
Self vs Self (feat. In Flames) – Pendulum (extrait de l’album Immersion)
Amusant, et quelque part intriguant, comme parfois, pour parler d’un ouvrage, le plus dur n’est pas tant de savoir ce qu’on a à en dire, mais plutôt comment introduire ce qu’on a à en dire. J’ai entendu parler de Dragon il y a de cela quelques années maintenant, lors d’une de ces merveilleuses soirées des Mercredis de l’Imaginaire Rennais avec CRITIC qui me manquent toujours aujourd’hui. Au hasard d’une des présentations dont Simon Pinel et Xavier Dollo avaient le secret, ils nous avaient évoqué ce texte alors que la collection Une-Heure-Lumière se lançait tout juste. Je me l’étais noté dans une de ces listes dont les fans indécrottables de Littérature dans mon genre ont le secret, me promettant de m’y pencher un jour. Des années plus tard, finalement, je passai le cap en me maudissant de ne pas m’être écouté à l’époque et d’en avoir fait l’acquisition sur le champ. Je ne crois pas que ce soit le premier que j’ai lu, l’honneur revenant il me semble à Helstrid de Christian Léourier. Quelle découverte ce fût, celle qui me fît acquérir la conviction profonde que j’allais vivre une passion sans limite pour cette collection, à la fois pour son audace et pour son standard de qualité, jamais démenti jusque là, cette passion, précisément qui me fait promettre de tous les chroniquer sur ce blog, sans exception, pour moi, et pour Le Bélial, parce que quelque part, je le leur dois bien, et parce que, surtout, j’en ai furieusement envie.
Plongeons, voulez vous.
Cette novella est dure, très dure ; le genre de lecture unique qui vous laisse sur le carreau, le souffle court et la conscience amochée. D’abord parce qu’il nous entraîne dans les bas-fonds de Bangkok, dans un contexte censé être celui de demain, le demain que nous craignons tous mais qui sournoisement s’installe déjà aujourd’hui, celui du réchauffement climatique, de la corruption et de la décadence. Et forcément, par la force de l’Histoire et de ce que nous savons contre quoi nous ne pouvons vraiment lutter, le demain et maintenant de la pédo-criminalité.
Nul besoin de vraiment nous pencher sur l’intrigue elle même et les personnages, qui, bien que puissants et évocateurs en eux mêmes, sont avant tous les rouages d’une machine folle qui échappe à tout contrôle. Cette novella est avant tout une plongée sans concession à la pudeur dans les tréfonds de l’horreur que certains monstres font subir aux enfants, aux mécanismes inhumains de cerveaux malades. Dragon, par un habile brouillage des pistes, fait la part belle à la définition classique du fantastique, faisant surgir le malsain et l’inhabituel dans notre réalité, nous faisant sans cesse douter de ce qui nous est raconté. Un aller et retour constant entre les points de vue de ceux qui doivent tous les jours être confronté à ce terrible esclavage sexuel, des différents côtés du crime.
Les scènes s’enchaînent, parfois graphiques et dérangeantes, parfois plus introspectives, jamais vaines, pour finalement poser à chaque fois la question centrale de l’ouvrage : où est la monstruosité ? Dans le crime, dans l’inaction face à ce dernier, ou dans les seuls moyens qui semblent rester disponibles et efficaces pour réellement l’enrayer ? On avance dans le brouillard de Bangkok autant que dans celui de nos consciences pour sans cesse se demander ce qu’il est possible, nécessaire ou légitime pour vraiment faire quelque chose qui fasse une réelle différence dans cette bataille, cette guerre terrible dont l’enjeu demeure notre humanité toute entière. Et si moi, à mon niveau, je pouvais faire quelque chose, n’importe quoi, pour que les choses aillent enfin dans le bon sens, pourrais-je le faire, serais-je capable, quelque part, de sacrifier une partie de ma conscience pour en préserver une autre ? Où est la hiérarchie, existe-t-elle seulement ?
Cette lecture est de celles que j’aime le plus, celles qui posent les bonnes questions et nous laissent pantois, avec tous les éléments de réponse sans pour autant y répondre elle même, avec hauteur, mais sans condescendance ou mépris. Dragon plante les graines d’une réflexion indispensable, qui résonne encore plus fort dans le contexte actuel et impose le respect, par une plume directe et sévère, et pour autant terriblement élégante. Ce genre de texte qui dépasse la vaine question du genre pour atteindre la transcendance qui m’est chère.
Sans vouloir vous commander, lisez Dragon.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
2 comments on “U-H-L #1 – Dragon, Thomas Day”