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Ni d’Ève ni des Dents – Episode 25

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Comme ça, à force de courir tout droit sans regarder devant nous. Ils étaient cinq, en plus de Francis ; sans doute les mêmes que ceux que j’avais déjà croisés il y a deux/trois semaines, mes souvenirs demeurent flous, je ne peux me fier qu’à mes notes.
Je crois que de l’extérieur, la scène devait avoir des tons comiques. Les cinq soldats, d’apparence entraînée, très pros, qui en nous voyant brandissent instantanément leurs armes, comme si un groupe composé d’un ex-infecté, d’une étudiante en histoire et d’une ado revêche pouvait leur opposer une quelconque menace. En tout cas c’est qu’on a pensé pendant deux secondes avant de se rappeler qu’on avait volé des armes à feu dans la voiture qui nous avait foncé dessus et qu’on les avait en mains. Donc ça s’est transformé en impasse mexicaine dans les sous-bois, quand bien même nous n’avions aucune idée de comment se servir de nos armes de notre côté, et qu’ils n’avaient aucune idée de la marche à suivre du leur.
Le temps s’est suspendu quelques secondes (oui, je sais ça n’a pas vraiment de sens mais je vois pas comment mieux l’exprimer) ; et puis, croyez-le ou non, c’est Francis qui nous a sauvé la mise. Francis !
Il était au milieu de tout ça, toujours dans ses vêtements de la dernière fois, un vieil ensemble de jogging sans doute choppé au hasard d’une séance de pillage, bien crade donc, avec un air paumé, jusqu’à ce qu’il se décide soudain à être utile. Il s’est interposé entre nous tous, en nous tournant le dos, les mains levées. Il s’est d’abord adressé à eux dans leur langue, suscitant quelques réactions de surprise dans leurs rangs, faisant s’échanger quelques regards et mouvements d’indécision. Le message manquait de clarté, forcément, mais le ton ne trompait pas ; Francis jouait l’apaisement, ses mains faisant de lents et amples gestes pour signifier aux soldats de baisser leurs armes. Ce qu’ils ne firent qu’à moitié, ou pas du tout.
Entendre sa voix, détruite par ce qui avait dû être des semaines d’infection et de rut forcené, rocailleuse et brisée, je vous avoue, ça a participé du choc global de cette étrange séquence. Sans se retourner ni quitter les soldats du regard, il s’est ensuite adressé à nous. Enfin à Fanny, d’abord.
Pour lui demander pardon.
Littéralement la première chose qu’il a dit : « Fanny, je te demande pardon ». Pris par surprise, j’ai baissé ma garde et j’ai tourné mon regard vers elle. C’était irréel. Au milieu d’une potentielle fusillade, dont nous n’avions aucune chance de sortir en vie, son sens des priorités, aussi louable soit-il, nous laissait pantois.e.s. Et pour ajouter à la confusion, Daphné m’a tapé dans le dos, son flingue toujours braqué sur les soldats, pour me demander en chuchotant de quoi il parlait. Évidemment, on ne lui en avait pas parlé. Je me suis résigné à un petit signe de la main pour lui signifier de se concentrer, et surtout, de se taire. J’ai sans doute été très sec, elle tire un peu la gueule depuis.
Le silence s’est étiré. Fanny pleurait, sans un sanglot ni un bruit. Ses larmes se contentaient de couler, inexorables, traçant des sillons clairs dans la crasse de ses joues. Et pourtant, elle gardait son fusil d’assaut bien en place, le canon menaçant, sans doute le plus convaincant de nous trois.
Et puis Francis a pris une grande inspiration, et avec gravité, mais en butant sur le moindre mot, nous a demandé à nous aussi de baisser les armes, arguant de pouvoir assurer notre sécurité pour les temps à venir, ou du moins empêcher notre mort stupide à cette occasion précise. Et pendant tout ce temps, il a été le seul à parler, comblant le silence malsain de cette clairière avec les vibrations éclatées de ce qui lui restait de capacités vocales. Les mots en eux-même se sont un peu perdus, le sens seul nous est parvenu, avec ce qu’il suggérait de changements dans l’attitude et la façon de fonctionner de Francis. Que lui était-il arrivé ?
Je sais pas vraiment combien de temps on est resté là, tous les neuf, sans bouger ni parler, sous le coup d’une complète tension, mêlée de peur, après qu’il nous ait dit ça. Les cinq soldats, silhouettes quasi-anonymes, planquées sous leurs masques et uniformes noirs, conçus uniquement pour le combat ; nous trois, survivant.e.s desesperé.e.s, même pas certain.e.s de voir des balles surgir des canons de nos armes, dont on était pas même sûr qu’on les tenait correctement, et Francis au milieu. Un spectre en jogging crade, qui avait du perdre une vingtaine de kilos en même temps qu’une partie de sa raison, qui essayait d’éviter le pire.
Plus j’y repense, plus je me rends compte de l’absurdité de tout ça ; à l’image de tout le reste.
Toujours est-il qu’on a fini pas tou.te.s baisser nos armes, par résignation plutôt que par conviction. Personne n’avait de quoi justifier sa mort pour risquer sa vie, c’était tout. Mais le soupir de soulagement qu’a poussé Francis exprimait sans doute ce que nous avons tou.te.s ressenti, en synchro parfaite avec le relâchement de nos épaules.
Je n’oublierai jamais l’intensité de l’échange de regards entre Fanny et lui lorsqu’il s’est retourné vers elle. Pas un mot de plus. Il a ensuite reculé pour réintégrer les rangs des soldats, sans cesser de la regarder, réunissant ses mains au niveau de sa poitrine dans une prière silencieuse, articulant silencieusement un remerciement d’une humilité qui ne lui ressemblait pas. Ses yeux étaient rouges et gonflés, son visage strié de traces claires, lui aussi. Il venait de se passer quelque chose de quasi-mystique dont les implications nécessiteraient un dénouement ultérieur. Qui était cet homme ?
Nous n’avons pas eu l’occasion d’en parler ou d’y réfléchir sur le moment, puisqu’il fallait bien que l’instant de grâce cesse à un moment où à un autre. Des coups de feu, émanant de la route, ramenant les soldats à leurs devoirs militaires. Ils se courbèrent, même si les éclats de la fusillade en cours semblaient relativement distants, et nous firent signe de les suivre, avec une certaine réticence, certes, visible par leur rapide coup d’œil vers Francis mais néanmoins avec autorité. Il les avait convaincus autant que nous, et je comprenais mieux son utilité de traducteur.
Je suis fatigué. Je raconterai la suite demain.

Jour 110 – 20 Juillet

Je crois bien qu’on est pas loin de midi, mais j’ai perdu ma montre, alors je sais pas. Je me suis réveillée super tôt ce matin, à cause de la lumière. Je savais pas quoi faire alors j’ai eu envie de lire le journal. Je me disais que peut-être je comprendrais un peu plus ce qui se passe avec Francis. Ils m’en avaient jamais parlé avant, je captais pas pourquoi ils avaient l’air si chamboulés de le voir.
Du coup, ouais, je vois. J’aurais dû le lire plus tôt, j’aurais fait pas mal de choses autrement. J’aurais dit des choses que j’ai pas osé dire, et j’aurais fermé ma gueule à d’autres moments. Quelle conne.
Mais voilà, vu qu’ils dorment encore (la journée d’hier était vraiment fatigante, et en plus ils ont du se coucher super tard), je me suis dit que j’allais prendre le relais d’Eric. Je vais essayer de plus les aider maintenant, je crois que je leur dois bien ça, j’ai pas été cool. C’est vrai que ce qui se passe est archi-nul. Mais c’est pas une raison pour être méchante avec eux, alors qu’ils n’ont fait que m’aider depuis le début. Enfin bon.
Du coup, après qu’on ait entendu les coups de feu, qui venaient de la route, on est parti de l’autre côté en suivant Francis et les soldats. Moi j’avais un peu de mal, parce que je comprenais rien à ce qu’il venait de se passer, et qu’en plus, j’arrivais pas à lire l’expression de Fanny. Elle avait l’air si triste, mais en même temps… je sais pas, c’était tellement bizarre. Même maintenant que je sais, j’arrive pas à savoir ce qu’elle en pense. Et je sais pas si j’oserais lui demander. Je sais pas gérer. Et puis je crois que même elle dirait qu’elle a d’autres choses à gérer, surtout en ce moment.
Enfin bon. On a avancé dans la forêt en restant à moitié accroupis pendant je sais pas combien de temps. À un moment je me suis dit qu’on avait l’air très bête quand même. J’ai rigolé toute seule et Eric m’a foudroyée du regard. J’ai pas moufté après. Il fait peur maintenant Eric quand il est en colère. Les cicatrices et tout, avec sa peau grise bizarre là, ça fait un mélange dégueulasse. Heureusement qu’il est sympa en vrai sinon ce serait vraiment affreux.
On a du s’arrêter pas mal de fois, à chaque fois c’était le même soldat qui tendait le poing en l’air et hop ! On stoppait net. C’est comme ça que j’ai remarqué quelques différences dans les uniformes. Ils ont tous le même genre de combinaison noire intégrale avec un masque/casque/cagoule bizarre, mais lui il avait des chevrons (c’est un mot que j’ai appris en lisant un roman de guerre quand on était dans l’immeuble) cousus sur l’épaule. Noir sur noir, mais une fois qu’on l’a vu, on peut plus le rater. J’ai pas pu m’empêcher de le pointer à Fanny, j’étais trop contente de ma découverte. J’avais oublié qu’elle allait pas bien. Une conne je vous dis. Mais Fanny elle est trop gentille, alors elle a regardé ce que je lui montrais. Et quand elle a compris, elle s’est retourné vers moi et elle m’a fait un pouce en l’air avec une petite moue qui disait  »bien vu ! ». J’adore son sourire à Fanny. On dirait celui de ma mère, mais en plus joli.
Enfin bon. On avançait doucement, par à-coups, comme ça. Et puis à un moment celui que j’avais compris qu’il était le chef, il a pris une balle en pleine tête.

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3 comments on “Ni d’Ève ni des Dents – Episode 25

  1. muriellerochebrunet dit :

    Si on m’avait dit que je serais contente de retrouver Francis au cœur d’une impasse mexicaine dans les sous-bois… Ceci étant, très belle écriture pour un très chouette épisode ! Bravo !!!!

    Aimé par 1 personne

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