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The River has roots, Amal El-Mohtar

Painted – flor

Réaliser qu’un bouquin que je referme vient de me faire la démonstration de mon erreur fait sans doute partie de mes sentiments favoris, en tant que lecteur. Je vis pour ces petites épiphanies, pour ces fugaces moments de grâce où je lis quelque chose qui me prouve que j’avais, depuis tout ce temps, appréhendé une problématique sous le mauvais angle.
Et comme Mélanie Fazi en son temps à propos du style ou Kelly Link à propos de l’intérêt vital de la curiosité en littérature, Amal El-Mohtar, avec la novella du jour, m’a fait comprendre quelque chose à propos de la poésie.
Et il fallait que je vous en parle, en plus de parler du texte lui-même. Qui est fort chouette, au demeurant.

Je serais le premier à vous dire que je ne suis pas fan de la poésie. Quelque part, ça va avec ma méfiance envers le style et son usage parfois trop ostentatoire pour être honnête ou efficace. La poésie fait partie de ces outils littéraires qui ont trop tendance à être érigés en valeurs, à mes yeux, pour que je puisse les considérer avec aménité ; comme si régulièrement, le fait qu’un texte soit poétique était un prerequis à sa qualité, et non pas une métrique à évaluer en tant que telle, à l’aune des ambitions affichées du texte qui en use. Dans une certaine mesure, assez large, je pense toujours que c’est vrai, d’ailleurs. Mais Amal El-Mohtar, dans le présent texte, a réussi à me faire réaliser qu’en tant qu’outil, la poésie, à la fois comme forme rigide d’expression, avec ses règles et ses contraintes techniques, mais aussi et surtout comme surcouche expressionniste, pouvait, à l’instar du style, participer à l’ampleur du récit qui la mobilise. Là comme ça, on pourrait croire que j’enfonce une porte ouverte, et c’est bien possible, mais pardonnez le béotien que je suis ; j’estime qu’il n’est jamais trop tard pour comprendre des choses et essayer de les partager avec d’autres néophytes que soi.

La force de la poésie telle que mobilisée par l’autrice, dans ce récit en particulier, c’est sa capacité à créer et convoquer des images. La poésie, quand elle est aussi bien maniée qu’ici – et aussi bien traduite, mon dieu érigez une statue à Patrick Marcel – elle peut contourner les contraintes du langage pour évoquer en beaucoup moins de mots et de phrases des réalités impossibles à verbaliser autrement. The River has roots est un texte extrêmement court, il faut bien le dire, ce qui dans une certaine mesure, le rend terriblement frustrant ; on sent que derrière ses quelques chapitres se cache un monde et des personnages encore plus vastes que ce qu’il nous propose au premier abord. Et effectivement, mon côté réfractaire à la mécanique des contes et du merveilleux littéraire qu’Amal El-Mohtar utilise ici aurait très bien pu me rendre ce texte fort peu sympathique. Sauf que donc : la poésie.
Pas une page sans sa formule magique, son tour de passe-passe autour de la grammaire, son raccourci à travers l’espace, le temps et la matière, pour parvenir directement dans mon cortex, et convoquer une photo d’un instant, d’une expression, d’un personnage ou d’un paysage. Alors c’est sûr, si vous êtes aphantasique, ce sera plus compliqué pour apprécier le récit de la même manière que moi, mais si au contraire, vous aimez imaginer ce que vous lisez, Amal El-Mohtar parvient fabuleusement, sans cesse, à créer des combinaisons de mots qui impriment directement ses idées dans l’esprit de son lectorat. Et c’est merveilleux.

Et c’est d’autant plus merveilleux, à mes yeux, que cette poésie est au service d’une très bonne histoire, et ce en dépit, tout de même, d’une synthèse peut-être un poil trop exigeante. Le truc, c’est quand même que cette foutue poésie, encore elle, avec l’usage brillant qu’en fait l’autrice, elle devient polysémique : elle exprime plus que ce qu’elle exprime au premier abord. Amal El-Mohtar a construit son histoire d’une manière qui permet à ses mots de signifier quelque chose de différent pour chacun·e des membres de son lectorat. Là où j’ai lu une jolie histoire de sororité, de transmission et de résilience face au deuil, nul doute que quelqu’un·e d’autre pourra lire encore autre chose, parce que le jeu de langage utilisé est à la fois assez précis et assez éthéré pour prendre des détours différents dans différents esprits. On retrouve en fait là dedans exactement ce qui m’a fait tomber amoureux du travail de Michael Roch dans son Moi, Peter Pan, cette sorte de fluidité protéiforme et intemporelle, ce supplément d’âme un peu surnaturel, cette espèce de miracle ; ça ne devrait sans doute pas marcher aussi bien, mais hey… Ça marche.

Et finalement, c’est comme pour les Oiseaux du Temps, dont la réussite insolente est la raison première de mon enthousiasme au moment de demander cet ouvrage en SP aux éditions J’ai Lu – encore merci ! – il y a là une forme d’évidence à laquelle on est ou non réceptif·ve, et ça ne se joue sans doute qu’à ça, ou presque. Si c’est votre truc, vous allez trouver ça super, comme moi. Et si c’est pas votre truc, et bah je vous plains sincèrement. Mais je vous juge pas, ça arrive. C’est comme ça.
L’essentiel, c’est que vous essayiez. Ce bouquin le mérite, à plus d’un titre.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

3 comments on “The River has roots, Amal El-Mohtar

  1. Avatar de tampopo24 tampopo24 dit :

    Je viens justement d’écouter la review de Rémi également sur instagram et vous vous rejoignez tout à fait, me donnant terriblement envie d’aller à la rencontre de cette poésie.
    Il faudrait aussi que j’aille découvrir les Oiseaux du temps ensuite !
    Merci pour ces magnifiques avis terriblement tentateurs ❤

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Laird Fumble Laird Fumble dit :

      Avec grand plaisir ! ❤

      Aimé par 1 personne

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