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Le Chien du Forgeron, Camille Leboulanger

Le Chien du Forgeron – Manau (extrait de l’album Panique Celtique)

J’avais déjà évoqué mon anticipation du Chien du Forgeron dans ma chronique sur Ru, c’était un roman que j’attendais avec impatience ; non seulement parce que c’est une nouvelle publication Argyll (et franchement, cette couverture), parce que ses éditeurs ne tarissent pas d’éloges à l’égard de son auteur comme de son travail, mais aussi et surtout parce que son ambition me parlait fortement. L’idée d’attaquer frontalement le mythe de la virilité, et donc par ce truchement la toxicité de la masculinité, je pense sincèrement que c’est une intention aussi noble que salvatrice par les temps qui courent ; je crois très fort qu’un changement de paradigme est bienvenu, et qu’il passera notamment par la déconstruction des légendes trop souvent malsaines qui ont construit notre imaginaire collectif, Eurydice Déchainée m’en soit témoin.
Or, vous savez désormais, si vous me suivez régulièrement, que je m’efforce de juger mes lectures à l’aune des moyens mis au service de leurs ambitions, en tempérant au maximum mon ressenti en fonction des circonstances desdites lectures. Un détour un peu honteux pour introduire l’idée que pour moi, le compte n’y est malheureusement pas, avec une étrange mise en abyme où la déception ajoute à la déception. Je suis d’autant plus déçu que je crois sincèrement que ce roman est bon, que ses intentions sont bonnes, mais que sa réalisation me l’a rendu moins percutant que je l’aurais voulu, si peu en fait que je m’y suis perdu.
Je vais essayer de vous expliquer ça.

L’histoire de Cuchulainn nous est conté par un vieil homme étrange dans une taverne en échange de quelques bières, nous promettant la véritable histoire de celui qu’on appelle le Chien du Forgeron, bien loin des mythes et légendes qui ont été forgées par le temps, les rumeurs et leurs voyages. C’est là que je suis très vite tombé sur mon premier écueil, bien que tout à fait personnel ; à savoir le ton de la narration. Tout nous étant présenté du point de vue de ce singulier conteur, il nous adresse régulièrement la parole, comme si nous étions ses spectateurices, pour demander à boire ou évoquer un point de contention de l’histoire qu’il nous raconte, en justifier les manquements ou les potentielles incohérences. De ce louable et logique effort de cohérence diégétique naissent deux soucis à mes yeux, à savoir des cassures régulières dans le rythme, mais surtout un assez cruel manque de naturel dans ces adresses, souvent formulées comme des questions qu’anticipe ou répète le conteur. Et puisque cette question de la fluidité du récit m’obsède bien plus que je ne l’aimerais, je me suis souvent retrouvé sorti du récit par ces adresses, dans lesquelles je voyais plus la main de l’auteur que je n’entendais la voix de son personnage ; ce détail n’en a finalement très vite pas été un, d’autant plus qu’il révèle le défaut majeur du roman, celui qui me fait être aussi circonspect dans mon appréciation.

Et là, je dois insister sur quelque chose de très important à mes yeux ; mon ressenti à l’égard du Chien du Forgeron ne porte que sur sa réalisation et ce qu’elle implique de plaisir de lecture pour moi, pas sur sa qualité intrinsèque ni ses intentions. Là où par exemple j’ai pris beaucoup de plaisir à lire un Réseau Dinosaure pour des raisons qui me sont propres, pour autant, je ne me cache pas que c’était un très mauvais roman, précisément à cause de mauvaises intentions et d’une ambition nulle. À l’inverse, le présent roman fait preuve de beaucoup d’ambition, et ses intentions sont nobles, ce qui augmente d’autant la difficulté de réussir à parler à tout le monde. Encore et toujours, mon déplaisir, tout relatif soit-il, ne part que d’un sentiment de frustration de ma part, parce que j’aurais aimé du fond du cœur être emporté par ce roman comme je l’ai été par Eurydice Déchainée, qui à mes yeux part de concepts similaires.
Et si je n’ai pas été séduit, c’est pour les mêmes raisons que lors de ma lecture de la première moitié de Ru, à savoir un sentiment d’être en terrain trop connu ; je crois pouvoir dire que Camille Leboulanger, à mon égard, prêchait un converti, avec un roman qui tenait plus de la démonstration que du roman. C’est un constat terrible, voire cruel que je fais, j’en ai conscience ; et ça m’attriste d’autant plus que la structure de ce récit, tous ses jalons et ses points d’appuis sont forts et convaincants, mais ils manquaient trop de subtilité à mes yeux, d’intrication avec le fil de l’intrigue, pour être aussi percutants que j’aurais aimé. Nul doute qu’encore une fois, l’anticipation et le fait d’avoir la clé de lecture avant la lecture elle-même m’ont trahi, m’ôtant le plaisir de la découverte de la démarche comme j’ai pu l’avoir dans d’autres ouvrages ayant une ambition similaire de déconstruction.

Reste donc cette intention, qui malgré un récit que je qualifierais de trop didactique, fonctionne à plein ; et c’est là dessus que je voudrais me concentrer lorsqu’il s’agira de parler de cet ouvrage, qui tient presque de l’essai pour moi, expliquant sans doute la relative lutte qu’a été sa lecture, puisque j’ai toujours du mal avec les ouvrages plus « théoriques ». L’idée de ce roman est d’exposer comment les histoires qu’on vit, surtout par procuration, puis qu’on raconte, qu’on transmet, qui se transforment et qui nous reviennent « de la mémoire à la main, de la main à la mémoire », forgent nos cultures et nos identités. Personne ne se fait tout seul, et cielles qui nous entourent sont nos modèles, jusqu’à ce qu’on serve de modèle à cielles qui nous suivent. Ce pouvoir des histoires en temps réel me séduit et me convainc, parce qu’il explique autant qu’il permet de se prémunir contre ce qu’il dénonce tout le long de son récit ; malgré mes réservations sur la forme globale, le fond comme la structure sont absolument impeccables. Comme souvent, c’est plus une question d’incompatibilité d’humeurs qu’une réelle opposition ou un rejet en bloc, ce qui nourrit encore plus ma frustration.

Je n’ai pas passé un bon moment de lecture avec ce Chien du Forgeron, et j’en suis attristé ; mais j’ai cependant passé un excellent moment de réflexion, tout comme j’ai apprécié écrire cette chronique pour faire le tri dans mes émotions. Parce que je crois sincèrement que malgré mes réserves toutes personnelles, notamment autour de l’idée que ce roman manque cruellement de personnages un tant soit peu attachants auxquels pouvoir s’accrocher pour avoir envie de les suivre, ce roman est bon, et surtout frappe juste, dans un contexte extradiégétique éminemment propice aux réflexions qu’il mène avec une acuité mordante. Moi qui aime quand l’Imaginaire sait se faire politique et nous tendre un miroir déformant pour mieux nous montrer la réalité sous un angle inédit, je n’ai décemment pas le droit de trop me plaindre. Alors voilà, je ne peux pas vraiment dire que j’ai aimé, effectivement, la faute à une forme qui ne sied pas à ma suspension consentie de l’incrédulité ; même si j’admets sans mal que la mienne est particulièrement difficile à satisfaire. Mais pour autant, je conseille beaucoup cette lecture, parce que ce roman est fait pour cielles d’entre nous qui ont à cœur de comprendre exactement pourquoi la majorité d’entre nous est très clairement du mauvais côté de l’histoire ces derniers temps, et donc de comprendre dans quelle direction aller pour faire pencher la balance dans une configuration plus optimiste.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

8 comments on “Le Chien du Forgeron, Camille Leboulanger

  1. Yuyine dit :

    Une critique nuancée dont on comprend bien l’intention. Je pense percevoir ce qui t’as gêné même si je n’ai pas eu l’occasion de lire ce roman, mais je reste convaincue aussi que je pourrais passer outre ces aspects.

    Aimé par 1 personne

  2. Jeanne dit :

    Ah, mince! J’avais assez envie de le lire, et je pense que je le ferai quand même… Parfois, les critiques négatives rendent encore plus curieux-se, puisqu’on se demande si ça va nous gêner autant. Parfois c’est le cas, et parfois non, pas du tout. À priori, ce que tu relèves n’est pas rédhibitoire pour moi. Mais… à priori seulement. 😉

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Comme je le dis dans ma conclusion, j’encourage à le lire malgré mes réserves, elles sont purement personnelles. 🙂
      Je lui souhaite toute la réussite possible, et je te souhaite qu’il te plaise.

      J’aime

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