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Tè Mawon, Michael Roch

My Wildest Dream – Smash Into Pieces (extrait de l’album A New Horizon)

Dire que j’attendais ce nouvel ouvrage de Michael Roch avec impatience est sans doute l’euphémisme de l’année, sinon de la décennie. Parce qu’il faut dire que depuis mes découvertes enfiévrées de Moi, Peter Pan et du Livre Jaune, cet auteur a comme un statut singulier dans ma tête, par la force d’un souvenir, d’une sensation de lecture absolument unique, et surtout, évidemment, l’envie de plus, toujours plus. En ajoutant à cela une sortie chez La Volte, dont les ambitions, les affinités ou bon nombre des sorties précédentes me sont aussi familières que sympathiques ; il y avait là une sacrée promesse et un objet littéraire à anticiper.
Et évidemment, comme je suis un peu gourmand, littérairement parlant, je n’ai pas attendu très longtemps avant de me jeter dessus pour pouvoir m’en délecter et vous partager mon sentiment.
Sentiment que voici, et auquel vous vous attendrez un peu si vous me connaissez bien : c’est compliqué. C’est bien, très bien, même, mais quand même, c’est compliqué.
Ne vous inquiétez pas, je vais tâcher de vous expliquer ça au mieux.

Lanvil, Mégalopole caribéenne née des ambitions d’un autre monde, d’une envie d’un autre modèle que ceux proposés par la vieille Europe gangrenée par l’extrême-droite, les Canétasunis ou l’Asie du Sud accablée par le changement climatique. Mais si Lanvil la ville prospère et fait office d’exemple à l’internationale, ses habitant·e·s demeurent accablées par de séculaires injustices et inégalités ; dont certain·e·s ont justement décidé de s’occuper une bonne fois pour toutes pour atteindre enfin le Tout-Monde, cette légende cachée sous la mégalopole et ses secrets. L’occasion d’un carambolage de destins singuliers et de révélations sur la nature de Lanvil et de son destin collectif.

Compliqué, disais-je. Pour deux raisons assez évidentes. La première étant bien entendu l’usage intensif du créole dans la narration comme dans les discours et dialogues des personnages, ce qui suggère de la part du lectorat un effort de compréhension comme d’une certaine forme de patience face à l’obstacle langagier ponctuel ; il faut parfois ou pendant un certain temps accepter qu’on ne comprend pas tout de ce qui est dit, faute du vocabulaire idoine. Alors certes, Michael Roch est un écrivain intelligent, donc l’idée centrale finit toujours par passer, à la suite d’une explication bien intégrée au récit ou par l’usage du contexte, mais pour qui il faudrait un parcours un peu fléché, je conçois que l’exercice soit un tantinet périlleux.
La seconde, c’est que ce roman est, à l’instar du travail que je connais de l’auteur, très atmosphérique, avant tout le reste. Peu de réelles descriptions, peu d’indications de temps, de lieu ou de circonstances pour cartographier le récit dans son ensemble et l’essentiel de ses scènes : le plus important, c’est le fonds du fonds, les idées, les concepts et le discours qui lie le tout. J’adore ça, et je trouve que Michael Roch le fait excessivement bien, mais à la différence de ses ouvrages précédents dans ma mémoire, le contexte est ici beaucoup plus ancré dans la réalité, un contexte réaliste et un cadre spatio-temporel nettement plus proche, palpable et indubitablement concret.

Ce qui fait de Tè Mawon un mélange un peu étrange, il faut bien le dire, ses choix de fonds comme de forme le situant à la croisée de tout un tas de chemins, dans la narration comme ses thèmes ou même ses aspects méta-textuels. Mais pour étrange que ces choix puissent parfois paraître à la lecture, ils n’en demeurent pas moins passionnants, y compris à l’analyse, et font absolument sens ; ils dénotent juste de la puissance de dépaysement et de décalage du point de vue orchestré par Michael Roch. C’est là sa qualité première à mes yeux : ma très chère altérité. Que ce soit par les éléments de langage, par l’intégration de théories et d’idées qui m’étaient pour l’essentiel inconnues formulées telles qu’elles dans un récit qui joue avec pas mal de codes du cyberpunk, l’auteur propose de fait autre chose, et c’est toujours absolument bienvenu. De fait on se retrouve dans un roman que je qualifierais volontiers de cybergrunge – parce que c’est un terme à moi qui marche bien ici, je trouve. Et qu’on est sur mon blog et que je fais ce que je veux, aussi – le cyberpunk sans les néons et le glamour qu’on lui associe généralement ; une sorte de lucidité cynique et poisseuse, le réalisme crade collé à la semelle de l’espoir qui aurait marché dedans par accident. De l’espoir, des rêves, de l’innovation technologique, il y en a toujours, mais seulement, leurs conséquences et leurs implications ne sont pas exactement les mêmes que celles qu’on avait anticipées, faute d’informations suffisantes sur la réalité du monde et de ses injustices.

Ici, les implications nouvelles, c’est un discours décolonial important, au moins pour ce qu’il contient d’un point de vue caribéen neuf et somme-toute salvateur dans une Science-Fiction souvent trop blanche et trop occidentale dans ses prémisses ou ses conclusions. C’est tout bête, mais rien qu’en changeant l’angle d’attaque, Michael Roch, malgré la relative absence d’originalité de son récit, de fait, fait preuve d’originalité. Comme toujours, c’est une question de cadrage avant tout. Par ses choix d’une narration chorale, d’une focalisation changeante, d’un langage différent, d’un cadre nouveau, Michael Roch nous signale à quel point il est possible mais surtout nécessaire d’aller chercher des possibilités nouvelles partout où on a refusé trop longtemps de seulement regarder, et illustrer par l’existence même de son texte le contenu de ce dernier dans une dialectique assez vertigineuse et relativement inédite dans mon parcours. Tè Mawon a cette force unique d’être tout à la fois le discours et sa démonstration, avec une acuité et une force de frappe assez confondante, entremêlant ses concepts à sa narration et aux dialogues de ses personnages, parvenant à rendre ces réflexions naturelles dans le fil du récit en les liant aux destins de ses personnages qui deviennent autant de vecteurs symboliques.

Alors, certes, parfois, ça vire un peu trop à la démonstration, précisément, et ça perd en naturel ce que ça gagne en lyrisme et en poésie. Par souci de cohérence, je dois bien dire que j’ai un poil décroché dans ces moments précis, bien que mon attachement à la plume singulière de Michael Roch me fasse faire preuve à son égard de plus de mansuétude que jamais, ou en tout cas bien plus que pour d’autres auteurices tombant dans des travers similaires avec plus de régularité, et sans doute moins de cette fièvre que j’aime tant chez lui. C’est ça le truc vraiment compliqué avec lui ; c’est que malgré les relatifs défauts que je peux relever dans ce roman en comparaison de ses précédents à mes yeux, à savoir une intrigue relativement convenue, des personnages un tout petit peu archétypaux, un manque de détails dans la construction et la vie de Lanvil au profit du travail atmosphérique, eh bah j’ai pris mon pied de bout en bout.
Pour tout ce que j’ai pu me dire qu’il manquait sans doute du volume à l’ensemble pour en faire un roman absolument complet, j’avais quand même le sentiment d’une réelle complétion une fois arrivé au bout. Une sorte de doute terrible dont je n’arrive pas à me dépêtrer, comme si malgré mon impression qu’il manquait quand même quelques dizaines de pages ou plus à Tè Mawon pour être vraiment aussi excellent que je l’aurais voulu, finalement, c’était plutôt moi qui avait raté les éléments mis à ma disposition. Et c’est fort possible, puisque j’avouerais que je pense effectivement de pas avoir absolument tout compris, et que je n’ai peut-être pas fait les efforts de compréhension ou de simple recherche nécessaires. Mais quand même, une petite partie de moi, malgré l’immense respect que j’ai pour Michael Roch, me dit que le texte manquait d’un tout petit supplément d’âme, celui, sans doute, que j’avais trouvé dans ses précédents textes.

Mais comme souvent, avec moi, que cette dernière note amère ne gâche pas l’ensemble et l’essentiel. Tè Mawon est un excellent roman, et un prime exemple du besoin impérieux qu’a l’Imaginaire dans son ensemble d’être exigeant avec lui-même pour produire ses plus excellents exemples. Il fait partie de ces textes que je suis avant tout heureux d’avoir pu lire et découvrir, pour ce qu’il a pu m’apporter de neuf dans ma vision des choses, de petits éléments qui reviendront à moi dans des moments inattendus pour mieux me faire comprendre des choses qui m’auraient sans doute échappé dans le cas contraire. Un sacré luxe, et un beau cadeau comme la Littérature sait si bien en faire, à sa manière.
Alors oui, c’est exigeant, évidemment, mais certaines belles choses méritent qu’on se batte et qu’on se débatte un peu pour elles, à l’occasion ; je crois qu’avoir un point de vue unique et frais sur des thèmes maintes fois rebattus est une belle chose.
Que voulez vous, j’ai un goût particulier pour les nouvelles perspectives.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

5 comments on “Tè Mawon, Michael Roch

  1. Yuyine dit :

    Je le lirai parce que j’en ai aussi très envie et que cette nouveauté mérite pleinement une mise en lumière que nos humbles lectures peuvent contribuer à donner. J’ai quelques craintes cela dit, notamment sur les deux points de difficultés. Mais je vais me laisser emporter par ce roman et je pense que ça va bien se passer.

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Je pense effectivement que ça devrait bien se passer. 😉
      En tout cas je te le souhaite très fort.

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  2. Jourdan dit :

    Je me faisais une joie de découvrir le dernier roman de Michael Roch. Je n’ai pas reconnu, hélas ,l’ecriture de l’auteur qui m’avait enthousiasmée dans Moi Peter Pan et Le livre jaune.
    Je n’ai pas réussi à lâcher prise à certains moments du texte.J’ai abandonné ne retrouvant pas les mêmes émotions procurées par les deux précédents.
    Cela dit je partage la démarche de l’auteur sur le fond et sur sur les thèmes évoqués.

    Aimé par 1 personne

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