
Broken – Kongos
**[Chronique écrite le 22/06/22]**
Je vous épargne la partie habituelle de l’introduction où je dis du bien des forges de Vulcain pour passer directement au niveau au dessus pour – brièvement, promis – dire du bien de David Meulemans le formidable éditeur à leur tête. Généreux et bienveillant, aux côtés d’un autre nombre évident de qualités, M Meulemans m’a fait l’honneur et le plaisir de spontanément m’offrir un SP de l’ouvrage du jour aux Imaginales de cette années ; alors qu’à la base moi je voulais juste lui dire bonjour. La vie est aussi étrange que merveilleuse, parfois.
Et donc, évidemment, j’ai accepté ce cadeau, avec comme seul gage ma confiance éternelle en la ligne éditoriale des forges, sans trop en savoir de l’œuvre qui nous concerne céans, en dehors je crois d’une rapide description du style « c’est du folk-horror irlandais » (il est fort possible que ma mémoire me joue des tours, j’en conviens).
Je savais que la date de sortie était lointaine, j’attendais un moment opportun pour me lancer dans ma découverte dans le travail de Sue Rainsford. Puis, au hasard d’un tweet de l’autrice dévoilant sa présence à Paris en amont de la promotion de son bouquin, je me suis dit que le timing était impeccable. J’avais tort puisque après renseignements auprès de M Meulemans, il s’est avéré que la livraison publique de la présente chronique était préférée au moment de la sortie.
Mais trop tard, c’était lu et digéré. Et comme j’écris mes chroniques à chaud ou autant que possible, nous y voilà.
Pour vous expliquer pourquoi ce roman, à défaut de m’avoir complètement emballé, il m’a quand même pas mal fasciné, expliquant sans doute que je l’ai lu si vite après m’être décidé. Et qu’au final, j’ai hâte de découvrir ce que va pouvoir faire Sue Rainsford par la suite.
Le point central de ma réflexion vis-à-vis de ce court roman, c’est sans doute mon rapport personnel complexe avec le Fantastique. J’ai déjà dû en parler dans le coin, mais j’ai la flemme de chercher où et comment, vous me pardonnerez ; demeure que ce sous-genre de l’Imaginaire, selon comment il est manié, peut me plaire comme me déplaire, bien au delà des qualités propres de cielles qui l’écrivent. Ce que je veux dire par là, c’est que je suis bien plus friand et patient, d’emblée, avec un texte de Fantastique jouant sur l’invasion du quotidien, l’inquiétante étrangeté, et l’ambition de créer l’angoisse et le malaise chez cielles qui le lisent. Avec ce damné esprit analytique que j’ai, tout dénué de sentiments que je suis quand je lis, je me passionne pourtant assez facilement pour l’étude des rouages de la peur, de l’extérieur. De l’autre côté, le Fantastique est beaucoup plus souvent, je crois, mobilisé dans une optique symbolique. Les éléments d’étrange deviennent alors des métaphores sur pattes, des vecteurs de réflexion et de sens, transversaux au récit. J’aime beaucoup ça aussi, à vrai dire, mais différemment ; ce qui me rend, par contre, très difficile. Parce que les difficultés d’articulation que suggèrent ces deux méthodes d’approche ne se gèrent pas de la même manière, et je le ressens toujours à la lecture, affectant, de fait, mon appréciation de l’œuvre. Une écriture symbolique nécessite à mes yeux nettement plus de subtilité et de patience dans la construction des enjeux, pour ne pas vendre la mèche trop vite et éviter de sombrer dans l’ennui ou la pédanterie. (C’est toi que je regarde, Vita Nostra. [Non, je m’en suis toujours pas remis.])
Je coupe court : non, Jusque dans la Terre ne sombre pas dans ces écueils. Pas du tout. J’ai globalement bien aimé ce texte. Mais demeure qu’il ne partait effectivement pas gagnant, lorgnant de ce côté du Fantastique que j’évoquais juste avant. [le même que j’ai pu croiser de façon assez amusante dès le lendemain dans Des Bêtes Fabuleuses, d’ailleurs] On est clairement dans un récit très symbolique, où les enjeux – disons « anormaux » – sont avant tout des outils pour déployer les réflexions de Sue Rainsford. On ne s’y attarde pas tant que ça ; ces choses existent dans le petit monde que nous a écrit l’autrice, et elle se propose de nous en décortiquer certaines ramifications pour mettre à jour d’autres choses beaucoup plus « « normales » ». Oui, j’ai mis des guillemets autour de mes guillemets, vous comprendrez si vous lisez le roman. Hashtagteasing.
Bref, tout ça pour dire que ce roman n’est rien d’autre qu’une grande allégorie, comme souvent avec le genre de Fantastique que mobilise Sue Rainsford. Ce que je trouve qu’elle fait globalement bien, en dévoilant ses enjeux de façon progressive, distillant ses réels enjeux au fil de la tranche de vie de notre étrange héroïne. Je ne saurais dire si le malaise propre à ce genre d’histoires est bien présent, puisque j’y suis globalement insensible, mon attention se concentrant plus instinctivement sur les mécanismes convoqués que sur les effets qu’ils sont censés provoquer. Comme souvent, c’est le cadrage qui pour moi a fait toute la différence d’appréciation, dans ce récit. La même histoire, vécue par un autre point de vue, découpée différemment, mobilisant d’autres angles d’attaque, ne m’aurait sans doute pas autant fasciné.
Parce que je peux faire le malin sur les aspects analytiques de Jusque à la Terre tant que je veux et pinailler sur certains de ses aspects m’ayant un peu confusé, ; il demeure que je l’ai dévoré, ce roman. Parce qu’il a su me captiver et me rendre curieux, tout du long. Oui, j’ai trouvé quelques transitions un peu nébuleuses au sein d’un récit au rythme parfois un peu trop haché, comme je ne demeure pas complètement certain d’avoir compris absolument tous les aspects de l’intrigue. Je pense par ailleurs que certains choix de cadrage auraient pu être mieux intégrés à son déroulé pour plus de clarté, même si le fait d’avoir de mon côté lu des épreuves non corrigées devrait fortement tempérer d’éventuelles craintes que ce reproche demeure dans la version finale.
Mais oui, l’essentiel est là : j’ai été attrapé, et pas qu’un peu. Il fallait que je sache. Au delà de quelques détails un peu étranges, je suis très client des choix généraux opérés par Sue Rainsford pour raconter son histoire, juste à la bonne distance, avec juste assez de pudeur et de crudité se succédant au bon rythme pour créer la bonne ambiance et générer les bonnes impressions. Ce récit, malgré sa prédominance symbolique, en tout cas à mes yeux, n’oublie jamais de raconter une histoire en appui de son allégorie. Et donc les intérêts croisés du destin de notre héroïne et du sens qu’on peut en retirer avancent main dans la main jusqu’à la conclusion, en crescendo.
Donc si je ne peux pas dire que j’ai été complètement séduit, parce que littérairement, je ne suis pas un garçon facile ; je dois quand même reconnaître que j’ai tout de même été convaincu, d’autant plus en rédigeant cette chronique. Parce que je m’y suis rendu compte que ce bouquin était quand même assez riche en apprentissage pour moi ; j’ai pu encore un peu plus affiner ma connaissance de mes propres goûts à son contact. Et je sais pas pour vous, mais moi je dis qu’un bouquin qui vous apprend des choses, même un tout petit peu, sur vous, ça ne peut pas être un mauvais bouquin.
Et Jusque dans la Terre est un bon roman, indubitablement. Certes, il ne coche pas toutes les cases de mes préférences personnelles, surtout au niveau générique, mais il demeure qu’il est maîtrisé, assez malin, dans ses idées comme dans son exécution. Ses ambitions allégoriques sont bien servies par un cadrage narratif laissant la part belle au mystère et à la subtilité, jusqu’à la conclusion.
Oui, encore une belle découverte signée par les forges que je suis aussi ravi qu’honoré d’avoir pu lire, d’autant plus avec le privilège de l’avant-première. J’espère que Sue Rainsford aura le succès qu’elle me semble mériter, et j’espère avoir d’autres de ses textes futurs à me mettre sous la dent, pour voir si la trajectoire qu’elle me semble emprunter confirmera cette très bonne première impression. Autant de signes d’une claire réussite.
Au plaisir de vous recroiser.
D’ici là, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
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