
No more time – flor (extrait de l’album come out. you’re hiding)
C’est marrant comme certaines œuvres semblent parfois tomber à pic dans mon parcours de lecteur ; et je suis sûr de ne pas être le seul dans ce cas-là. Ces instances singulières où on a le sentiment que l’ouvrage qu’on a entre les mains est littéralement là pour répondre à une question qu’on se posait avant de l’ouvrir.
Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, les questions comme les réponses sont nombreuses ; et c’est heureux. Parce qu’en plus de tomber en adéquation avec certaines de mes interrogations récentes, le roman du jour est d’abord et avant tout le témoignage de ma chance toujours renouvelée, la preuve d’une relation extrêmement privilégiée avec Rozenn Illiano, une autrice dont je ne cesse de chanter les louanges (à raison) depuis quelques années maintenant. Parce que ce roman, j’ai eu l’insigne honneur d’en être un primo-lecteur. Eh ouais. Ça claque, hein ?
Mais trêve d’autosatisfaction. Donc, si je suis particulièrement content de pouvoir parler de ce roman en ce moment précis, c’est parce que pour une fois, je vais pouvoir enfin vous dire autre chose que des compliments à destination de son autrice. Je vais en dire, hein, ne rêvez pas non plus, je vais même en dire pas mal. Mais j’ai la joie supplémentaire, cette fois, de pouvoir sans doute développer autour de ces compliments quelques idées complémentaires. Et ça c’est bien. Très bien.
Let’s proceed.
(NB : cette chronique portant sur une primo-lecture effectuée deux mois avant la sortie définitive du roman, elle a été écrite au moment de ladite primo-lecture, et peut ne pas complètement refléter son état final.)
Filius est Maître Concepteur à Mahéra et recherche sous la pression constante de son gouvernement une solution pour résoudre des problèmes insolubles qui le laissent épuisé et perdu. Mais surtout, c’est un Rêveur, voyageant dans son sommeil dans tous les mondes possibles, explorant des univers qu’il ne peut pas voir dans sa réalité. Il voudrait fuir, et son envie d’ailleurs n’est que renforcé par la mort de son maître et mentor. Alors, sur un coup de folie, il se décide à fabriquer de quoi voyager dans ses rêves pour de bon. Le début d’un long voyage dont il n’aurait jamais pu anticiper les implications.
Et donc, c’est rigolo, que ce roman genré en fantasy par son autrice me soit arrivé entre les mains juste maintenant. Parce qu’il n’y a pas quelques jours, l’illustre Grégory Da Rosa (lisez Sénéchal) disait justement qu’il n’était plus très fan de cette appellation selon lui réductrice, lui préférant le concept de transtopie, pour l’idée d’un passage d’un lieu à l’autre au travers de l’histoire qu’on y raconte. Je ne suis toujours pas convaincu de la pertinence du débat, mais la question n’a pour autant cessé de me lanciner, ce qui prouve qu’elle touche sans doute à quelque chose de juste, tout de même. Et, du coup, si la qualification de fantasy à propos D’Hiver et d’Ombres fait absolument sens, il n’empêche qu’elle m’a un peu fait tiquer à la lecture ; mais pour une raison que je trouve bien meilleure qu’un simple pinaillage taxonomique.
Parce que je l’ai déjà dit, et je le redis donc : la principale force de Rozenn Illiano, c’est qu’elle échappe à mes yeux à toute forme de classification convenue ou habituelle. Elle aura beau se qualifier comme elle l’entend – et encore heureux, c’est elle l’autrice, après tout – j’aurais toujours tendance à ne la considérer que dans une catégorie à part lui appartenant en plein. Ce mélange générique unique, ce syncrétisme merveilleux entre science-fiction, fantasy et fantastique que je n’ai croisé nulle part ailleurs avec une telle singularité, une telle force de personnalité, j’ai envie de lui donner son propre nom. Pour ce qu’il vaut, encore une fois, mais je crois sincèrement que ça tient plus de l’hommage au souffle du travail de son autrice qu’autre chose. Et moi, le produit de ce travail, maintenant, j’appelle ça de l’oniro-fiction.
Et de fait, puisque ce roman, malgré ses évidentes différences génériques avec le reste du Grand Projet, s’y inscrit tout de même en plein, il partage avec Lui toutes les qualités habituelles que je ne cesse de joyeusement vous rabâcher par ici. Comme toujours, on a le droit à des personnages organiques et merveilleusement humains, aux interactions à l’avenant, des motivations et des réactions logiques et simples sans jamais verser dans le simplisme ou l’intérêt narratif ou spectaculaire. Les choses arrivent parce qu’elles doivent arriver ainsi, dans la dynamique des trajectoires des personnages, et pas parce que Rozenn Illiano semble se dire que ça aurait meilleure allure.
Ce qui m’amène à tempérer un petit poil mon enthousiasme en signalant que ce roman est sans doute le plus dense que j’ai pu lire de l’autrice depuis ma découverte initiale du Grand Projet. Or, la densité, c’est pas un mal en soi, mais il faut reconnaître que ce roman est tout de même assez lourd en personnages, en intrigues croisées et surtout en mélancolie. Ce qui malgré tous les efforts de clarté et le talent mobilisés par Rozenn Illiano, a donné un ouvrage très contemplatif et touffu, notamment à cause d’un certain éclatement spatio-temporel dans la narration. Or, la contemplation comme la non-linéarité, ce n’est pas forcément toujours mon truc, sur la longueur. Ce qui encore une fois, veut bien dire que ce choix narratif n’est pas un défaut à proprement parler, parce que cette lourdeur n’est pas synonyme d’indigestion ; j’ai pris un réel plaisir tout le long de ma lecture, et même de plus en plus à son fil, comprenant de mieux en mieux de quoi il était question. Mais si jamais une certaine lenteur et une attention particulière portée aux sentiments, aux ambiances et aux atmosphères plutôt qu’à l’action pure et à l’expression directe peuvent vous rendre méfiant·e, je pense qu’un avertissement s’impose. Ce n’est pas parce que les choses sont simples qu’elles ne nécessitent pas un réel soin et du temps pour être bien racontées.
Cependant, que cette tempérance purement personnelle de ma part ne vous laisse pas vous fourvoyer sur l’enthousiasme qui n’a pas cessé de m’habiter. Ô que non. Parce que l’exploit continue : encore un roman qui s’inscrit dans ce sacré Grand Projet sans aucunement nécessiter d’en avoir lu les autres occurrences pour le comprendre. Encore mieux : en avoir lu d’autres vous donnera des fugaces mais puissantes occasions de vous réjouir de percevoir des échos, et n’en avoir lu aucun autres vous donnera envie de découvrir l’ampleur des implications de la présente histoire. Alors forcément, avec une petite dizaine de textes signées par l’Onirographe à mon palmarès de fanboy, je manque sans doute un peu d’objectivité à ce sujet. Mais je suis assez sûr de mon fait : Rozenn Illiano fait beaucoup trop d’efforts pour rendre son Grand Projet aussi accueillant que possible sous tous les angles possibles pour ce que travail ne paie pas. Je dirais même que D’Hiver et d’Ombres est une des meilleures portes d’entrée possible, par son ambition et son ampleur exceptionnelles.
Je me dis presque que j’aurais aimé lire ce roman en premier pour m’y laisser engloutir complètement une première fois et encore mieux appréhender l’ampleur de ce que l’oniro-fiction a à m’offrir. Je vous souhaite de ressentir ce fabuleux vertige à votre tour, et pas qu’une fois.
Alors voilà. Honnêtement, pas mon roman favori du Grand Projet, mais sans doute aucun l’un de ses plus importants et ambitieux, et probablement l’un de ses plus réussis, par sa seule existence et son statut de clé de voûte du Grand Projet. Parce que Rozenn Illiano y raconte vraiment beaucoup de choses ; et que parvenir à nous donner autant d’éléments avec une telle efficacité sans jamais se perdre ou trop en faire, là où l’esbroufe serait si tentante, le tout avec toujours la même douceur et la même élégance, moi, je trouve que c’est balèze. Franchement très balèze, même.
Surtout en déployant aussi loin des concepts qui n’avaient jusque là été qu’esquissés ou disséminés dans une multitude d’histoires différentes et pourtant toutes liées, en poussant l’essentiel des idées de son autrice à fond au sein de son univers unique et pléthorique à la fois. Le Grand Projet, définitivement, c’est un sacré morceau. Et je suis infiniment fier d’y avoir ma toute petite place en tant que lecteur, primo ou non.
Et c’est pourquoi, encore une fois, je ne renoncerai pas à me répéter, inlassablement, dans le corps de mes chroniques comme dans leurs conclusions :
Lisez Rozenn Illiano. S’il vous plait.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
Tu nous écrirais un guide de lecture de l’autrice pour qu’on sache par quel morceau attaquer ce grand projet intimidant? J’ai très envie de m’y mettre mais je ne sais pas où me lancer. Je suis très tentée par Onirophrénie mais j’ai aucune idée si c’est un bon moyen de me lancer par exemple.
J’aimeAimé par 1 personne
Je pense personnellement, avec tout ce que j’ai lu, que D’Hiver et d’Ombres ou Le Phare au Corbeau font office d’excellentes portes d’entrée, mais l’autrice fera un meilleur boulot que moi pour te donner un avis éclairé :
Tout est là. 🙂
https://www.onirography.com/grand-projet/
J’aimeJ’aime
Ah… Rozen, qu’elle auteure ! Un univers si riche effectivement. Tellement complexe aussi, je me suis seulement arrêté à Notre dame de la mer 🙂 J’en ai pourtant deux autres à lire mais j’ai peur de me perdre dans tout ce labyrinthe. Je suis son blog et Le Grand Projet me donne le tournis à l’avance.
Sans doute voulu, cette comparaison à Erin Morgenstern fait que ses romans sont à lire – pour ma part – à tête très reposée, avec quelques heures devant soi.
Bon week-end 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Je te souhaite de trouver tout le temps possible pour lire tout le travail de Rozenn à tête reposée, c’est un bonheur dont je ne me lasse pas.
Excellent week-end à toi aussi. =)
J’aimeJ’aime