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Ni d’Ève ni des dents – Episode 29

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Mais pour être tout à fait honnête, je n’ai pas vraiment pris le temps de réfléchir. J’étais comme enragé, l’impression de devenir un Violent, d’avoir rebasculé en une seconde, celle qui m’a suffit pour abattre ce salopard. Je leur avais laissé la vie sauve. Alors même qu’ils avaient souhaité ma mort et celle de mes ami.e.s. Nous avons fait de notre mieux pour être respectables dans une situation horrible, avec trois putains de mois de survie, de cavale et de doute derrière nous, malgré notre peur et notre terreur incessantes, notre fatigue et notre criant manque de lucidité. Alors même qu’eux quatre étaient de facto nos ennemis, nous nous sommes contentés de les faire prisonniers plutôt que de les abattre, alors que ç’aurait pu être considéré comme raisonnable, logique, bordel. Et après ça ils essaient quand même de nous buter ? Et malgré ça, on continue à se la jouer grands seigneurs, on les laisse tranquille, et qu’est ce qu’ils font, ils essaient encore de nous buter.
Donc ouais, j’ai pas pris le temps de réfléchir. Je suis tombé sur le chef comme une putain de tonne de briques. Je lui ai maravé la gueule, en hurlant comme un possédé. Je suis pas fier de moi, loin de là. Fanny m’a récupéré les mains abîmées, le visage congestionné, plein de morve et de larmes, on voyait plus où mon sang commençait et où finissait le sien. Il est pas mort, mais il est salement amoché. On le nourrit à la petite cuillère depuis. Si j’étais pas aussi honteux d’avoir perdu le contrôle, je m’amuserais sans doute de voir qu’il est réduit à l’état auquel j’ai été réduit moi-même pendant les quelques temps de mon basculement. Je note l’ironie, mais je ne m’en amuse pas. Ce qui nous arrive nous transforme, et pas pour le mieux. J’ai l’impression d’avoir définitivement perdu une partie de moi et je sais pas si je vais réussir à la récupérer, ou si j’en ai même le droit. Rien que d’en reparler, j’en ai la tremblote. Je vais poser un peu le carnet, je reprendrai plus tard, il y a des trucs à faire de toute façon et il était clairement trop tôt pour me confronter de nouveau à cette histoire aussi directement. Je le croyais, mais non.

15h20

D’avoir dû raconter tout ça a atteint Eric au delà de ce que j’aurais cru. Depuis l’incident, il avait l’air de s’en être remis. Je regrette de l’avoir poussé à tout écrire sans m’assurer que cela n’aurait pas été néfaste pour lui avant, mais je crois qu’il ne s’en doutait pas lui-même. Ce qui nous arrive brouille nos perceptions à trop de niveaux pour que nous parvenions à garder un compte précis, je le crains.
Pour passer sur la suite des événements, puisque j’étais la seule à avoir été réveillée par les cris d’Eric et le sergent déserteur – qui a refusé de nous donner son nom – je me suis tant bien que mal occupée d’eux, juste histoire d’éviter des complications, au moins le temps de la nuit. J’ai quand même vérifié les liens du sergent, après qu’Eric m’ait expliqué ce qui s’était passé. J’étais horrifiée, et je le suis encore. Jusqu’où est-ce que tout ça va nous mener… J’ai passé la nuit avec Eric, à essayer de le rassurer, ou du moins de le soulager d’une partie de sa peine et de son dégoût de lui-même. Il n’a pas cessé de cauchemarder, de bouger, de pleurer, de demander pardon à je-ne-sais trop qui. C’était sans aucun doute le pire moment à vivre depuis le début.
Le lendemain, nous nous sommes tou.te.s reveillé.e.s avec les premières lueurs du jour, et la première chose que nous avons faite a été de partager les événements de la nuit avec Daphné et Francis afin de décider de la marche à suivre. Notre première décision a été de libérer le sergent, en établissant que nous serions toujours au moins deux et armé.e.s en sa compagnie pendant la journée, afin d’éviter le moindre risque de nous faire déborder, en échange de son aide ; le soir, nous l’attachons pour ne pas avoir à le surveiller tout en assurant qu’il puisse dormir confortablement. Nous avons également décidé de rester ici, par pure commodité, pour le moment. L’endroit semble raisonnablement éloigné du conflit, ou du moins de son épicentre, nous y avons un stock de nourriture et d’eau conséquent, volé par les soldats, et quelques équipements qui pourront s’avérer utile, éventuellement comme monnaie d’échange, et le groupe électrogène qui va avec.
Nous avons passé la première partie de la journée qui a suivie à creuser des tombes pour les trois soldats, pas tant par charité chrétienne que pour éviter la pourriture et l’odeur, qui commençaient déjà à s’annoncer, en plus de la chaleur. Et puis nous avons passé les deux jours passés à tâcher d’aménager la ferme pour pouvoir surveiller efficacement les alentours, sans penser à rien d’autre ou presque. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur notre réelle capacité à défendre l’endroit en cas d’assaut ou même de rencontre fortuite avec des soldats d’un bord ou de l’autre, mais il nous faut bien nous poser quelque part pour avoir une chance de passer cette épreuve en vie. Une ferme au milieu de nulle part est une option comme une autre, surtout avec quelques armes et des moyens de négocier. Je crois bien que nous en sommes arrivé.e.s à un mélange étrange entre désespoir, résignation et rage qui nous pousse à toujours envisager le pire comme inévitable, et donc comme une étape à franchir avant une chance de réelle liberté.
Le plus effrayant demeure cette sensation tenace de ne pas avancer, sur aucun terrain, malgré le temps qui passe. Les détonations au loin ne nous émeuvent plus, ne nous font déjà plus lever les yeux, même pas frémir l’oreille. Nous nous contentons de nous réinventer une vie qui aurait l’air d’aller de soi, dans une ferme abandonnée, en passant tous les jours devant un tank camouflé au fond de la cour, en menaçant un sergent déserteur de la pointe d’un fusil qui servi à tuer et vous a laissé un bleu sur l’épaule à l’occasion. Une vie où la décision de vous laver ou non mérite un vote, parce qu’elle suggérerait un gâchis d’eau. Une vie où nous nous demandons tous les soirs si le sergent ne serait pas qu’un poids mort, une charge discutable, une excuse pour nous donner l’impression d’avoir encore une conscience, alors même que ses trois potes sont enterrés à quelques pas à l’extérieur de la ferme, à cause de nous. Un semblant de vie, la nôtre.
Vous avez compris l’idée. On attend juste la prochaine étape, le prochain coup à prendre qui nous forcera à devoir prendre de nouvelles décisions quant à notre avenir. On n’y crois plus. On va faire au mieux, peut-être tenter de prendre le contrôle du tank pour avoir l’impression d’avoir une chance d’être laissé.e.s tranquilles, à un moment. Mais on n’a aucune raison valable d’y croire. Fini d’écrire pour aujourd’hui. Et pour un certain temps je pense, du moins de mon côté. Il n’y a plus rien à raconter pour le moment. J’en laisserai le soin aux autres.

17h30

Une voiture est passé à toute vitesse devant la ferme tout à l’heure, j’ai du me jeter dans le fossé pour qu’elle ne me repère pas, c’était chaud. Heureusement que la ferme est déjà en sale état, nos travaux se voient pas trop quand on y regarde pas de trop près du coup. Il y a l’air d’y avoir un peu plus de mouvements dans les environs mais rien d’inquiétant pour l’instant. On fait gaffe, quand même.

Jour 112
Fin de Matinée

On s’inquiète un petit peu quand même. Les forces aériennes sont de retour, même si c’est surtout de l’observation pour le moment, hélicos en priorité. Ils passent pas au dessus de nous, on est trop loin, mais ils vont bien finir par chercher d’autres voies d’accès à leurs objectifs, donc il va falloir se méfier. Je songe à tenter de piloter le tank. Pas tant pour réellement m’en servir, puisqu’on est pas assez formé.e.s, mais je me dis que ça ferait un bluff correct, au cas où. Et au pire un moyen de fuite tout à fait convenable. Mais il faudrait que le sergent coopère réellement avec nous pour ça, et il est évident qu’il ne fait qu’attendre la première occasion pour nous planter un couteau dans le dos et se barrer. Littéralement. Un chacun, vu le regard qu’il nous balance quand il croit qu’on ne le voit pas. Va falloir finir par prendre une décision difficile.

Jour 113
Début de Soirée

Pas grand chose d’intéressant à rapporter. Il semblerait que le conflit se calme un peu, même si c’est difficile de juger d’ici. On pourrait presque croire à une certaine forme de paix dans notre petit coin isolé. Sans se faire d’illusions, évidemment. Mais ne pas être pris entre le marteau et l’enclume, c’est cool.

Jour 116 – 26 Juillet
16h32 TMT

Bien. Je ne sais pas si en dernier ressort ce journal pourra effectivement être utile à qui ou quoi que ce soit, mais je crois qu’il est plus que temps que j’apporte mon éclairage à toute cette histoire, et une confession en bonnes et dues formes ne fera de mal à personne de toute façon.

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