, ben => wishlist !

    Aimé par 1 personne

  2. Je l’ajoute tout de suite à ma liste d’envies ! Merci pour la découverte ; il est grand temps que je lise enfin un roman d’Argyll 😉

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    1. Avatar de Laird Fumble Laird Fumble dit :

      Sacré début ! 😀

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  3. C’est une de mes prochaines lectures : tu m’as donné très envie de m’y plonger de suite !

    Aimé par 1 personne

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