Jour 33
Début de Matinée
La fatigue m’a finalement terrassé hier soir, une fois que l’énergie nécessaire à mon compte-rendu était épuisée. On a pris très peu de temps pour discuter. On ne sait pas si j’ai été contaminé ou non, mais on sait très bien qu’il est hors de question de prendre le moindre risque. Sachant qu’il y a un temps d’incubation minimum de quelques jours, pour le moment, je suis simplement confiné dans un des appartements du sommet de l’immeuble en attendant qu’ils en aménagent un autre de façon plus appropriée. C’est glauque, une perspective extrêmement triste et déprimante, mais ils ont raison, je suis obligé de faire comme ils veulent de toute façon.
L’idée, c’est de ne pas me mettre à la rue maintenant, ce qui vaudrait meurtre ; mais de voir si une morsure peut être infectieuse. Mon épaule droite me fait un mal de chien, le moindre mouvement est douloureux et me rappelle la brûlure d’humiliation que j’ai subie.
J’ai été assez agréablement surpris du détachement avec lequel on a réussi à parler de tout ça par contre, il faut bien l’admettre. Si jamais je me »transforme », ils ont assuré qu’ils ne me tueraient pas. Ils verront comment j’évolue, tâcheront de réfléchir à d’éventuels remèdes (même si, sans médecin, a fortiori sans spécialiste, il ne faut pas rêver, mais bon), verront si un environnement spécial pourra aider à ma guérison… Tout un horizon donc.
Mais bon. Soyons pragmatiques, il n’y a aucune raison d’être optimiste. Au delà de »l’Infection », il faut bien craindre une infection, au minimum. Les autres ont déjà laissé dans cette pièce un peu de bouffe et d’eau, de quoi nettoyer ma blessure, changer le pansement, mais il y a fort à parier que la plaie ne reste pas propre très longtemps, malgré le très joli boulot que Fred a fait dessus hier soir.
Je crois que ce qui me frustre d’avance, c’est le temps que je vais devoir passer seul, sans pouvoir les aider ni me rendre utile d’aucune façon. Peu importe l’étendue de la période que je vais passer en isolation, je ne serai rien d’autre qu’un poids.
C’est la merde.
Fin de Matinée
Puisque par mesure de sécurité, je suis enfermé de l’extérieur, je n’ai pas pu prévenir les autres que j’étais réveillé. C’est Fanny qui m’a rendu visite il y a une petite heure, pour vérifier, et faire le point. On a du parler à travers la porte. Ce début d’isolation est déjà pénible, et terriblement humiliant. Elle m’a dit qu’ils avaient passé la matinée à commencer à préparer mon local d’isolation, avec une porte renforcée, une trappe,une fenêtre condamnée, des matelas sur les murs, etc…
Tout ce qu’il faut pour que je ne me fasse aucun mal et que je ne puisse pas m’échapper. En tout cas c’est le plan. D’après eux ce sera prêt d’ici deux jours. J’ai pas hâte.
Fin de Soirée
J’ai demandé un stock de bouquins, je ne vois vraiment plus que ça pour combattre l’ennui et la solitude. Les autres m’ont dit qu’ils se relaieraient pour venir me parler et me donner des nouvelles. Mais je suis pas confiant, et je peux pas les blâmer. Ils vont forcément avoir des choses à faire, des urgences à gérer, des vraies bonnes excuses pour avoir autre chose à faire que venir discuter avec un probable infecté en incubation. Et maintenant, je me demande bien ce que je vais pouvoir faire de ce journal. J’aimerais bien avoir la lucidité suffisante pour continuer de l’écrire, mais curieusement, j’ai pas trop la foi non plus dans ce domaine là. De toute façon, il me reste que quelques pages à remplir. Ce serait presque un joli symbole de le compléter juste avant de définitivement basculer…
Jour 34
Milieu d’après-midi
Mon épaule me fait un mal de chien. Je ne sais pas si c’est à cause de la morsure ou de ses éventuels effets, mais dans tous les cas, c’est très inconfortable pour lire. Tout mon bras m’élance, et je n’ai pas de miroir pour regarder la base de mon cou, je suis obligé de refaire mon pansement à l’aveugle.
Sinon, pas de nouvelles des autres. Je n’ose pas taper sur la porte ou crier pour attirer leur attention, je ne voudrais pas leur donner une mauvais idée de ma situation. Tant que je suis lucide, il faut que je sois patient. Et comme prévu, j’imagine bien qu’ils ont des choses à gérer. J’ai cru entendre des bruits de choc et ce qui ressemblait à des cris de frustration.
J’ai pas envie d’être seul.
Fin de Soirée
Toujours aucune nouvelles. Et plus aucun bruit. La pièce dans laquelle je suis n’est que pauvrement illuminée par un vasistas crade par lequel je ne peux que deviner les toits voisins.
Je n’arrive pas à lire. J’en ai essayé près d’une dizaine sur la pile que Fanny m’a gentiment ramenée, mais, pour le dire avec diplomatie, je ne partage pas les goûts de la majorité des gens qui ont habité dans cet immeuble avant que nous ne l’occupions. Mais allez savoir, peut être que c’est juste la faute des circonstances, hein.
Jour 35
Fin de Matinée
Il me semble avoir entendu des bruits de luttes venant de l’extérieur. Aucune certitude. Aucun mouvement à proximité de ma chambre en tout cas. J’ai songé à défoncer la porte pour aller me chercher à bouffer, mais j’ai encore deux sous de jugeote. Admettons qu’ils me croisent après une sortie pareil, ils auront tôt fait de me faire mon affaire, et je ne leur en voudrais pas. Non, il faut définitivement que je reste calme. J’ai réussi à vraiment commencer un bouquin ce matin. On ne peut pas dire que « Le Meilleur des Mondes » soit de circonstances, mais quelque part, je trouvais l’ironie assez mordante. Ahah, vous l’avez?! Je suis sûr que ça fera rire Fanny quand elle repassera me voir.
Il doit me rester quelque chose comme deux jours de bouffe et d’eau. Mon épaule me démange terriblement en plus de m’élancer, je n’ose pas vraiment y toucher. Entre l’isolation et la tentation permanente, j’ai l’impression de participer à un stage de préparation à une quelconque ascèse religieuse ou un camp de survie, c’est formidable.
Je ne suis pas sûr de savoir qui de moi ou du seau qui me sert à me soulager pue le plus la mort. On avait clairement négligé ce détail. Je me demande bien s’ils y ont réfléchi tiens.
Ne serait-ce que pour voir quel type de palace ils m’ont construit, j’ai vraiment envie qu’ils soient encore en vie et qu’ils reviennent vite me voir.
C’est fou comme la solitude, finalement, c’est aussi une question de perspectives.
Début d’après-midi
J’ai enfin entendu du bruit dans l’immeuble. Il y a même l’air d’y avoir une certaine agitation. Des éclats de voix, des meubles qu’on déplace… Qu’est ce qui se passe maintenant ?
D’ailleurs, je ne saurais en jurer, mais il me semble bien entendre des tons qui ne me sont pas familiers.
Ah, quelqu’un monte je crois.
Fin de Soirée
En effet, c’était Fanny. Les autres ont fait une sortie ce matin, et ils sont tombés sur une bande de 3 survivants pas loin de là où on est passés avant que je me fasse mordre. Ils étaient planqués dans une cave sous un resto pendant tout ce temps, avec toutes les réserves de l’endroit à disposition. On n’a pas pu s’empêcher de taper un fou rire quand elle m’a expliqué que c’était un resto bio/végé et que du coup tout leur stock était non périssable ou presque. Fou de voir le nombre de personnes oubliées dans cette évacuation finalement, c’est presque rassurant. Et comme de bien entendu, ils les ont ramenés ici.
Quand je lui ai demandé s’ils savaient pour moi, elle a esquivé le sujet. Donc ils ne savent pas encore. Je peux comprendre, mais je lui ai rappelé que si jamais je bascule, il y a peu de chances pour que ça passe inaperçu, d’autant qu’il va bien falloir me transférer, le plus tôt sera le mieux…
J’ai presque pu entendre son haussement d’épaules résigné à travers la porte.
Enfin bon. Je déménage demain. Et comme prévu, mon carnet arrive presque à expiration. Je le donnerai à Fanny une fois qu’il sera terminé. Elle verra ce qu’elle en fera.
Jour 36
Fin de Matinée
Le travail abattu est vraiment impressionnant, et quelque part, je peux même dire que je suis touché de tout ce que les autres ont fait pour moi. Ils ont entièrement recouvert une pièce de matelas, du sol au plafond, laissant une grande ouverture très profonde pour la lumière, tellement profonde que je ne peux même pas atteindre la fenêtre du bout des doigts, le bras entièrement tendu, sur la point des pieds. Il y a une petite trappe, avec une sorte de sas, pour pouvoir me passer la bouffe et l’eau, qui ne s’ouvre que de l’extérieur, bien entendu, tout comme la porte d’ailleurs, renforcée avec des morceaux de tôles et de trucs récupérés un peu partout. Et même une vitre tout en haut, hors d’accès pour moi, mais qui leur permettra de tout voir de leur côté.
On a testé la solidité du tout, ça a l’air franchement pas mal. Je suis confiant en mon incapacité à m’échapper de cet endroit, même habité par une folie furieuse, et même à ne pas trop me blesser en essayant. On verra bien. Si ça se trouve, je ne vais même pas basculer. Dans tous les cas, je leur fais confiance pour faire ce qu’il faut, comme il faut, quand il le faudra.
Et ainsi se conclut l’espace de ce carnet. Je n’en ouvrirais pas d’autre tant que je serais ici, je ne peux juste pas me permettre de prendre un crayon ou un stylo avec moi, qui sait ce que je pourrais avoir envie d’en faire. Mais j’espère avoir l’occasion d’en ouvrir un autre un jour. Je crois que j’ai pris goût à l’idée d’un journal personnel.. Je le confie à Fanny.
Je lui fais confiance.
Bravo pour cette rupture, toute en douceur et brutalité (si,si… c’est possible). la fin de cette partie (belle maîtrise) ne demande qu’une chose… la suite 🙂
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