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Robustia, Betty Piccioli

Rolling With The Punches – The Blue Stones (extrait de l’album Black Holes)

Je suis, pour plein de raisons différentes, très content d’écrire cette chronique. D’abord, évidemment, parce que si je l’écris, c’est j’ai lu avec Robustia la suite du prometteur Chromatopia. Et lire des bouquins que j’ai attendus, j’aime bien. D’autant plus quand l’exemplaire dudit bouquin m’a été personnellement envoyé par l’autrice, avec en bonus une dédicace d’anthologie. Pour être tout à fait honnête, ce roman partait très gagnant à mes yeux, il est vrai. Avec la confiance accumulée par la découverte positive du volume précédent et la proximité de valeurs et d’idées que je partage avec Betty Piccioli, les chances que je sois mortellement déçu étaient très faibles.
Mais là où je suis particulièrement content, c’est qu’avec ce roman, je trouve l’occasion rêvée, comme la première fois, de parler de quelques petites choses dont je n’ai que trop rarement l’occasion de parler sur ce blog. Donc, au delà de dire pourquoi j’ai beaucoup aimé Robustia en lui-même – et de pinailler un peu pour le principe et la transparence – on va tâcher de parler un peu d’autres choses, notamment de ce que des romans comme Robustia peuvent représenter dans le paysage où les réflexions qu’ils peuvent m’inspirer. Ce dont je suis reconnaissant. Et content, aussi. Je vous avais dit que j’étais content ?

Dans la cité de Robustia, l’ascension sociale se fait par le combat. L’héritage de la ville en faisant la protectrice séculaire du continent entier qui l’entoure contre les potwors, d’immenses et mortelles créatures, tout passe par les prismes de la force et du courage. Gagnante du tournoi annuel la menant au prestigieux poste de Conseillère d’Electrum, Biann a fort à faire dès sa prise de fonction, piégée entre Kalel, celui qu’elle a destitué de son poste, ivre de vengeance, son endométriose qu’elle doit cacher à tou·te·s sous peine d’être à son tour rétrogradée, et surtout l’étrange situation liant sa ville à Chromatopia, dont les livraisons normalement régulières, ont récemment cessé sans explication, précipitant la vie politique de Robustia. Peut-être Aequo, jeune garçon arrivé tout droit de Chromatopia, aura-t-il des explications à fournir.

Avant de nous intéresser aux fruits de la réflexion née de cette lecture, évacuons d’emblée les évidences, puisqu’il y en a quelques unes. Forcément, on retrouve l’essentiel des qualités (et relatifs défauts) que j’avais pu prêter à Chromatopia (dans le doute relisez la chronique, tout y est ou presque, en marginalement mieux). Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire d’y revenir en profondeur ; mais j’aime toujours autant ses focalisations internes croisées, éclairant d’une lumière différentes les événements à chaque fois, avec des perspectives s’intriquant ponctuellement et s’enrichissant mutuellement, comme le flux de pensée au présent, insistant précisément sur les ressentis des personnages au plus près de l’instant. Mon seul réel grief sera peut-être un léger manque de soin sur la finition du roman, dans le sens où j’ai eu un peu trop souvent le sentiment que certaines phrases, certaines tournures, n’étaient peut-être pas aussi ciselées que le reste du roman ; me sortant parfois un peu de ma lecture. C’est difficile à expliquer, mais si sur l’ensemble de l’ouvrage j’ai senti une certaine maturation dans le travail de l’autrice, il y avait ces petits moments – heureusement rares mais d’autant plus criants – de maladresse, de précipitation, peut-être, qui créaient un malheureux contraste avec le reste de la narration ; des petits grains de sable dans ce qui pour le reste, me semblait une mécanique merveilleusement bien huilée.

D’un autre côté, comme toujours avec les ouvrages destinés à un public dont je ne fais plus vraiment partie, je regrette quelques instances d’intensité prêtant plus volontiers à mes yeux à une dilution des enjeux ; j’aurais assez régulièrement souhaité qu’on prenne un peu plus notre temps pour creuser certains moments à fond, en profitant justement de la profusion des points de vue. Mais ce n’est pas tant un défaut qu’un logique choix de narration ; j’aurais même tendance à dire que c’est tout à l’honneur du roman que d’avoir régulièrement su me donner envie de plus, plutôt que l’inverse. D’autant plus une fois le roman refermé, avec la ferme envie de savoir ce qui pourrait bien se passer maintenant. Le fait est que Betty Piccioli tire à mes yeux très bien profit de sa prémisse et de sa mécanique narrative. Après tout, si j’ai lu le roman en moins de deux jours, c’est qu’il a bien fait son travail, pour son immense majorité.

Tout ceci étant dit, permettez moi de revenir maintenant sur cette fameuse narration au présent, parce qu’il s’avère que cette dernière semble déchaîner certaines passions dans le joyeux microcosme littéraire depuis quelques temps. Pour être tout à fait honnête, ça m’échappe. Je ne comprends pas l’acharnement négatif sur ce qui n’est, après tout, qu’une manière de plus, parmi tant d’autres, de raconter des histoires. Parce qu’effectivement, la narration au présent et à la première personne, ce n’est pas quelque chose dont j’ai réellement l’habitude. Je crois même qu’en dehors du travail de Betty Piccioli, c’est une forme narrative que je n’ai jamais croisé, ou du moins pas d’une façon suffisamment marquante pour m’en rappeler. Mais pour autant, au delà de l’éventuel effort d’adaptation que cette forme relativement nouvelle suggère, je ne vois pas ce que ça change, fondamentalement. À vrai dire, moi qui recherche avidement et me réjouis régulièrement de trouver dans mes lectures une certaine altérité, pouvoir aussi la trouver dans la forme qu’adopte mes lectures, c’est une vraie chance ; je m’étonne même de ne pas l’avoir relevée dans ma lecture de Chromatopia.
Ce qui est beau, avec la littérature en particulier, et avec l’art en général, à mes yeux, c’est la permanence du renouvellement. Sur le fond comme sur la forme, à l’aune de l’Histoire et des histoires qui les constituent, tout est affaire de cycles. J’ai eu l’occasion, lors d’une discussion récente, de vaguement théoriser l’idée selon laquelle notre façon de raconter des histoires était en train de se modifier, par incréments, comme à beaucoup d’autres périodes ; glissant progressivement d’une volonté de style, de spectaculaire et de surprise à plus de simplicité, de sobriété et de cohérence d’ensemble, d’une certaine grisaille des âmes à une certaine lumière. Un peu comme si, nos horizons immédiats se ternissant, nos besoins en terme de fantaisie et d’imagination devenaient plus pragmatiques, axés sur des nécessités nouvelles. Et de fait, je trouve logique que le fonds globale de notre imaginaire collectif évoluant, la forme puisse éventuellement suivre.

Par exemple, c’est tout bête, mais l’intégration de l’endométriose comme élément prégnant de l’histoire de Biann, je trouve ça vraiment excellent. Parce qu’à partir d’une maladie en soi extrêmement banale, aussi affreuse soit-elle – comprenez par là très réaliste, pas très fantasy – Betty Piccioli tire beaucoup de fils narratifs extrêmement intéressants. À partir d’un élément très simple, elle tire des conclusions extrêmement logiques, volontiers anti-spectaculaires, qui ont pourtant énormément d’impact sur le déroulement de son histoire. Et j’aime beaucoup ça, moi. Parce que non seulement ça peut simplement amener à parler de l’endométriose, qui est un vrai sujet, vraiment important, mais aussi parce qu’à l’aune d’une histoire comme celle de Robustia, ça permet de montrer beaucoup de choses de la culture politique et sociale de la cité, même passivement. C’est quelque chose que j’avais déjà salué chez Betty Piccioli et d’autres auteurices, et ce que je refais ici : inclure des choses nouvelles ou trop régulièrement ignorées voire passées sous silence, même en forçant parfois un tout petit peu, ça enrichit considérablement nos histoires. Par effet de simple exposition à ces micro-concepts, par l’inclusion raisonnée de choses très « terrestres » dans des récits d’Imaginaire, en conflit narratif avec des choses complètement autres, on peut faire naître une quantité merveilleuse de réflexions passionnantes.

Et c’est ce qui se passe dans ce roman, avec encore plus d’acuité que dans le roman précédent, notamment sur tout son pan politique. Si le système politique de Robustia, à l’aune de notre propre monde, ne fait pas plus sens que celui de Chromatopia, il en fait par contre beaucoup à l’aune du monde dans lequel il existe. Encore une fois, je pourrais regretter, avec le positionnement jeunesse du roman, un traitement parfois un peu trop superficiel de la question, mais ce serait vraiment être pénible pour rien. Parce que j’aime beaucoup l’inclusion de ces questions politiques dans le récit, surtout par le truchement de Kalel, insupportable d’aveuglement et d’égoïsme, mais avec une acuité délicieuse. Tous ses errements et ses questionnements sur le système politique auquel il appartient mais dont il s’éloigne progressivement sont d’excellentes illustrations des limites auxquelles se confronte tôt ou tard toute organisation politique, et donc de la nécessité impérieuse de contre-pouvoirs, comme de la conscience qu’aucun système institutionnel ne peut être parfait sans de régulières et honnêtes remises en question endogènes, non soumises aux aléas de l’histoire.

Content, disais-je. Parce que j’ai eu, en refermant ce roman, le sentiment d’une promesse tenue. Alors oui, il y a encore de la place pour faire mieux, soigner quelques aspects formels, peut-être ; tout comme j’aurais peut-être préféré avoir plus de volume, plus de points de vue desquels tirer ma satisfaction et mon envie de détails sur l’histoire que Betty Piccioli m’a raconté. Mais content, avant tout, parce que j’estime comme un privilège la chance de pouvoir suivre une autrice dont je sens déjà la montée en puissance potentielle, dès le départ. Content aussi parce que je suis, avec son travail, exposé à une certaine nouveauté formelle présentant ses forces propres, différentes de ce à quoi je suis habitué, m’amenant à expérimenter les choses d’une manière nouvelle ; c’est toujours une bonne chose. J’aime, par dessus tout, avoir du proverbial grain à moudre, à l’issue de mes lectures. Betty Piccioli m’en a encore donné, et j’ai hâte qu’elle m’en donne encore.
Avec une nouvelle suite dans cet univers, peut-être… Je pense qu’il y a la place, mais ce n’est évidemment pas à moi de décider.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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