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Ni d’Ève ni des dents – Episode 41

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Non Daté

Ok, c’est bizarre. Je suis en cellule, quelque part, bien traitée, quoique avec une distance vaguement humiliante, depuis quoi… 3 jours ? Et soudain, un peu de nulle part, il y a ce soldat trop mignon pour être vrai, que je me souviens vaguement avoir croisé avant de me faire embarquer. Il glisse quelques mots à mon garde, il le fait s’éloigner, il me tend ce bout de papier et un stylo, et il me dit qu’il est là de la part d’Eric, et qu’Eric me demande d’écrire. N’importe quoi, ce que je veux, mais qu’il faut que j’y mette mes tripes et mes souvenirs de toute notre histoire, ceux que je n’aurais pas encore écrits. Il m’explique que notre journal va être distribué au reste de la population, pour faire connaître notre… aventure. Et tout ce qui va avec. Il me dit que c’est vital.
Et en dehors de cette introduction, j’avoue que je sais pas trop quoi raconter. J’veux dire, tout est là, déjà. Il me semble pas avoir quoi que ce soit de passionnant à rajouter.
De ce que j’en sais, on s’est retrouvés tous les quatre à devoir survivre au milieu d’un conflit aux proportions ridicules parce que des mecs que j’ai jamais vus ont décidé que pour le bien de la nation, il fallait en faire mourir 10%, sans se rendre compte que c’était surtout pour leur propre intérêt. Ou bien ils s’en rendaient bien compte, et ça n’arrange certainement pas leur cas. En vrai, je suis bien consciente que tout ça me dépasse, et qu’une fois que ce sera terminé, je suis bonne pour des années de thérapie avant de m’en sortir sans séquelles mentales. Et encore, c’est que l’hypothèse optimiste.
Je pourrais verser dans l’idéalisme, expliquer que j’ai plus grandi en l’espace d’une centaine de jours, plus appris que j’aurais jamais pu le rêver en cours. Dire que j’ai rencontré des gens formidables. Et j’inclus Francis là-dedans, sans déconner. Ce qu’il a fait est impardonnable, en soi. Et pourtant, il m’a prouvé sans jamais activement essayer qu’il y a du bien en tout le monde, pour peu qu’on fasse l’effort de se regarder en face, de reconnaître ses erreurs, ses biais et ses défauts. Francis a fait ce que mes parents n’ont jamais su faire : apprendre.
Toute ma vie, ils m’ont bassiné avec leurs certitudes, leurs peurs à la con, leurs principes bien solides, incapables d’entendre ce que j’avais à leur dire, à leur apprendre de ma réalité, celle qu’ils n’ont jamais connue, et qu’ils se refusaient à simplement appréhender. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. Au fond de moi, je leur en veux toujours terriblement, évidemment. Ils m’ont abandonnée à la première occasion, sans regarder derrière eux, sans même réfléchir aux conséquences de leurs actes, sans même essayer d’en parler avec moi. La première chance pour eux de sauver leurs petits culs d’égoïstes, même pas un regard en arrière. Carl et Fred, au moins, ont eu l’élégance de nous prévenir, de motiver leur choix, aussi débile qu’il pouvait être sur le moment. Mais ils avaient un plan, une idée, quelque chose, et suffisamment de respect pour nous pour ne pas simplement se casser comme des malpropres. Et pour ça, j’espère toujours qu’ils sont vivants, et en bonne santé, même si je ne fais pas la moindre illusion ; ils ont foncé en plein vers le cordon militaire au pire du conflit, alors que les ordres étaient sans doute de tirer à vue sans se poser de questions.
Et pour autant, je souhaite le meilleur à mes parents, même si j’ai encore plus de mal qu’avant à les considérer comme tels. Je les détestais avant cette merde, comme une ado comme moi peut haïr ses parents. Et malgré ce qu’ils m’ont fait, malgré ce qu’ils nous ont fait, je ne peux plus les détester. Je ne pourrais ne plus qu’avoir pitié d’eux, finalement, et pourtant, je m’y refuse. Ils ont été faibles, ils ont été lâches, ils ont été cons. Mais tout le monde fait des erreurs, il s’avère juste qu’ils en ont fait une terrible dans des circonstances excessivement difficiles. Je ne peux certainement pas me vanter d’avoir été plus intelligente qu’eux, et personne ne le peut.
Voilà ce que je veux dire, finalement, ce qui me hante depuis quelques semaines, et que je ne voulais pas admettre. Malgré tout, j’aime mes parents, pour tout ce qu’ils ont pu m’apporter et m’offrir pendant toutes ces années, même si c’était souvent malgré eux. J’ai appris d’eux autant de choses que je voulais hériter d’eux que de choses que j’ai intégré par pur rejet. Tout comme j’ai appris d’Eric, Fanny et Francis.
Si notre journal vous parvient, alors vous aurez aussi appris, je l’espère, beaucoup de choses. Peut-être pas ce que nous voudrions que vous appreniez, mais vous apprendrez nécessairement quelque chose. Tout ce que je vous demande, c’est d’en prendre conscience, et de faire au mieux avec ça. Comme nous l’avons fait. J’espère vivre assez longtemps et assez bien pour voir les conséquences de notre transmission, quelles qu’elles soient.
Voilà. Reste à espérer que Louis puisse effectivement mener son plan à bien.
Advienne que pourra. Que devra, comme dirait Eric.

Non Daté

Un jeune homme très malin, ce Louis. Je suis assez admiratif du plan concocté avec Eric, et je suis encore plus impressionné par la façon dont il est parvenu à déjouer la vigilance de mes gardes. Nous n’avons malheureusement pas eu beaucoup de temps pour discuter, mais il a pu m’en dire assez pour que je sache ce qu’il me reste à faire. Je serai court. D’abord parce que je n’ai malheureusement pas autant de temps que mes camarades pour m’exprimer sans prendre trop de risques de compromettre le bon déroulement du plan ; mais surtout parce que je considère que je n’ai pas le droit de monopoliser la parole.
Vous avez tous les éléments, Louis m’a assuré que les preuves rassemblées par Karim seraient transmises en même temps que notre journal. Objectivement, je considère donc que mon témoignage n’a qu’une valeur très réduite. Je ne suis pas un homme bien, j’en ai une conscience très aiguë, et j’en souffre. Mais si je ne fais rien pour m’amender, selon tous les standards humains en court, je serais bien pire encore. Acceptez mon témoignage, et surtout celui de mes amis. À ma dernière relecture de ce journal, même si elle date un peu, je me suis rendu compte qu’il contenait beaucoup plus que la recension de nos malencontreuses péripéties. J’ose espérer que vous saurez le lire comme j’ai su le lire. Quelle arrogance, je sais. À certains égards, on ne se refait pas ; même si j’ai acquis la conviction, qu’il nous faut, quelque part, tendre vers cet idéal. Je vous souhaite d’acquérir cette même conviction.
Et alors, j’aurais peut-être une maigre chance de pouvoir considérer mon existence comme un tant soit peut utile. Alors seulement, je pourrais me regarder dans un miroir sans un profond sentiment de dégoût. Apprenez de mes erreurs – un mot si faible – comme de nos meilleurs aspects, pour être de meilleures personnes que moi.
C’est tout ce que je peux oser demander de vous : le pardon.

Non Daté

Ma permission est demain. Malgré tous mes efforts, je n’ai malheureusement pas été capable de localiser l’espace de détention provisoire de Fanny pour lui permettre de nous transmettre ses dernières paroles avant mon départ. Si les révélations de Karim ont fait leur chemin dans nos rangs, nous n’avons pas encore atteint de consensus sur ce que nous devons en faire. C’est bien pour cela, d’ailleurs, que j’ai décidé de mettre notre plan à exécution : il faut absolument que le monde sache. Laisser la décision finale entre les mains des militaires est sans doute la pire solution possible, et je parle en toute connaissance de cause.
Il m’a fallu déployer des trésors d’ingéniosité dont je ne m’imaginais moi-même pas capable il y a encore quelques jours, graisser quelques pattes et sacrifier des ressources personnelles afin d’atteindre Francis et Daphné sans prendre de risques de voir le plan tomber à l’eau. À vrai dire, si cela n’avait tenu qu’à moi, je me serais contenté de transmettre le journal à mes contacts de confiance tel-quel, mais Eric tenait bien trop à l’idée de ces dernières paroles ; il estimait qu’elles ajouteraient encore plus de poids au témoignage global. A posteriori, en ayant lu Daphné et Francis, je ne peux que lui donner raison, même si je crains un peu plus à chaque heure passant me faire attraper par la Police Militaire. Nul doute que ma démarche ferait grincer bien des dents en haut lieu si elle devait finir par être découverte. Par chance, il semblerait que la majorité de mes collègues sur le terrain l’approuve pour le moment ; il ne reste qu’à espérer que la réaction globale soit la même à une distance plus sûre du théâtre des opérations. Mon expérience a tendu à me prouver par le passé que moins les gens sont concernés par un problème, moins ils le traitent avec la gravité et l’objectivité nécessaire, au profit de leurs intérêts propres et d’une mauvaise foi maladive. Nous verrons bien.
Il faut bien dire, cependant, que le plus dur est désormais devant nous. Le fait que les quatre membres de cette opération qui n’en a jamais été une – ou seulement malgré elle – aient été séparés à l’issue de la visite médicale tend à prouver selon moi que l’état-major souhaite garder une chape de plomb sur toute cette histoire ; il va me falloir la jouer fine pour permettre à ce témoignage d’atteindre le grand public, avec les conséquences que nous espérons explosives.
Encore une nuit à passer, un trajet en camion, et je serai en Zone Saine. Un dernier rapport, et alors je pourrais transmettre ce témoignage essentiel à mes contacts. Je sais que c’est absurde, mais je vous demanderais bien de nous souhaiter bonne chance.

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3 comments on “Ni d’Ève ni des dents – Episode 41

  1. muriellerochebrunet dit :

    Élégant et pertinent !

    J’aime

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