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Souviens-toi des Monstres, Jean-Luc A. D’Asciano

Disco Zombi Italia – Carpenter Brut (extrait de l’album Trilogy)
My Shadow – Keane

J’ai déjà évoqué ici ma « Sainte-Trinité » des éditeurs d’Imaginaire en France, composée de l’Atalante, Le Bélial’ et CRITIC, pour leurs contributions constantes à ma bibliothèque et mon panthéon personnel en auteurices, traducteurices, illustrateurices et ouvrages. S’il n’est pas question ici de diminuer les contributions d’autres maisons extrêmement respectables, qui sûrement finiront par gravir les quelques marches qui peuvent encore les séparer du sommet (un signe très amical aux Moutons électriques et à Mnémos, au hasard) ; je voudrais commencer cette chronique par une très profonde révérence aux forges de Vulcain. Je n’ai pas chroniqué grand’chose de leur travail ici, en dehors de Cochrane vs Chthulhu et Super-Héros de Troisième Division, mais croyez moi, ça viendra. Parce qu’après la lecture de Souviens-toi des Monstres, je commence doucement à être convaincu que je suis en train de vivre avec cette maison le début d’une histoire d’amour comme j’ai pu en vivre avec ces maisons que j’aime tant. Parce que dans tous ces romans, et encore plus dans ce dernier, j’ai trouvé une unicité, une originalité et une exigence éditoriale que je n’ai pour le moment trouvées nulle part ailleurs. Il va sans doute me falloir revoir le concept de trinité pour trouver quelque chose d’un peu plus large et inclusif. Et je m’en vais vous expliquer plus précisément pourquoi.

Dans une Italie d’une époque indéterminée, qui se situerait peut-être quelque part au XXe siècle, au sein d’une famille nombreuse, naissent Gabriel et Raphaël, siamois, de père inconnu. Très jeunes, eux comme leur famille et leur entourage s’aperçoivent qu’ils sont doués de deux voix uniques, magiques, qui, lorsqu’ils les unissent, leur permettent d’accomplir des miracles. Débute alors une très longue histoire qui liera leur destin à celui des habitants de leur île, et même encore plus loin, au delà des frontières de leur petit royaume particulier.

Autant commencer par la plus massive des observations, sur laquelle j’étendrai beaucoup de précisions tout le long de cette chronique : j’ai rarement lu un roman aussi foutraque. Une observation faite avec un sourire aussi large que possible, soyez-en assuré.e.s. C’est en tout cas le sentiment qui a dominé dans mes émotions tandis que je faisais avec ces jumeaux si particuliers le voyage de leur vie, en compagnie de leur famille et de leurs connaissances. Une longue, bordélique et réjouissante galerie de personnages bigger than life, hauts en couleurs, ajoutez vos clichés à la liste, je n’ai pas les mots pour leur faire justice. Demeure ce souffle incroyable, instillé avec la même énergie, la même puissance à chacun des personnages, sans la moindre exception. Mention plus qu’honorable aux exceptionnels dialogues d’une oralité parfaite, qui amènent une vie, une qualité organique aux différentes protagonistes, permettant, selon les besoins, des respirations dans une parfois longue narration pour explorer certains détails de l’intrigue, ou au contraire des fulgurances, des saillies humoristiques proches de la perfection. Et je n’exagère pas. Certaines scènes, certaines répliques m’ont fait littéralement éclater de rire, et m’ont donné l’envie de raconter des pans entiers de l’histoire autour de moi juste pour en arriver à une phrase, et donc de devoir recréer toute l’ambiance autour afin de leur rendre justice. Je n’ai connu ce sentiment et cette envie de partage qu’avec deux auteurs à ce jour, Terry Pratchett et Alexis Flamand. Autant dire que l’exploit n’est pas mince dans mon petit monde.

Mais ce roman n’est pas qu’un roman humoristique, très loin de là. Non, il s’inscrirait plutôt dans une catégorie à la croisée des chemins, entre le fantastique, le roman d’initiation, le roman historique et la tranche de vie ; ménageant donc tous ces différents aspects avec un équilibre aussi incroyable que gratifiant. On rit, on pleure, on souffre, on apprend des choses sur cette Italie fantasmée, sur le petit village de St-Zéphyrion, Sainte-Marie-des-deux-mers, on s’émerveille sans cesse des trouvailles et inventions de Jean Luc A. D’Asciano. On tourne les pages à la recherche de plus, sans cesser de s’émouvoir des échos de notre réalité qu’on peut facilement y retrouver, dans cette magnifique zone grise que le fantastique seul sait créer, entre la métaphore filée et l’étrange réalité d’un monde qui n’est pas le nôtre, mais de si peu. Dans ce livre-monde, l’univers se limite à seulement quelques lieux, mais n’en diminue pas le poids, l’influence ou la puissance évocatrice. On se rappelle parfois à quel point le monde, si limité puisse-t-il paraître, peut parfois nous être si vaste, finalement. Pour refaire référence à Terry Pratchett, il faisait dire à Deuxfleurs qu’on ne peut vraiment prétendre avoir voyagé tant qu’on est pas rentré à la maison. C’est une des nombreuses petites idées qui me sont revenues à la lecture de ce roman.

Au travers de toutes les diverses trajectoires de ses personnages, en particulier Raphaël et Gabriel, l’auteur multiplie les réflexions et les interrogations sur la famille, sa constitution comme ses significations, au sein de nos sociétés ou parfois certaines priorités en effacent d’autres et nous font douter des valeurs les plus fondamentales. Je ne saurais dire exactement où se situe le curseur de ce que Jean-Luc A. D’Asciano a voulu raconter avec précision. Si message précis il y avait, je dois bien dire qu’il m’a sans doute échappé. Mais alors, si vous saviez à quel point je m’en foutais à l’issue de ma lecture, et comme je m’en fous encore maintenant. Sans doute une terrible déformation due à mes études successives, mais j’ai l’affreux défaut de toujours vouloir analyser le sous-texte des œuvres qui me tombent sous les yeux. Avec un bouquin comme celui-ci, double-peine ; en plus de devoir analyser le texte, j’imaginais et analysais en avance son adaptation cinéma. Ne demandez pas pourquoi, je fais ce genre de choses, c’est tout. Mais alors que je m’interrogeais, me gâchant un peu la lecture, je confesse, l’illumination survint. Parfois, tout de même, il faut savoir lâcher prise. Accepter le cadeau d’une lecture qui vous transporte, vous fait rire, vous émeut, vous assomme d’admiration. Ce que j’ai fait, finalement. Si j’aime, c’est que le message est passé, d’une manière ou d’une autre, je l’intégrerai, à terme, et j’aurais le même plaisir à le partager, avec d’autres critères que ceux que j’évoque habituellement. Et alors l’essentiel sera préservé.

Alors le roman n’est pas exempt de défauts, après tout, frapper à la perfection sur un premier roman aurait été inespéré. Quelques petites longueurs, quelques envolées lyriques qui ne sonnent pas aussi juste que d’autres, quelques zones d’ombres un peu frustrantes, des personnages féminins peut-être un peu trop en retrait, même si cela s’explique par le contexte de la diégèse. Mais franchement, c’est presque insignifiant, à l’aune de la titanesque réussite que constitue ce roman. Parce que je n’en ai jamais ou presque lu de comme lui, aussi baigné de références discrètes mais évocatrices, d’ambiances diverses et de personnages aussi attachants, tous, avec leurs petits détails, leurs souffles et leurs fulgurances, leurs moments de gloire. Ce roman réussit le tour de force des grands romans de savoir tout raconter sans rien raconter de précis, si cela fait sens. On y trouve ces petits moments insignifiants qui font le sel de la vie comme ces grands moments que l’on partage avec tout le monde et qui nous marquent à vie, ces instants suspendus, entre grâce sophistiquée et simplicité désarmante. Parce que si nous sommes tou.te.s capables d’être ému.e.s par un chant lyrique, évocateur des grands affres de la vie humaine, nous pouvons tou.te.s pour autant, éclater d’un rire coupable sous la menace de se faire transformer en bonhomme-caca, pour peu, dans les deux cas, que l’atmosphère soit propice. Mais tous ces moments, ces instants, ont en commun une chose, cette envie que l’on a de les savoir inscrits au fond de nous, de façon indélébile, pour pouvoir les convoquer dans les moments difficiles, et se rappeler à quel point la vie sait nous réserver de vraies, belles surprises. L’inconvénient étant, évidemment que nous ne sommes pas tou.te.s à égalité devant la mémoire, et que souvent ces instants nous échappent, et nous devons nous concentrer sur leur essence. Jean-Luc A. D’Asciano a su capturer cette essence, et c’est ce que je choisis de retenir de ce roman avant tout le reste. Et si j’oublie, je pourrais toujours le relire, comme on parcourt un vieil album de famille, le sentiment demeure aussi fort agréable.

Alors voilà. Un grand roman, qui a su me toucher comme peu d’autres, avec ce que je ne saurais qualifier autrement qu’une candeur désarmante ; que je comparerais bien volontiers à cet ado un peu trop enthousiaste, qui parle beaucoup, peut-être trop, mais qu’on ne voudrait jamais voir se taire, à cause d’une émotion débordante qui nous saisit au plus profond de nous. Quelque chose des paradis perdus, de ces instants qu’on voudrait retrouver, de l’émerveillement qu’on ne sait plus pouvoir ressentir face à certaines choses, qu’on voudrait voir nous prendre par surprise de nouveau, malgré toutes les turpitudes qu’on a su traverser et qu’on craint devoir traverser à l’avenir.
Voilà pourquoi je commence à autant apprécier le travail des forges de Vulcain. Je ne suis pas convaincu de la possibilité pour moi de trouver un texte aussi singulier publié ailleurs, dans cette zone si floue entre les genres, avec un style si propre à dépeindre un univers à son image, un peu fou mais pourtant follement élégant, sachant saisir toute l’unique beauté de l’entropie. D’avoir eu le courage et l’intelligence de publier un tel texte, sans, je crois, altérer son essence, pour nous le livrer dans toute sa beauté presque sauvage, c’est une des nombreuses qualités que j’aime chez cette maison. Lire ce roman est une vraie chance, que je ne laisserais pas grand’monde rater, tout en convenant bien volontiers, cependant, qu’un tel texte ne parlera pas à tout le monde comme il a pu me parler, nécessitant un certain goût de l’abstraction, voire même de l’absurde.
Mais qu’importe. Ce texte demeure une merveille, dans l’intention et dans la réalisation. Un bijou d’unicité, d’originalité, de folie et de générosité. Que je recommande donc, très chaudement.
Merci Jean-Luc A D’Asciano, et merci aux forges de Vulcain. Nul doute que je me souviendrai des monstres. Avec un plaisir sans ombres.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

3 comments on “Souviens-toi des Monstres, Jean-Luc A. D’Asciano

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