
Written By Wolves – Genius
C’est un plaisir particulier de pouvoir prendre un bouquin en étant persuadé qu’on va en sortir satisfait. Je dirais même que c’est un petit luxe, en tant que lecteur, de pouvoir investir à ce point sa confiance dans un ouvrage ou dans son auteurice. J’ai déjà, par deux fois, eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais du travail d’Oliver Gechter dans le cadre de sa saga du Baron Noir, et tout particulièrement de la progression de son ambition entre le premier et le deuxième tome de cette dernière. De ce que je percevais comme un pur divertissement pulp, nous étions passé à un divertissement plus nuancé, tissé de changements et de réflexions qui n’étaient pas pour me déplaire, sans pour autant perdre cette légèreté que j’aime et respecte tant. Car il est rare pour moi de pouvoir être simplement diverti, j’aime trop chercher la petite bête, le sens caché ; tomber sur des bouquins capables de me faire m’oublier, tout en me donnant, tout de même, ponctuellement, du grain à moudre, c’est aussi rare que précieux. Ça me permet de me reposer un peu le cerveau, sans l’endormir pour autant.
Et puisque je suis un petit privilegié, j’ai pu un petit peu discuter avec l’auteur sur Twitter à l’occasion de ma chronique sur le second tome, Bel Ange, qui avait tant su me séduire par son changement de ton, entre renouvellement et continuité. Oliver Gechter m’avait alors assuré que ce troisième tome persistait dans cette démarche, avec encore un progrès dans le volume et l’ambition. Autant dire que j’étais alléché, et pas qu’un peu. Entre la confiance établie par ces deux premiers volumes et mon trajet en train occupant toute mon après-midi, autant dire que les circonstances étaient idéales pour vérifier si j’avais raison d’anticiper mon plaisir et de faire confiance à celui qui me l’avait promis.
Et le constat est sans appel, il n’y avait pas l’ombre d’une publicité mensongère ; par contre, je suis très frustré, et c’est, pour une fois, extrêmement agréable. Et si ce constat peut sembler paradoxal, je vous assure qu’il n’en est rien, et je m’en vais, comme toujours, tenter de vous expliquer ça au mieux.
Encore une fois, on reprend là où on s’était arrêté, ou peu s’en faut, et il apparaît très vite qu’encore une fois, l’enjeu est le changement dans la continuité. Car si beaucoup de choses demeurent des deux tomes précédents, on assiste à un radical changement d’échelle et d’enjeux, pour notre plus grand plaisir, évidemment. En s’appuyant toujours sur l’exigence et l’excellence de son uchronie, Olivier Gechter passe encore un cap dans l’ambition et l’exploration des possibles, sans pour autant aller trop loin trop vite ni perdre de vue les enjeux développés précédemment. Car si l’action prime dans ce volume, et permet de mettre un peu de côté les questionnements d’Antoine Lefort provoqués par les événements de Bel Ange, on sent bien que cette mise en pause n’est que tributaire des péripéties de cette Bataille de Cherbourg ; ces questionnements, passionnants par ce qu’ils impliquent, émaillent le récit sans jamais le perturber. J’aime beaucoup l’équilibre permanent que parvient à entretenir l’auteur entre ses différents axes narratifs, sachant alterner comme mêler le divertissement, l’hypothèse uchronique et les retours à la réalité, tout le long du récit, sans jamais perdre sa qualité de page-turner. Si j’ai pu dans mes chroniques passées saluer le côté pulp du récit, ce dernier demeure présent, mais de façon plus discrète, au profit d’une approche plus moderne et technique, toujours en jouant de clins d’oeils et de références espiègles. Ce mélange me séduit encore plus qu’auparavant.
Mon principal plaisir, depuis le début de cette saga, c’est qu’à chaque tome, je n’ai pas de réels reproches à formuler en dehors d’un seul, qui n’en est pas vraiment un. Quel luxe, vraiment. Je me contente plus largement de constater que les compliments passés sont toujours valables et que de nouveaux s’imposent, à chaque fois. Ce qui m’amène à ce non-reproche : leurré par le format « intégrale », je croyais que ce troisième tome allait clore une bonne partie des enjeux amorcés et répondre à certaines questions en suspens depuis le premier volume. Et non, au contraire. Si, en effet, quelques mystères sont éclaircis, la majorité des événements sont ici complètement inédits et ne font que démultiplier les possibles, ce qui est aussi grisant que frustrant. De nouveaux personnages, de nouveaux enjeux et autant de possibilités futures d’exploration de cette uchronie passionnante, sans compter toutes les réflexions qui pourront l’accompagner. Le fait de terminer chaque volume avec une curiosité renouvelée, tant qu’on a un autre tome avec lequel enchaîner, c’est aussi agréable que confortable. Mais maintenant que j’ai fini cette (magnifique) intégrale, vous essayez de me dire qu’il va me falloir attendre un hypothétique tome 4 pour seulement espérer avoir des réponses à certaines questions qui demeurent depuis le premier tome ? C’est de la torture, ni plus ni moins. Et si, pour reprendre la formule de Neil Gaiman chère à mon cœur, Olivier Gechter « n’est pas ma pute »(pardon my french), il faut quand même admettre que j’aimerais lire ce tome suivant le plus vite possible.
Parce que voilà, si mon seul reproche est qu’une fois que j’ai fini le bouquin, j’en veux plus et que je suis frustré de pas pouvoir y avoir accès tout de suite, c’est qu’à priori, le bouquin en question a quand même super bien fait son boulot. Et autant être clair, si je ne l’ai pas déjà été, oui, La Bataille de Cherbourg le fait vachement bien, ce boulot.
C’est compliqué, mine de rien, de parler d’un troisième tome d’une série en cours sans trop en dire, quand cette dernière sait si bien jouer avec vos attentes et les subtilités de son univers uchronique, jonglant sans cesse entre ce qui ne peut pas changer, ce qui peut changer, ce qui peut ne pas changer et les nouvelles règles instaurées par les différences entre ce monde et le nôtre. De fait, d’un entre-deux technique naît un entre-deux narratif assez captivant, entre les ombres et les lumières de tous ses personnages dont les allégeances se font subtiles et délicates, transférant leurs questionnements comme ceux du récit à notre esprit. Car si je persiste à saluer la qualité de divertissement du Baron Noir, sa malice et son habileté ne doivent pas vous leurrer, il y a quelque chose d’autre sous cette apparente décontraction, une passionnante, bien qu’incomplète (faute de volume, pas de qualité), déconstruction de l’idée du progrès ; perdu entre l’avancée de technologie et l’humanité qu’on peut trop facilement (dé)laisser dans son sillage. Et si, oui, j’insiste, j’ai été un peu déçu de ne pas être arrivé au bout des aventures du Baron Noir avec ce troisième volume, de ne pas avoir toutes les réponses que je croyais – naïvement, j’en conviens – avoir, je suis bien plus enthousiaste, par contraste, à l’idée qu’un jour, peut-être, j’aurais la joie d’en lire de nouvelles ; d’autant plus en partant de l’idée que chaque tome est meilleur que le précédent. Et après tout, c’est bien ce sentiment là qu’on recherche avant tout autre, celui de finir un bouquin avec l’envie immédiate d’en ouvrir un autre. Enfin, je sais pas pour vous, mais moi, oui, clairement.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉