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Ru, Camille Leboulanger

Terrified – KONGOS (extrait de l’EP Far Away)
Sinister Rouge – Bad Religion (extrait de l’album The Empire Strikes First)

Comme souvent sur ce blog, cette lecture me ramène à devoir évoquer les Mercredis de l’Imaginaire Rennais. C’est là que j’y ai rencontré Camille Leboulanger, sans savoir à l’époque qu’il fût écrivain, ceci s’expliquant sans doute par le fait que nous ne partagions pas beaucoup de goûts en commun ou de discussions complémentaires aux débats animés d’alors, qui auraient justifié un rapprochement amical. Mais le fait est que bien des années plus tard, alors que ces soirées sont tristement loin derrière moi, j’apprends finalement que non seulement il est effectivement écrivain, mais qu’il cultive en plus une réputation d’excellence grandissante. Voir une nouveauté signée de sa main sortir chez l’Atalante, une de mes maisons d’édition favorite, quelques temps avant une autre sortie très prometteuse chez Argyll, voilà l’occasion rêvée de franchir le cap et me mouiller la nuque avant de plonger plus avant dans son œuvre, histoire de voir si nous sommes au moins fait pour nous entendre dans le cadre écrivain/lecteur.
Et bien sûr, après lecture, vient le moment de la chronique, dans laquelle je dois plus ou moins me débattre avec les potentielles contradictions nées des sentiments émanant de ladite lecture. Je vais tâcher, comme toujours, de m’expliquer au mieux ; mais pour le dire vite, si Ru est un bon roman, il m’a tout de même un peu frustré.
Procédons.

Il y a maintenant près de 200 ans, une partie de l’Humanité s’est réfugié dans Ru, une créature géante qui un jour est apparue, puis qui s’est écroulée sur la côté, et qu’on a décidé de coloniser, d’envahir. Une vie pas si différente que ça de celle de l’extérieur s’y est développée, mais c’est celle de Ru. La vie y est régie par la Préfecture, autorité descendante des pionniers originels, dont la légitimité commence à s’effriter dans la violence et le ressentiment d’une population éclatée dans les différents organes de Ru. Nous y suivons les trajectoires entremêlées ou parallèle de cielles qui font Ru ou la découvrent, alors que son destin s’apprête à irrémédiablement basculer, emportant avec elle ses habitant·e·s.

Ce roman, c’est donc avant tout celui de Ru, la créature-monde, celui de sa population, source primaire de mon ravissement de lecteur comme celle de ma frustration. Un concept tel que celui-là, c’est un pari terrible à tenir, parce qu’il constitue de fait une promesse de taille (sans jeu de mot volontaire). Imaginer une société entière se construire au sein d’une créature gargantuesque qu’elle a colonisée après sa chute, c’est un formidable défi créatif, qui suggère un certain nombre d’audaces conceptuelles pour parvenir rendre compte de son altérité. C’est le premier point sur lequel je dois me considérer aussi satisfait que déçu ; et si j’ai tendance à plutôt voir le verre à moitié plein, je dois quand même être honnête sur le volume rempli à mes yeux.
Il faut savoir que je fais partie de cielles qui estiment que toute œuvre artistiques est politique, même au corps défendant de son auteurice ; parce que tout choix de cadre et d’événements suggère des choix dans les potentiels qu’on estime comme souhaitables ou possibles, et que les trajectoires et décisions des personnages dépeints suggèrent également des prises de position – inconscientes ou non – de la part de cielle qui les écrit. Qu’on écrive de la fiction ou un essai, on produit toujours un discours moral, une vision du monde correspondant à un cadre philosophique et politique, qu’on le veuille ou non. De fait, je n’ai strictement aucun problème avec l’idée d’un roman de SF qui se voudrait éminemment politique, puisqu’il ne s’agit alors que de produire consciemment ce discours, tenter de le verbaliser au mieux pour créer des frictions conceptuelles entre les idées connues et les idées imaginaires pour en extraire quelque chose ; c’est là toute la puissance du genre de l’Imaginaire à mes yeux, précisément.
À cet égard, j’ai, dans un premier temps, aimé la démarche de Camille Leboulanger, puisque précisément, elle allait dans le sens de cette verbalisation d’un discours intégré. Ru, et donc Ru, constituent pendant la première moitié du roman une allégorie géante, un exutoire de la rage réelle, concrète, quasi palpable, de leur auteur ; une colère que j’estime légitime, juste, qu’il transmet fort habilement à une partie de ses personnages, avec une très belle empathie. Mais seulement, j’ai craint, à un moment, que cette allégorie ne trouve vite ses limites, car elle tenait plus du constat qu’autre chose, et en devenait malheureusement plus stérile que productive. Ma frustration principale est là : Ru la créature est avant tout un vecteur allégorique et manque assez cruellement de profondeur conceptuelle. J’aurais sans doute aimé ressentir plus de sense of wonder à son contact, une altérité plus poussée, et moins de rappels brut à notre réalité, j’aurais aimé que ce monde soit moins similaire au nôtre, cela n’aurait que renforcé l’impact des rapprochements qui se seraient fait de toute manière. Parfois, quand il s’agit de faire comprendre un message précis, je pense que moins en faire peut parvenir à en signifier plus, aussi paradoxal que ce soit, parce que l’effort de compréhension ou d’abstraction du côté du lectorat amène ledit message à être plus convaincant. Mâcher le travail par une écriture trop didactique peut être contre-productif.

Mais que ce constat, aussi amer puisse-t-il sembler, ne nous détourne pas de mon constat premier : ce roman est bon. Il l’est car, justement au moment où je pensais qu’il s’était enfermé dans son propre concept et commençait à tourner en rond, il a su me surprendre, et passer de l’allégorie à l’hypothèse. Un basculement narratif amène à un basculement théorique, rebattant les cartes de l’intrigue comme de ma perception politique de l’ouvrage. Aidé en cela par des personnages avec du souffle à revendre et des trajectoires évocatrices, organiques, Ru devient nettement plus concret et entremêle bien plus habilement ses propos. Il n’est alors plus seulement question de constater, il est question d’interroger et de réfléchir, à partir des constats posés précédemment, il est question de penser au delà des constats ou des évidences, d’aller plus loin. Dès lors, j’ai personnellement mis de côté mon envie de sense of wonder pour aller chercher ma satisfaction dans l’intrication entre l’allégorie et les questionnements proposé·e·s par Camille Leboulanger. Et de fait, le roman fonctionne différemment et autrement mieux, puisque j’étais mieux aligné avec les intentions que son auteur avait décidé d’y mettre, ou du moins que j’y percevais. Même si, ne nous mentons pas, il y avait alignement parce qu’il y avait un certain consensus sur les constats et la colère qui en découlaient. Nul doute que si mes idées politiques n’avaient pas été aussi proches qu’elles le sont de celles de l’auteur, j’aurais beaucoup moins apprécié ma lecture ; d’autant plus qu’elle dresse un bilan assez pessimiste que, pour le coup, je ne peux me résoudre à entièrement partager, même s’il est tristement convaincant.

Un bon roman, donc, j’insiste. Parce que même si j’aurais effectivement aimé creuser plus profondément les possibilités d’un monde comme celui de Ru plutôt que d’en faire un vaisseau essentiellement métaphorique ; force est de constater que Camille Leboulanger ne m’a jamais perdu et a su toujours renouveler mon intérêt au fil de ma découverte, particulièrement dans sa deuxième partie. Comme toujours, ma frustration est surtout personnelle et découle de ce que j’aurais voulu lire plutôt que ce que je n’ai pas aimé lire ; à cet égard, c’est un sans faute, d’autant plus qu’au plaisir de la narration seule s’est ajouté celui de la réflexion parallèle, puis à posteriori, au fil de cette chronique. Forcément, si les lectures politisées ne sont pas à votre goût, il faudra sans doute passer votre chemin pour éviter un mauvais moment. Mais si vous aimez réfléchir, faire un pas de côté pour regarder notre monde dans un reflet déformé, il y a de bonnes chances pour que vous puissiez apprécier une majorité d’aspects de Ru. J’ai trouvé là un roman habité, avec une réelle personnalité, riche, complexe et nuancé, ce qui, forcément, a amené à quelques frictions, mais de belles frictions. Et j’aime les romans qui me font penser différemment le temps de quelques centaines de pages, qui me forcent à sortir ne serait-ce qu’un peu de mes préconceptions sur ce qu’un roman peut ou devrait m’apporter, au niveau de leur construction comme de leur fonctionnement. Le bilan ne peut dès lors qu’être positif, puisque Ru a fait précisément cela.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

4 comments on “Ru, Camille Leboulanger

  1. Yuyine dit :

    J’ai lu en diagonale cet avis car je compte lire Ru prochainement (dès que le temps libre me le permet ^^). Je note néanmoins tes quelques regrets pour réduire mes attentes et ton enthousiasme global pour m’encourager à me lancer.

    Aimé par 1 personne

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