Début d’après-midi
Je suis à peu près sûr que la personne que j’entends depuis tout à l’heure est une femme, juste au son qu’elle produit quand elle n’est pas contente. Elle fouille le bâtiment d’en face depuis quoi… 4 heures ? J’espère pouvoir la voir grâce à mes miroirs à la fenêtre en vis-à-vis de la mienne mais elle semble prendre un soin infini à fouiller toutes les pièces ou alors elle ne compte pas monter dans les étages parce que même en prenant des risques je n’ai toujours pas la moindre idée de ce à quoi elle ressemble.
J’hésite vraiment à aller à sa rencontre.
Début de soirée
Elle s’appelle Fanny et c’est une putain de ninja.
Je sais pas trop comment elle a fait, mais elle a fini par me prendre par surprise alors qu’il me semblait avoir couvert toutes les issues possibles. Je jure que je m’étais pas endormi.
La vraie bonne nouvelle c’est qu’elle est comme moi, pas agressive pour un sou. On s’est très vite mis d’accord pour partager l’espace disponible et les ressources, il semble qu’on fonctionne sur la même logique. Elle s’est installée dans la chambre de l’autre côté du garde-manger, elle y a stocké ce qu’elle avait récupéré ces derniers jours.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’elle n’a pas plus d’infos que moi. Elle vient d’un autre lotissement étudiant, un peu plus loin, elle s’est juste décidé à en partir plus tôt que moi, elle y avait peu de ressources et elle se trouvait trop excentrée. De vieux réflexes urbains subsistent malgré tout, c’est amusant.
En gros, on a passé la première moitié de l’après-midi à faire connaissance et à poser des hypothèses sur ce qui avait pu arriver et le constat est sans appel: pas la moindre idée qui tienne debout très longtemps. Rien qui puisse vraiment expliquer une évacuation aussi soudaine et massive, dans une telle discipline. Enfin si, quelques idées seraient peut être valables, mais dans un contexte de guerre ou de catastrophe que les autorités auraient vu venir, auquel cas nos théories sont sans aucun doute très loin de la vérité.
On s’est mis d’accord sur le fait que la priorité n’était pas là de toute façon. Si menace il doit y avoir, on le saura bien assez tôt et on s’en protégera au mieux à ce moment là si c’est possible. Franchement, si une apocalypse nucléaire doit nous tomber sur le râble du jour au lendemain, on pourra rien y faire. Si c’est militaire, on n’est pas formés, ni équipés. Si c’est un virus… des zombies… LOL.
Donc voilà. On fait équipe, on se tient les coudes, on met en place une petite zone de tranquillité, on essaie d’en apprendre un maximum, on fait au mieux quoi.
Au passage, il me paraît utile de préciser pourquoi je ne parle pas trop de Fanny. Elle ne sait pas que je tiens ce journal, mais même si je le cache, il n’est pas dit qu’elle ne capte pas un jour ou qu’elle me surprenne avec. J’écris uniquement quand je suis sûr d’être seul. Et si jamais elle doit le trouver, j’aimerais autant qu’elle ne lise rien là dedans qui pourrait la vexer, autant éviter un maximum de causes de frictions… (Fanny, je te connais pas bien, mais pour l’instant, j’ai toutes les raisons de bien t’aimer. Me fais pas de mal s’il te plaît !:D)
Ne me demandez pas pourquoi je tiens ce journal secret. J’imagine que dans ce contexte, j’ai besoin d’un truc intime, ou juste d’un moyen de pouvoir poser un peu mes réflexions. Je sais pas.
D’une certaine façon, j’ai quand même un peu hâte de voir où tout ça va nous mener, et je suis curieux de savoir d’où c’est parti. Pour le moment, je ne suis pas trop inquiet pour notre survie immédiate, alors ça nous laisse de quoi penser à d’autres choses que le quotidien d’avant. Je suis à deux doigts de penser à tout ça comme à une chance.
Deux doigts.
Jour 7
Fin de matinée
Premier vrai signe d’agitation extérieure ce matin, qui ressemblait très fort à une explosion. L’hypothèse est pour le moment la plus plausible, en soit témoin le long panache de fumée noire qui a pris possession du ciel d’Est. A vue d’œil, ça a eu lieu de l’autre côté de la ville, ce que je pense être la zone industrielle, et la chance veut que le vent le pousse vers le sud, donc si c’est toxique on ne devrait pas en subir les retombées les plus chargées dans l’immédiat.
En dehors de ça, pas grand chose à signaler. Fanny et moi sommes d’accord pour ne pas trop bouger. On a fini de piller le bâtiment d’en face, et selon nos prévisions, tant que l’eau courante reste disponible, on en a pour quelque chose comme 2 semaines sans avoir à aller chercher ailleurs de quoi manger. On se rationne, on prend des tours pour se laver, faire un peu le guet sur le toit (c’est elle qui a vu la fumée), on s’occupe chacun dans notre coin, on discute de choses et d’autres.
Ce petit rythme tranquille n’est pas totalement pour nous déplaire, en tout cas elle semble s’y faire aussi bien si ce n’est mieux que moi ; il me semble même l’avoir entendu siffloter à un moment. Je crois qu’elle n’est pas plus fan du genre humain que moi en général, mais comme pour moi, un peu de compagnie à des moments choisis ne lui fait pas de mal.
On ne se marche pas dessus pour le moment, et pour moi, c’est ça l’essentiel.
Lu :
- Super Héros de Troisième Division, Charles Yu, 8/10
- Train d’Enfer pour Ange Rouge, Franck Thilliez, 6/10
- La Nuit des Enfants Rois, Bernard Lenteric, 7/10
La musique me manque. Et je me ferais bien un bon film aussi. Lire c’est bien mais ça fait mal à la tête à force.
Je vais demander à Fanny si elle veut pas tenter une première sortie tiens. Juste pousser jusqu’aux abords de la fac. Voir ce qu’on pourrait y trouver, fouiller la supérette, récupérer quelques stocks supplémentaires, au cas où. La pénurie d’eau est le seul truc qui me fait vraiment peur, aucune chance que l’eau courante tienne éternellement, et toutes les bouteilles et récipients qu’on pourra trouver seront une assurance supplémentaire. Je vais voir ça avec elle.
Soirée
C’était une très mauvaise idée. Pas d’un point de vue logistique, étant donné tout ce qu’on a récupéré, à savoir un sac à dos et deux sacs chacun remplis à ras bord de conserves et de bouteilles d’eau, en en laissant quelque chose comme dix fois plus sur place ; et ce dans dans le premier Carrefour sur le chemin…
Mais bordel, voir les rues de la ville désertes à ce point, sans le moindre mouvement, sans la moindre amorce de bruit autre que le vent dans les feuilles ou les grincements des portes laissées ouvertes, ça nous a rappelé à quel point on est seuls. Même pas un chien errant à réconforter.
Putain, qu’est ce que je donnerais pas pour un animal dont on pourrait s’occuper !
On s’est tenu la main à un moment, sans rien se dire, juste comme ça, pour se sentir un peu mieux je crois. J’ai laissé couler mes premières larmes à ce moment là. Même pas de honte. Mais d’un coup d’un seul, on a vraiment réalisé ce qui se passait pour nous. Osef du tableau général, on ne sait pas ce qui se passe dans le reste du monde. Mais nous là, on est bloqués ici, on est deux, on ne se connaît pas, et on doit faire avec.
Je vais pas vous emmerder avec les détails, contentez vous de me croire sur parole, Fanny et moi, si ce »truc » ne nous était pas tombé dessus, on ne se serait probablement jamais côtoyés. De notre vie.
Et voilà qu’on se retrouve à devoir faire équipe pour survivre à une catastrophe d’ampleur dont on ignore tout. Donc oui, cette après-midi, on était partagés entre la recherche de ressources et le désespoir. Le mélange était pour le moins étrange. Je crois qu’au moment où Fanny a réussi à briser la vitrine du Carrefour pour y entrer, elle a crié de joie autant que d’effroi à l’idée d’avoir commis un délit. Il a fallu que je la prenne dans mes bras pour qu’elle arrête de trembler.
Je vous jure que ce genre de gestes, ça me ressemble pas. Genre pas du tout. Moins d’une semaine, et on n’est déjà pas les mêmes personnes qu’au départ.
Là Fanny s’est enfermée dans sa chambre, il est même pas 20 heures. Je sais pas trop quoi faire. Partagé entre des sentiments et élans nouveaux et de vieux réflexes et conditionnements sociaux. Je sais pas. Quelle angoisse.
Le moindre faux pas et mes intentions pourront être sujettes à une interprétation défavorable, et j’aurais du mal à la blâmer, au vu des circonstances. Je ne peux pas risquer de m’aliéner ma seule chance de ne pas être condamné à la solitude.
Et je l’aime bien en plus. Si elle veut être seule, j’imagine que je dois respecter son choix.
On verra demain.
J’espère.
Référence culte pour moi : Il y a une ambiance rappelant « Le Dernier Combat » (1er film de Luc Besson – 1983, film d’anticipation, en noir et blanc sans dialogue que je trouve sous évalué et que je recommande chaudement aux « jeunes générations)… En tout cas, j’attends la suite avec beaucoup d’impatience…. Merci pour ce voyage, cette aventure !
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Toujours aussi intriguant.
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Toujours aussi intriguant.
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Le genre de retour qui fait extrêmement plaisir, merci beaucoup !
J’espère que la suite te plaira. 😉
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