
Precious – Depeche Mode
J’ai été pris il y a quelques temps de la furieuse et soudaine envie de dire à l’écrit tout le bien que je pensais d’Un Pont Sur La Brume. Ce n’était pas la première fois que l’envie me prenait, ceci étant dit, cette novella est une telle merveille que toutes les occasions sont bonnes. C’est à une de ces occasions, alors que je partageais avec un ami libraire tout mon amour pour elle qu’il me confia La Quête Onirique de Vellitt Boe, pour me permettre d’approfondir mes connaissances sur le travail de Kij Johnson, dont j’étais et demeure très curieux. Il me prévint néanmoins avoir beaucoup moins accroché à cet ouvrage ; je l’attaquais donc avec une certaine dose de circonspection. Qu’en est-il une fois l’ouvrage refermé, voyons voir.
Dans les Contrées du Rêve, au sein du prestigieux Collège pour femmes d’Ulthar, une étudiante prometteuse a disparu, et de ce qui ressemble fort à une fugue pourraient découler de terribles conséquences, pour la réputation du Collège, voire même son existence. La professeure Vellitt Boe est donc chargée de retrouver la jeune femme, aidée en cela de son passé de baroudeuse, habituée à parcourir les terres parfois hostiles de ce monde étrange où les gens sont autant de jouets pour des dieux capricieux.
Premier constat d’importance, un peu amer, ma méconnaissance de l’univers de Lovecraft a sans doute été un très gros manque pour pleinement apprécier le travail de Kij Johnson. Parcourir les Contrées du Rêve n’a pas été une partie de plaisir pour moi, voyant passer des noms, des choses qui ne m’évoquaient rien ou peu, comme un très long inventaire touristique peu évocateur, alors que Vellitt Boe effectuait son long voyage à travers un monde qui m’est majoritairement inconnu. Je m’y suis majoritairement ennuyé, attendant qu’il se passe, à mes yeux, vraiment quelque chose, chaque véritable aventure ou péripétie étant à mon goût avortée/terminée avant de devenir intéressante, souvent expédiée par des astuces ou explications un peu fines.
La caractérisation des personnages est très légère et leurs motivations me paraissent floues ou bancales dans l’immense majorité des cas, passant bien trop vite sur certains enjeux ou certains arcs narratifs, balayant même certains événements passés d’un revers de main avec une décontraction qui m’a fait hoqueter de surprise. Je dirais que j’ai été plus frustré de ne pas avoir droit à de plus longs développements, souhaitant presque, quelque part, que cette quête s’allonge et gagne en profondeur ; ce qui, par ricochet, en aurait sans doute beaucoup plus conféré à Vellitt Boe elle-même, qui, si elle ne manque pas de potentiel, manque tout de même du temps ou de la présence pour pleinement le réaliser, se contentant d’être vaguement attachante, presque par défaut.
Ironiquement, c’est sans doute le para-texte et l’intention de Kij Johnson auxquels j’ai préféré m’intéresser et surtout réfléchir ici. J’ignorais avant cette lecture l’aspect profondément misogyne des écrits de Lovecraft, puisque je ne me suis jamais réellement intéressé à son travail au delà des hommages et exégèses qui lui ont été consacrées au fil des ans. Cette idée de reprendre son univers entier pour le faire vivre au travers des regards et vie de femme est très séduisante, autant qu’intelligente, mais me semble manquer, pour ce texte, d’un souffle, d’une réelle envie de raconter quelque chose de plus. Ses éléments me semblaient un peu trop mécaniques et répondaient plus à un besoin de symbolisme qu’à des logiques intra-diégétiques. Paradoxalement, j’ai plus senti de choses à décortiquer et d’enjeux de poids à la toute fin du texte, alors qu’il se termine, accédant finalement à cette forme de sagesse bienveillante que j’ai trouvée dans Un Pont Sur La Brume.
Je n’ai donc pas trouvé chaussure à mon pied avec cette novella ; l’occasion d’une réflexion nourrissante, à partir d’un texte que je qualifierais d’incomplet, qui aurait mérité, je crois, un volume plus conséquent et un véritable approfondissement dans ses thématiques pour réellement me plaire, mais dont je ne regrette absolument pas la lecture. Je crois que j’en ferai moi aussi don, à l’occasion, en espérant qu’il finisse par trouver les yeux qui sauront être séduits. Tout le monde devrait avoir le droit de pouvoir voyager un peu dans sa vie.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
De ce que je lis de ton avis, il me semble comme une évidence qu’il faut connaître le texte de Lovecraft (La quête onirique de Kadath l’inconnue) pour pleinement apprécier le texte de Kij Johnson, car tout y est lié aux impressions laissés par le texte d’origine, tous les enjeux en dépendent. Il ne fonctionne pas sans l’ombre tutélaire et renversée de Lovecraft.
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Ah oui effectivement, avec cet éclairage, ça me paraît soudain évident. 🙂
Merci beaucoup pour la précision, je tâcherais de me pencher sur la question pour pouvoir affiner mon jugement.
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Il y a eu récemment une tendance pour les lovecrafteries en tout genre, et notamment une série de nouvelles qui ont eu pour but de réécrire Lovecraft, comme celle-ci ou La Ballade de Black Tom de Victor Lavalle (UHL) ou encore L’éclosion des Shoggoths d’Elizabeth Bear (Bifrost). Le choix de la réécriture fait que ces textes ne fonctionnent vraiment qu’en regard avec l’oeuvre originale. C’est la limite de l’exercice de style.
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Pour le coup, j’ai vraiment bien aimé la Ballade de Black Tom, sans doute parce que le sous-texte sur la question raciale était plus évident pour moi, et que le contexte plus réaliste était plus évocateur, encore une fois pour mes yeux peu éduqués à Lovecraft. L’ambiance, les enjeux et les personnages doivent jouer j’imagine.
Mais c’est intéressant d’envisager de mieux m’y intéresser quand même, il doit y avoir pas mal de choses à découvrir dans cette veine.
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