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Ni d’Eve ni des dents – Episode 36

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Milieu de la nuit

J’ai gardé le carnet, je sais pas trop pourquoi. On est parti sans rien prendre ou presque, mais j’ai absolument tenu à garder le carnet. Je sais pas non plus trop pourquoi j’ai autant besoin d’écrire alors que les coups de feu et les éclats de bombes n’ont toujours pas cessé à l’extérieur, même si c’est de façon un tout petit peu plus sporadique. Peut-être parce que je crois qu’on va tou.te.s – finalement – crever d’ici quelques heures. On n’a pas échangé un mot depuis minuit, ou quelque chose comme ça. Trop de tension dans l’air. Écrire me calme un peu, je crois. Ça me pose, ça m’aide à faire redescendre un peu la pression. Juste un peu, mais assez pour avoir l’impression d’être capable de réfléchir. On en a pas vraiment eu l’occasion ces derniers temps, on était surtout dans la réaction. Et c’est pas fini.
Preuve en est notre situation actuelle. Bloqué.e.s à trois dans une cave qu’on a dégottée au petit bonheur, dans un pur mouvement de panique, et dont on a défoncé la serrure à coup de crosse. Crosse d’un fusil qu’on a d’ailleurs récupéré sur un cadavre, dans la rue, éclaté sous un bout de mur qui lui est tombé dessus par malchance. Pour lui, s’entend. Ou elle, d’ailleurs, on a pas pris le temps de vérifier, l’important là, c’était plutôt la quantité de sang qui ne laissait aucun doute : cette personne ne risquait pas de nous en vouloir. Difficile d’être rancunier.e quand on est mort.e.
Je m’égare encore. Pardonnez moi, les bombes et les mitraillettes ont ce petit défaut de me rendre un poil nerveux, du coup je babille. En temps normal du moins, en l’occurrence je suis plutôt graphomane. Je crois que la panique joue beaucoup.
Mais ouais, on a pas pu rester dans notre immeuble, trop exposé aux dégâts collatéraux. Une pièce à côté de notre appartement a pris un éclat ou une grenade ou je sais pas quoi ; mais en tout cas il en manquait un bout quand on est passé à côté, alors qu’on croyait être loin de la zone de conflit. Du coup on est remonté vers l’autre côté de la ville, et on a pu se rendre compte qu’on serait vraiment en sécurité nulle part. Des éclats de balle, des cratères, des dégâts, des cadavres partout. Alors on a choppé ce qu’on pouvait en passant, tant que ça nous ralentissait pas, et on a avancé jusqu’à trouver un endroit qui avait l’air de pouvoir nous amener sous terre, rapport aux bombes. Et voilà. Maintenant on essaie de respirer un peu, on espère pouvoir, à terme, retrouver Francis. Même si on se fait pas vraiment d’illusions, il était probablement parti dans la pire direction possible.

Je suis comme Eric là. J’écris plus que parce que parler nous sert plus vraiment à grand chose, et que hurler dans le vide c’est trop dangereux. Mais j’ai plus que ça qui me ferait un peu de bien, et encore. J’en peux plus, je sais même pas pourquoi on continue à courir, à se cacher, à juste essayer de j’sais-pas-quoi… J’ai la rage.

9 Septembre

Je mets la date que parce que Fanny et Eric me demandent mais franchement quel intérêt ? Encore coincés dans une putain de cave (pas la même qu’hier, une autre, la troisième en deux jours) à attendre que des gens qu’on connaît pas arrêtent de se tirer dessus les uns les autres en risquant de nous tirer dessus par accident, pour des raisons nulles qu’on connaît même pas, qui nous regardent pas, et avoir peut-être une chance de pas crever tout de suite. D’la merde.
DE. LA. MERDE.
J’ai faim, j’ai soif, j’ai mal partout, on a tout juste la lumière d’une petite fenêtre dégueulasse, on a à peine dormi parce que ces connards dehors n’ont toujours pas arrêté de se tirer dessus et de faire s’effondrer des immeubles, alors qu’ils savent très bien qu’il y a encore des gens ici. Mais ils s’en foutent, pas vrai ? Des infectés, qu’est ce que ça peut bien leur foutre, hein ? Ils sont déjà morts, et puis au pire ils feront des expériences sur les cadavres, ou alors ils réinfecteront des gens en bonne santé avec les stocks de virus qu’ils ont récupérés, après tout ils sont sans doute plus à ça près.
Je jure que si je croise un seul putain de soldat, qu’il ait une arme ou non, qu’il me vide son chargeur dans le bide s’il veut, rien à branler ; je vivrais le temps de lui faire passer le goût de la guerre. J’ai l’impression que je suis déjà morte, ça changera rien pour moi. D’ailleurs tiens, je me barre. Qu’ils aillent tous se faire mettre. J’en peux plus.

Nous l’avons retenue juste avant qu’elle ne franchisse la porte. Elle a lancé le carnet contre le mur avec un mouvement d’humeur et s’est précipité sans regarder derrière elle ni prononcer un seul mot. Je crois qu’elle n’aurait pas survécu plus de quelques minutes à l’extérieur si Eric ne l’avait pas ceinturée et maintenue auprès d’elle à la seule force de ses bras pendant un long moment. Elle a tenté de se retourner, de le frapper, de le griffer pour qu’il la laisse partir, et il a tout encaissé, sans moufter, malgré les coups sur les jambes, malgré les plaies au visages, malgré le sang dans les yeux et sur les lèvres. Je ne sais pas si c’était du courage, de la détermination ou de la lassitude. Mais il a tenu, jusqu’à ce qu’elle se mette à pleurer et qu’elle hurle en silence au creux de son épaule, au rythme de ses sanglots. Je n’avais pas réalisé à quel point elle avait maigri. Et lui non plus. Ils sont resté dans les bras l’un de l’autre depuis, et ont fini par s’endormir. Je n’ai pas osé les réveiller, iels ont l’air trop apaisé.e.s pour que j’ose interrompre leur premier réel moment de repos et de paix depuis si longtemps.
Je les aime tellement.
Je ne veux pas me leurrer sur la nature de mes sentiments ni sur leur origine. Je sais très bien que notre si particulier destin, si injuste, nous a rassemblé et a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Mais malgré toute la douleur, malgré la peur, malgré les difficultés et les épreuves incessantes, j’aime à croire que dans d’autres circonstances, nous aurions pu, tout de même, devenir un peu de ce que nous sommes devenu.e.s. Ou bien j’ai besoin de le croire, juste pour trouver dans ce sentiment la force de pousser plus loin, de ne pas laisser tomber. Après tout, toute cette histoire va, par la force des choses, bientôt se terminer. Et alors nous aurons peut-être une chance de nous en tirer pour de bon, du bon côté de l’histoire.
Il y a de moins en moins de bruits à l’extérieur, et nous avons réussi à bien nous en éloigner. La journée semble s’être bien avancée, il va falloir qu’on finisse par sortir.
Au delà de tout le reste, il est bien possible que ce qui me tue, c’est juste l’impression de vivre les mêmes choses en boucle, et de devenir encore plus terriblement folle que je ne le suis déjà devenue.
Je vais attendre qu’iels se réveillent, et après, il faudra y aller je crois, la faim et la soif guettent.

Jour 135 – 14 Septembre

Alors, par où on reprend ? Vaste question. C’est long, cinq jours, surtout quant on en a passé la majorité à réfléchir, à tourner les infos dans sa tête, à se demander comment les rapporter au mieux. Parce qu’il ne s’agit plus seulement d’un exutoire maintenant, ce carnet va bien au-delà de ça ; il va bien au delà de nous et de ce que nous avons pu vivre. Il est devenu un élément important du monde qui s’annonce. Je jure que je n’exagère pas. Et c’est pour cela qu’il faut impérativement que je raconte au mieux ce qui nous est arrivé ces cinq derniers jours, à la fois pour être précis et compréhensible, mais surtout pour être le plus crédible possible. Il est très important que ce que je m’apprête à vous raconter, vous en croyiez le moindre mot. J’oserais même dire que c’est vital, en insistant bien sur le caractère littéral de cet adjectif. J’ai bien peur de me mélanger un peu, mais puisqu’il faut bien commencer quelque part, commençons donc.
Pour commencer, je suis en prison. Une vraie prison. Hors de la zone de conflit. La guerre est semble-t-il terminée, mais bien entendu, cela n’a pas signifié la fin des ennuis pour nous;ç’aurait pas été marrant, sinon. Je ne saurais jurer d’où sont les autres, mais je crois et j’espère qu’iels sont dans la même situation que moi, grosso modo. Maintenant, comment j’en suis arrivé là.
Hasard ou destin, les emmerdes, les vraies, les bonnes grosses emmerdes, sont revenues en même temps que Francis. À croire que les unes comme l’autre, on les attire.

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