
You’re My Demon Tonight – Be The Wolf (extrait de l’album Empress)
En matière de Littérature, l’humour est, à mes yeux, un exercice terriblement exigeant. Faire rire, c’est difficile, et très risqué, car lorsqu’on essaie mais échoue, cette gêne-là est parmi les pires à vivre, je crois. Et en tant que lecteur, c’est d’autant plus pénible quand on a déjà établi des mètres-étalons dans son esprit, et que nécessairement, tout ce qu’on lit par la suite devra être évalué selon des critères arbitraires et profondément subjectifs. Et même si l’on veut trouver ce qu’on lit drôle, forcément, parfois, la tâche est compliquée par le simple fait qu’on sait avoir lu plus drôle avant, ou qu’on a trop connu de situations, qu’on s’expose de moins en moins à la surprise, souvent indispensable ingrédient. C’est sans doute un de mes seuls regrets, si ce n’est le seul, avec le fait d’avoir découvert Terry Pratchett si jeune et d’avoir dévoré son oeuvre de façon si exhaustive avec tant de précipitation ; tout ce qui se réclame de lui ou qui se veut drôle, dans mon esprit, passe au tamis de son talent unique. J’aimerais qu’il n’en soit pas ainsi, mais il est des choses qu’on ne choisit pas vraiment, y compris malgré ses meilleures intentions.
Mais si je sais que mon goût pour le rire littéraire est exigeant, quelques auteurices ont su trouver leur place dans mon panthéon personnel, en se détachant plus ou moins de celui qui demeurera mon modèle et auteur de cœur jusqu’à la fin de mes jours, quoi qu’il arrive, simplement parce qu’il a été le premier. Et si j’ai su, depuis le temps, me détacher d’une certaine idolâtrie dommageable pour moi comme pour cielles que je lis, bien malgré-moi, je demeure très exigeant ; les auteurices qui savent vraiment me faire rire, physiquement, durant ma lecture, sont peu nombreux·ses. Par chance – pour moi surtout – Audrey Alwett a rejoint ce club très fermé après qu’on m’ait fortement conseillé Les Poisons de Katharz. Luxe supplémentaire, elle se paie même le luxe de jouir des mêmes qualités que certain·e·s de mes auteurices favori·te·s dans le genre même où elle a décidé de s’illustrer. Il faut croire que parfois, il n’y a pas de mystère.
Dans la ville de Katharz, quelque part dans la Terre d’Airain, une antique malédiction pèse sans que personne – ou presque – ne soit au courant. Un démon antique est piégé depuis des siècles et des siècles sous la terre et se réveillera le jour où cent mille âmes habiteront les collines qui ont poussé sur son dos. En conséquence, la tyranne Ténia, héritière d’une longue lignée détentrice du secret millénaire, a fait de sa ville la capitale du meurtre pour tenter d’en réguler la population, avec l’aide discrète de Dame Carasse, sorcière de son État, à l’égo comme la puissance surdimensionné·e·s. Seulement, rien de tout cela n’est suffisant, et un complot international pourrait bien être en train de faire pencher la balance du mauvais côté. Serait-ce bientôt l’heure de l’apocalypse ?
Commençons pas l’évidence, puisque j’ai déjà en partie abordé le sujet. Quand on commence un roman qui se veut humoristique et qu’on pouffe bêtement de rire dès la deuxième page du prologue, on sait qu’on est entre de bonnes mains. Les Poisons de Katharz est un roman très drôle, rempli des bonnes choses qui savent me faire rire dans un roman de ce genre, à savoir des concepts, des inventions, des personnages et surtout, la narration comme les dialogues pour les faire vivre de la manière la plus percutante possible. L’univers de la Terre d’Airain est riche et créatif, suscitant de nombreuses occasions de sourire comme de rire, mais surtout, admettons-le, de ricaner bêtement, pour notre plus grand plaisir. Et si la filiation avec Terry Pratchett est évidente et assumée, elle n’est pas stérile, loin de là, et surtout, ne se borne certainement pas à un hommage creux. À l’instar d’une Catherine Dufour dans son travail en fantasy, on sent l’inspiration autant que l’effort d’émancipation ; cette envie de faire les choses à sa propre manière, avec bon nombre de marques et idées qui appartiennent en propre à Audrey Alwett. Ce roman est le sien, et existe bien en dehors de l’hommage, ce dernier n’est qu’une valeur ajoutée, pas une raison d’être.
À cet égard, difficile pour moi ne pas opérer un autre rapprochement avec une oeuvre chère à mon cœur, à savoir le travail d’Alexis Flamand sur son Cycle d’Alamänder, les similitudes sont trop nombreuses et trop flatteuses pour que je les esquive ; et puis, bon, dire du bien de ce que j’aime, j’avoue, j’aime beaucoup ça, alors pourquoi se priver. Car au delà du rire, il s’agit bien de raconter d’autres choses, de creuser d’autres options narratives que l’humour seul. Certes, le comique est présent et bien agréable, dans ce qu’il a de plus divertissant, mais il sait creuser son propos dans d’autres directions. Les Poisons de Katharz est un roman de fantasy qui s’avère humoristique, et pas l’inverse. Il invente et pousse des idées dans leurs retranchements pour en extraire de véritables réflexions sur le monde qu’il construit, et forcément, sur celui qu’il déconstruit au passage, le nôtre. L’idée est de maîtriser au mieux des codes parfois vieillissants pour les détourner, les réinventer et les faire joyeusement exploser, souvent de façon très subite et donc d’autant plus efficiente. Un procédé dont je suis toujours friand, évidemment, et surtout quand c’est aussi bien fait, et que je peux, de fait, me marrer en passant. Et c’est ainsi qu’Audrey Alwett se fraie un passage dans ce comité restreint que j’aime à accueillir dans mon esprit, aux côtés des auteurices qui savent me faire rire et réfléchir ; tou·te·s de la même manière, ce que je ne peux plus considérer comme un hasard.
Mais que cette succession de comparaisons et rapprochements, aussi flatteurs se veulent-ils, ne vous trompent pas ; il ne s’agit nullement de réduire le travail d’Audrey Alwett à ses similitudes avec d’autres travaux. Car si le problème est, tout de même, de mon côté, que j’ai déjà rencontré trop d’œuvres semblables pour pouvoir éviter le rappel, son travail à elle sait complètement s’en démarquer ; avec ses propres spécificités, qui savent lui conférer son unique force de frappe, dans le comique pur comme dans la satire plus subtile ou la construction d’un monde de fantasy aussi solide et cohérent que délicieusement absurde. D’abord par ses inventions conceptuelles, que personne ne pourra lui retirer, mais aussi par son travail sur les dialogues et la narration, qui constitue à mes yeux ses principaux pivots de réussite. Les répliques font mouche plus souvent qu’à leur tour et sont celles qui m’ont le plus arraché des rires goguenards et des onomatopées presque honteuses de leurs décibels ; suivies de près par de non moins excellentes séquences narratives laissant place à de petites perles de prose digne de citation, qui m’ont fait sourire par leur concision et leur habile intrication dans le rythme général de l’intrigue. Et la satire n’est pas en reste, loin de là, puisque pas mal de problématiques modernes et plus anciennes en prennent pour leur grade, en passant, discrètement, certes, mais néanmoins avec efficacité. Encore une fois, le rire est un excellent vecteur de réflexions, et l’effet de miroir déformant sait être être utilisé avec malice à de nombreuses reprises tout le long du roman.
Vous l’aurez compris, ce roman est pour moi une complète réussite, le conseil était bon, très bon. Malgré mon goût prononcé pour le genre si particulier de la fantasy burlesque et ma crainte de lire quelque chose que j’aurais d’une certaine façon « déjà lu », j’ai été régulièrement surpris et débordé par les riches idées et leur excellentes mises en oeuvre, comme par quelques clins d’œils et références que je pense pas recroiser ailleurs de sitôt. Mon seul regret est, finalement, de ne pas vraiment savoir saluer les qualités de ce roman autrement qu’avec des compliments de seconde main déjà adressés à d’autres ouvrages sur ce blog. Mais que cela ne vous leurre pas, encore une fois ; Les Poisons de Katharz est un excellent roman, et si je n’arrive semble-t-il pas à le détacher de certains de ses prédécesseurs dans ma mémoire, lui saura très bien le faire pour moi.
Vous savez quoi ? Le mieux, ce serait sans doute que vous vous fassiez votre avis vous-même. Mais je m’en voudrais de vous influencer. Faîtes comme si j’avais rien dit. Mais lisez-le, quand même.
Ça a été un gros coup de cœur pour moi, je suis ravie que tu aies eu un sentiment semblable 😁 comme toi j’ai pouffé de rire à la deuxième page, je savais que c’était gagné !
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Si tu n’as pas encore pu y jeter un œil je ne saurais trop te conseiller de te jeter sur les autres exemples que j’ai pu citer dans la chronique, tu y trouveras forcément ton bonheur. 😀
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