
Strange Days – Three Days Grace (extrait de l’album Outsider)
Avant toute chose, il faut savoir que j’ai de très gros biais défavorables en ce qui concerne ce qui nous parvient de la culture nippone, surtout lorsqu’il s’agit de raconter des histoires. Trop bercé à la culture occidentale et à ses façons de procéder sans doute, il y a des manies et des obsessions chez les japonais et leurs histoires qui ont le don de m’agacer et de gâcher leurs intentions. Sans compter le fandom occidental autour qui contribue souvent à m’en donner une mauvaise image, malheureusement. Et si les exceptions arrivent, tout de même, elles demeurent des exceptions. Donc, bien que je me targue d’aller chercher partout mes lectures et d’être curieux, je dois bien confesser une certaine circonspection à l’idée de me frotter à la production littéraire du soleil levant. Cependant, quand votre chère mère vous offre un ouvrage avec le coup de cœur enthousiaste, ça ne se refuse pas ; ça manquerait à la fois de cohérence et d’élégance. J’ai donc consenti avec plaisir à m’attaquer à ce grand nom, que j’ai vu passer de loin plus d’une fois, qui constitue depuis longtemps maintenant un monument de la Culture littéraire mondiale. On ne peut pas se faire de mal à aller fouiller du côté des classiques, aussi contemporains soient-ils, ne serait-ce que par acquit de conscience.
Et alors ? Voyons ça.
Il se fait appeler Kafka Tamura, il a 15 ans et il vient de fuguer, après une longue préparation, à cause d’une vie malheureuse et d’une prédiction horrible que lui a faite son père. En parallèle de son parcours, nous suivons celui de Nakata, un vieil homme affable et innocent, atteint d’un handicap mental léger, qui se retrouve lui embarqué dans une quête dont il ne comprend rien mais dont il sait qu’il doit la mener à bien.
Autant commencer par les points négatifs, puisque pas mal de choses m’ont agacé dans ce roman, et qu’il sera bien temps de nuancer avant de conclure. Commençons par sa forme, et plus particulièrement par ce que j’appellerais les « manies japonaises » que je ne peux pas vraiment m’empêcher de voir dans la plupart des œuvres qui me parviennent. La surabondance des apostrophes nominatives au milieu des dialogues, le fait de souvent répéter la dernière chose qu’a dit l’interlocuteur, le fait d’expliciter la moindre expression ou le fait de répéter les mêmes informations à répétition, des personnages extrêmement bavards, tout ça me gonfle, profondément. Des lourdeurs infinies que je ne peux pas juste écarter de mon esprit tandis que je lis, c’est juste trop voyant, et surtout trop pénible ; parce que j’ai le sentiment qu’une fois qu’on a dit que Nakata avait les cheveux poivre et sel, il n’est pas nécessaire de le répéter. Et pourtant, certaines de ces informations sont itérées une bonne dizaine de fois tout au long du roman, sans qu’elles me semblent être fondamentales au récit. Je conçois parfaitement que ce reproche constitue une vétille en soi, mais ces petites infractions à ma patience sont si nombreuses qu’elles auraient pu facilement faire déborder mon vase, goutte à goutte.
Sur le fond, il me faut constater un traitement des personnages féminins qui me paraît très compliqué à appréhender. Au delà des scènes de sexe, qui, bien que rares, sont tout de même extrêmement explicites et dont je ne m’explique pas l’utilité en propre ; j’ai le sentiment que les femmes dans ce roman n’ont pas une place de choix. Elles sont avant tout là en soutien passif au personnage principal, objets de fantasme ou prétexte à des scènes de sexe dont je ne m’explique pas vraiment l’intérêt au sein de ce récit, surtout de façon aussi explicite, véhiculant d’ailleurs des clichés dommageables.
Dans ce qui, par ailleurs, se veut être un conte philosophique aux teintes fantastiques, autant dire que ça faisait tâche.
Continuons d’ailleurs sur cet aspect conte, un autre de mes griefs. Beaucoup trop de choses, à mon goût, vont beaucoup trop vite et se passent bien trop aisément d’explications rationnelles. Trop de choses avancent au gré des besoins de l’intrigue et non des motivations des personnages. Ils vont là où il vont parce qu’ils le « sentent » ou qu’ils le « savent », sans jamais pouvoir réellement le motiver ou l’expliquer. Les personnages se font confiance, se rendent service, se mettent en danger sans poser de questions, ou n’en posent que lorsqu’il est trop tard, n’acceptent que trop facilement le silence face à des situations qui mériteraient un peu de se secouer. C’est frustrant.
Et si les teintes fantastiques permettent assez aisément de justifier bon nombre de scènes irréelles ou développements de l’intrigue , elles posent trop de questions pour pas assez de réponses finales. J’aurais tendance à dire qu’à trop vouloir faire dans le symbolique, le récit se prend plus d’une fois les pieds dans le tapis, et pas mal d’enjeux sont laissés en suspens une fois le récit achevé. Je n’ai aucun souci avec l’usage le plus métaphorique du fantastique, mais il m’a paru quelque fois servir d’excuse à des trous dans le déroulé de l’histoire, avec certains concepts utilisés comme deux ex machina.
Mais, vient le temps de la nuance, et mon avis n’est pas qu’un amoncellement de nuages noirs et colériques. Non non non. Malgré ces défauts qui m’ont en effet fait soupirer et rouler des yeux plus d’une fois, à d’autres moments, il faut bien admettre que j’ai été saisi par de purs instants de grâce littéraire, des rais de lumière pure, transperçant la brume. Au milieu de certaines logorrhées assez vaines se glissaient de véritables et belles réflexions matinées d’une réelle poésie, qui m’ont véritablement donné le sourire et m’ont fait saluer Haruki Murakami de la tête. Mention spéciale au personnage d’Oshima, qui aura su être à la fois le personnage le plus profond et le plus pertinent du roman, par ses réflexions autant que son attitude ou ce qu’il représente. Et si, en effet, bon nombre des métaphores et symboles disséminées tout le long du roman m’ont échappé, faute de capacité référentielle et sans doute par lassitude à certains moments, je crois tout de même avoir su en retirer bonne part de l’essentiel ; un bel essentiel. On ne peut grandir qu’au contact des autres, auxquels il faut savoir s’ouvrir, comme il faut savoir rester ouvert aux opportunités que nous offre le destin, pour devenir la meilleure version de soi-même ; à la hauteur de nos envies et de nos capacités. De beaux principes qui, parmi d’autres, et enrobés dans le lyrisme et l’élégance globale du roman, prennent leur envol avec la gravité et la force évocatrice qu’ils méritent et évitent donc un pathos superflu.
Je ne saurais dire si j’ai été incapable de passer outre mes biais habituels envers les habitudes dramaturgiques et narratives nippones, si elles me rattraperont toujours ou si j’ai simplement trop souffert de mon éloignement culturel avec Haruki Murakami, mais toujours est-il que malgré les qualités que j’ai su y trouver, je n’ai effectivement pas été séduit autant que je l’aurais espéré par Kafka sur le rivage. Et si je conçois en avoir dit bien plus de mal que de bien au long de cette chronique, c’était surtout pour explorer plus précisément mes griefs, mais ne vous laissez pas tromper par la différence de volume. Mes biais constituant sans doute la plus grande part de mon manque d’appréciation, et considérant la réputation du romancier, je suis sans nul doute dans le camp de la minorité.
En définitive, je ne saurais réellement juger mon appréciation exacte de ce roman. De vraies qualités diluées dans une grande quantité de défauts dont je ne saurais dire lesquels sont les plus juste à reprocher à son auteur, à la barrière culturelle, ou à la difficulté de la traduction.
Dans le doute, lisez-le, vous avez sans doute plus à y gagner qu’à y perdre. Malgré tout, je demeure convaincu que je n’ai pas perdu mon temps.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
J’avoue que je comprends parfaitement ton point de vue… sans le partager. C’est d’ailleurs très intéressant de constater ainsi que, chacun sur un même ouvrage, est en capacité à en reconnaître la valeur, sans pour autant y prendre le même plaisir, et surtout y apprécier et à l’inverse ne pas supporter ses particularités. Mais bravo pour cette chronique d’un rédactionnel et contenu « hign level « !
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J’ajoute malgré tout, que je suis 100% d’accord avec toi sur la vision dégradée et dégradante de la femme, vision bien entendu que je rejette en bloc !
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