
Absolution – The Pretty Reckless (extrait de l’album Going To Hell)
C’est assez amusant de me dire que j’écris avant tout cette chronique par nécessité. Ne nous méprenons pas, je suis très content de l’écrire, mais je le fais d’abord par souci de cohérence ; afin de pouvoir donner un contexte aussi précis que possible à ma future chronique de Danseuse de Corde, le second volet du diptyque que je vais aborder maintenant, en parlant donc, logiquement, de son premier tome, Le Diseur de Mots. Chronique sortie des cartons oblige, je ne rentrerais sans doute pas autant dans le détail que pour une chronique à chaud, puisque dans le laps de temps entre ma lecture et la présente chronique, de l’eau a coulé sous les ponts, forcément. Mais le talent de Christian Léourier a ça de pratique qu’il a quelque chose d’atmosphérique, d’impalpable, et pour autant, de magnifiquement concret.
Avant Le Diseur de Mots, je n’avais jamais lu de Fantasy écrite par Christian Léourier. Mes seuls contacts avec son travail étaient Helstrid et Sitrinjeta, œuvres de pure science-fiction. Le premier m’avait profondément ému, le second m’avait laissé sur ma faim malgré un style remarquable, mais sa lecture datant un peu, je ne serais pas aussi catégorique qu’avec la merveille qu’est Helstrid, même dans le sens contraire. Mais voilà, j’étais très curieux de voir ce que la plume aérienne de cet auteur que je savais déjà profondément respecter allait pouvoir faire dans un domaine où je ne l’avais pas encore lu, d’autant plus que le bouche-à-oreille était pour le moins flatteur.
Et si mes souvenirs d’une grande partie de l’intrigue sont flous, très flous, aussi longtemps après, pourtant, encore beaucoup d’instants, de scènes et de pans entiers me reviennent comme si je les avais lus hier. Ce qui, à n’en pas douter, est à mettre au crédit de ce roman. Car si j’étais pressé, très pressé, de mettre la main sur Danseuse de Corde, c’est bien que Le Diseur de Mots avait bien rempli son office ; et il s’agit maintenant de faire de mon mieux pour lui rendre justice, malgré le délai, et malgré les souvenirs parfois flous. Mais trêve de bavardage, et en route.
Kelt est un Diseur de Mots, un étrange sorcier, si incapable de mensonge qu’on dit de ses paroles qu’elles ensorcellent le monde. Quand par malheur, Kelt prédit l’effondrement d’un pont, on l’accuse d’en être directement responsable. Enfermé dans les geôles du seigneur local et soumis à un procès par ordalie, il n’est sauvé que par l’intervention d’Hòggni, étrange mercenaire aux motivations obscures. Ensemble, ils seront contraints à servir le seigneur local, blessé dans son orgueil et avide de pouvoir. Ainsi commence leur voyage vers des terres étrangères.
Commençons par le commencement, et par le sentiment qui m’a étreint au début de la lecture, à savoir le doute. La faute à un rythme et une ambiance qui je crois m’ont décontenancé, complètement à contre-pied de la fantasy que je lis habituellement ; la faute sans doute à un certain manque de constance dans mes efforts exploratoires dans le domaine. Mais toujours est-il que retrouver cette plume lyrique et parfois même onirique dans un récit qui semblait appeler à une certaine dose d’action, de sang, de larmes et de sueur. Qui sont là, qu’il n’y ai pas méprise. Seulement, Christian Léourier a une plume d’une élégance rare, peu importe l’univers qu’il construit au fil de ses mots ; et cette élégance suggère de savoir prendre son temps. Et c’est sans doute pour cela que j’ai été surpris, et que j’ai mis autant de temps à être convaincu. Car convaincu, finalement, je l’ai été, et pas qu’un peu. Je n’ai en effet pas craint l’ennui longtemps. Car si le world-building est exigeant, et donc parfois lent, si les relations entre les personnages sont creusées à l’envi, et donc ralentissent parfois la progression de l’intrigue, c’est simplement que ce roman n’est pas un sprint mais un marathon. Les informations sont distillées, et l’intrigue compte autant que les nombreuses thématiques abordées ou les personnages qui les peuplent ou les nourrissent, le tout avec la même justesse.
Et bien entendu, ce sont ces derniers qui, encore une fois, ont frappé le plus fort dans mon petit cœur. Personne n’est étonné. Christiant Léourier, pour moi est un écrivain, si ce n’est L‘écrivain des émotions et des sentiments. Je n’ai, à ce jour, je crois, pas croisé un·e seul·e auteurice capable comme lui de suspendre le temps au sein du récit comme il le fait lorsqu’il s’agit de décrire avec à la fois tant de pudeur et précision les pensées qui traversent les esprits de ses personnages. Et si cette suspension du temps ajoute le bénéfice certain d’une relative délicatesse à un récit qui ne se prive pas de moments de douleur et de brutalité, dans un bel équilibre, profondément humain ; je conçois cependant qu’il ait facilement pu dérouter plus d’un·e lecteurice. Tout le texte est en effet parcouru de cet étrange gris, un partage éthéré et nébuleux entre le meilleur et le pire de la nature humaine, dans un univers qui laisse la part belle à la création d’une réalité décalée à l’ambiance unique. On y trouve des choses extrêmement classiques voire éculées comme des idées totalement neuves qui nécessitent du temps pour exister pleinement, mais le tout est présenté avec une telle candeur que rien ne semble finalement manquer ou être être de trop. C’est ainsi que j’ai été conquis. Par le simple fait de l’altérité, de la fraîcheur d’un récit autre, aux saveurs nouvelles à mon palais.
Alors certes, avec cette première partie, ce premier tiers je crois, un peu difficile à aborder, Le Diseur de Mots n’est pas parfait, j’en conviens. Et pour autant, je ne renierais jamais l’attachement profond que j’éprouve à son égard, précisément parce que j’ai vécu ce doute, comme j’ai vécu la disparition progressive de ce dernier en parcourant le roman. C’est assez difficile à exprimer, mais je crois qu’il y a là quelque chose de profondément organique, comme pour une relation humaine, en somme. Découvrir ce texte a été pour moi comme une rencontre au débotté, sans préparation ni présupposés, ce qui explique sans doute mon relatif inconfort passager. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais, et j’ai donc été piégé par certains de mes préjugés ; qui ont dû m’amener à opérer des changements de logiciel pour pouvoir aborder l’oeuvre différemment. Une fois cela fait, je n’ai plus eu qu’à apprécier le voyage selon des termes nouveaux, dans un contexte différent des œuvres de fantasy que j’ai pu lire auparavant, en tout cas je crois que c’est comme ça que je pourrais résumer au mieux ma relation avec Le Diseur de Mots. Et je m’attache toujours aux textes qui savent me conquérir au delà de simplement me séduire, je leur trouve un certain supplément d’âme. Et d’âme, ce roman n’en manque certainement pas.
Un grand roman, à n’en pas douter. Intelligent, mélancolique, tout simplement beau, lucide, ce texte ne manque pas d’épithètes potentiels pour pouvoir le qualifier avec justesse. Ces enjeux sont multiples, tous gérés avec brio, sous une plume d’une élégance et d’une puissance rare, sachant alterner avec maestria entre les aspects les plus sublimes du monde comme ses plus repoussants. C’est riche, mais surtout, c’est unique, et c’est conté comme personne d’autre ne saurait le faire. C’est du Christian Léourier, et j’ai extrêmement hâte de pouvoir dire autant de bien de Danseuse de Corde.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
2 comments on “La Lyre et le Glaive T1 – Le Diseur de Mots, Christian Léourier”