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Le Tour du Disque #7 – Pyramides

« On n’apprend jamais rien dans ce pays […]. On ne fait que se souvenir. »

Depuis que j’ai le loisir de croiser des gens qui connaissent Terry Pratchett et son travail, il m’a plus d’une fois été donnée l’occasion de constater que Pyramides est un volume clivant. Fait amusant, après un rapide récapitulatif des souvenirs liés aux discussions autour de ce roman, un constat me semblait faire faire surface ; cielles qui n’étaient pas fans de Pratchett en général aimaient bien cet opus, et cielles qui étaient fans de Pratchett avaient plutôt tendance à ne pas l’apprécier autant que le reste de la saga. Ça ne vaut qu’à l’aune de mes souvenirs, bien entendu, mais ce constat m’a néanmoins marqué pour ce qu’il avait de révélateur sur la nature somme toute étrange de ce septième tome des Annales.
Car en effet, dans ma mémoire, l’image de Pyramides n’était pas flatteuse, loin de là. Pour tout dire, d’instinct, je l’aurais sans douté cité assez rapidement parmi les tomes les plus faibles des Annales à mes yeux, au risque de me fâcher avec pas mal de monde ; les commentaires enthousiastes que j’ai reçus à l’annonce de sa lecture m’ont même causé une petite montée de pression. Pour tout dire, je me suis vite rendu compte que son souvenir était tellement flou que j’en confondais un personnage avec un autre à venir ; parmi mes tomes favoris, pour le coup. Entre ce souvenir très mitigé et la réalisation que je l’avais pour bonne partie oublié – ce qui n’est jamais bon signe pour mon appréciation d’un roman, surtout après des lectures multiples – ma relecture s’annonçait pénible, ce qui a sans doute causé un petit blocage. Mais avec un petit effort et de nouveaux yeux, quelques petites choses me sont apparues, et elles ont pas mal fait évoluer mon jugement global. Il est donc temps de décortiquer tout ça.

Teppic a quitté son royaume ancestral du Johlimôme et son destin royal pour devenir assassin au sein de la prestigieuse Guilde des Assassins d’Ankh-Morpork. À peine son diplôme en poche, il se rend compte de phénomènes étranges autour de lui qui lui suggèrent une terrible nouvelle : son père, le pharaon, dieu vivant du Johl, est mort. Teppic doit donc de toute urgence retourner chez lui et assumer sa nouvelle fonction, pire, sa nouvelle nature. Il apprendra donc à l’occasion qu’il est difficile d’être roi, et encore plus d’être un dieu, surtout sous la houlette d’un Grand Prêtre aussi rigide que Dios, au sein d’un royaume aux us et coutumes si différentes de celles auxquelles il s’est habitué.

« Les gens avaient besoin de croire aux dieux, ne serait-ce que parce qu’il est difficile de croire aux gens. »

Alors, pourquoi est-il à part, ce roman ? Déjà parce qu’il fonctionne en totale indépendance, à un moment dans les Annales où tous les romans ou presque commencent à s’inscrire dans le contexte de leurs cycles respectifs ; et que Terry Pratchett y revient à un découpage en quatre livres, dérogeant donc de nouveau à son style de prédilection, à un moment où ce dernier semble s’être bien installé. Je pense pouvoir mettre sur le compte de cette surprise mes premières réserves sur le roman, en tout cas à l’époque de ma première lecture. Aujourd’hui, je dois bien constater que ce découpage n’est pas aussi anarchique et dommageable que dans La Huitième Couleur, c’est réellement la seule entorse véritable à laquelle Terry Pratchett consent par rapport à ses habitudes désormais bien ancrées dans le reste de la saga. Il serait assez facile d’y voir une volonté éditoriale avant d’être une réelle volonté créatrice, les jalons posés ainsi au sein du récit faisant sens mais n’étant pas franchement indispensables. Qui plus est, en tenant compte des autres observations à venir, j’aurais aussi tendance à supputer que Pyramides a peut-être été rédigé tout ou partie bien avant certains des autres tomes qui le précèdent, mais qu’il a été publié un peu plus tard. Mais cela demeure de la pure hypothèse, ne me permettant que d’expliquer à mes yeux une certaine étrangeté du texte vis-à-vis de ses comparses, que je n’arrive pas vraiment à justifier convenablement autrement que par un sentiment tout personnel et quelques indices assez légers.

Et par souci de clarté, j’évoquerais d’abord ce qui pour moi affaiblit le roman, sans pour autant le rendre mauvais, mais l’affectant en partie de cette étrangeté qui me l’a tout de même rendu compliqué à (re)lire. L’aspect le plus important étant son rythme global, lié à son intrigue et à ses enjeux. J’aurais l’occasion de revenir sur ce qui à mes yeux constitue le fond du roman – qui est bon au demeurant – mais qui tarde assez terriblement à véritablement se révéler. Mon sentiment est que le cœur du roman se trouve majoritairement dans ses deux dernières parties, tant en terme d’action que de signification ; de fait, les deux premières servent avant tout d’introduction aux personnages et à leurs rôles, ce qui ralentit considérablement le rythme et implique beaucoup d’explications. Ces dernières étant souvent liées aux deux nouveautés du roman, la Guilde des Assassins et ses pensionnaires, et le Jolhimôme – sans compter Tsort et Ephèbe, évoquant à eux trois l’Egypte, Rome et la Grèce antiques – il leur faut le temps pour s’installer dans notre imaginaire et exister dans ce que nous savons déjà du Disque. Tout ceci induit donc, à mes yeux, une gradation dans les enjeux du roman qui nuit à son efficacité : on doit trop prendre le temps de savoir et comprendre réellement ce qui se passe avant de pouvoir réellement s’en préoccuper. Sans compter qu’il me semble que toute la première partie et l’éducation de Teppic chez les Assassins, aussi bien écrite et divertissante soit-elle, est avant tout là pour justifier de bon nombre de ses décisions et exploits dans les dernières parties du roman ; comme s’il avait fallu à Terry Pratchett trouver un moyen de justifier le déroulement des événements et qu’il avait rajouté cette introduction et certaines de ses implications à posteriori.
À cet égard, Teppic est un très bon exemple de ce flottement continuel, principalement spectateur des événements qui se déroulent sous ses yeux pendant une bonne partie du roman, ne se décidant à prendre les choses en main que très tardivement ou face à des impératifs externes ; face à un Dios qui nous sert d’antagoniste discret mais sournois, assez passionnant mais cruellement sous-exploité. Ptorothée, même si écrite avec bien plus de soin que les premiers personnages féminins de Terry Pratchett, souffre également d’un traitement très lacunaire, malgré d’excellentes intentions. L’ennui principal du roman étant, je crois, qu’il se concentre un peu trop sur sa symbolique et en oublie ses personnages, même les principaux, devant souvent laisser la place à des personnages plus secondaires en charge de faire avancer l’intrigue au travers des événements qu’ils vivent.

« Quand on meurt, ce qu’on perd en premier, c’est la vie. Ensuite, ce sont les illusions. »

Demeure que finalement, je l’ai bien plus aimé que dans mon souvenir, ce roman. Parce que malgré ces défauts de caractérisation et de rythme, il demeure très drôle, et surtout, le fond est excellent, un fond que je n’avais jamais soupçonné, ou plutôt su lire, durant mes précédentes lectures, à l’instar de Sourcellerie. Il ne s’agissait pas tant, je crois, de raconter les histoires de Teppic ou Dios, pour ne citer qu’eux, mais trouver les vecteurs adéquats pour raconter ce que Terry Pratchett voulait raconter. Cette décision implique bien sûr les défauts que j’ai cités plus haut, mais je crois qu’elle se justifie dans le cadre d’une intention allégorique plus large, et donc dans le cadre d’un roman unique, puisque nous ne reverrons plus ces personnages dans le futur. Ils sont littéralement à usage unique ; n’étant utiles que le temps de cette histoire en particulier, là où d’autres personnages seront signifiants au travers de leurs histoires et de leurs évolutions au fur et à mesure des tomes qui les concerneront. Il ne s’agit donc pas tant de raconter leur histoire que celle qu’ils traversent. Ils participent d’une intrigue plus grande qu’eux, seront plus utiles par les messages qu’ils transporteront, malgré eux, plutôt que par leurs décisions propres ou leurs destinées individuelles.

« Regardez le visage de l’homme qui veut vous tuer au nom d’une croyance, et vos narines vont flairer l’odeur de l’abomination. »

Ce récit est fortement marqué par sa volonté satirique, comme très souvent avec Terry Pratchett, mais d’une façon bien plus frontale que d’habitude, presque analytique. Et je crois qu’avec la lecture que je m’apprête à faire de Pyramides, il va peut-être falloir me préparer à lire un peu plus souvent des allégories dans sa façon de construire ses romans. Car comment lire celui-ci autrement que comme une charge en règle contre la religion organisée et ses effets néfastes sur les populations à qui elle s’impose, au travers de ses plus fervents défenseurs ? Prenons Dios, pour commencer, porteur de traditions creuses et obsolètes (une obsession, semblerait-il, dans ces romans de début des Annales), dont le sens s’est perdu, mais pas l’importance. Il ne sait justifier leur pérennité que par leur pérennité, précisément, dans un raisonnement cyclique très évocateur, se justifiant par son contact privilégié avec les dieux, quand bien même son roi serait un dieu lui-même, mais pas assez éduqué à ses yeux. Le renversement symbolique est absolu ; les dieux ne sont plus des figures tutélaires ou des maîtres dont le jugement fait loi, mais bien les serviteurs de leurs prêtres, qui se chargent eux-mêmes d’estimer où est la justice divine.
De la même façon, on s’obstine à construire des pyramides au dépit du bon sens et du besoin, les faisant toujours plus gigantesques, justifiant de la grandeur de ceux qui devront les habiter dans l’au-delà. Mais allant plus loin que la simple symbolique architecturale et pécuniaire, Pratchett leur confère un effet sur le temps et l’espace, se nourrissant de ces derniers pour assurer à leurs hôtes un éternel repos très littéral. Sans aller trop loin dans le détail, impliquant autant la comptabilité que la physique quantique, représentées par une famille de bâtisseurs de pyramides, la symbolique est forte au sein du récit ; ces pyramides sont autant de symboles creux qui ne parviennent pas à se justifier, et qui, pire, retiennent littéralement le royaume du Johlimôme dans le passé. Elles symbolisent à mon goût les premiers principes perdus de la religion, avant qu’elle se s’organise et perde en sens et en logique au fur et à mesure des transmissions pour n’en garder qu’une coquille qu’on a évidée, mais qu’on doit tout de même perpétuellement faire grossir pour pouvoir lui faire contenir la précédente.

Et j’aime d’autant plus cette démarche allégorique qu’elle s’inscrit parfaitement dans la démarche humoristique de Terry Pratchett, dont je commence de plus en plus à voir qu’elle consiste bien souvent à plaquer une réalité extrêmement pragmatique sur ce qui pourrait être un mystère. Ainsi, il peut tout autant raconter des blagues en note de bas de page, pour nous expliquer sur presque deux pages que l’animal le plus rapide du Disque est le plus souvent plat, puisqu’il d’éclate sur les parois de montagne, étant, justement, trop rapide ; comme littéralement nous raconter que ces pyramides sont des ancres temporelles qui retiennent le Johlimôme dans le passé. Et en constatant cela, selon le crédit qu’on y accorde, on voit beaucoup plus facilement le reflet de notre monde dans le miroir très déformé que Terry Pratchett nous tend, sous la forme du Disque-Monde tout entier. C’est un constat que j’ai fait il y a longtemps en soi, mais que je ne pensais pas revoir aussi tôt dans les Annales, en tout cas pas dans Pyramides, et pas aussi clairement ; il faut sans doute y voir mon manque d’expérience analytique à l’époque et mon manque de recul pendant quelques années. Ainsi, beaucoup de scènes que je ne pensais que purement humoristiques prennent un tout autre sens au travers de mon regard actuel.
Par exemple, on peut commencer à envisager le traitement des personnages féminins comme une pure dénonciation, bien que maladroite dans leurs premières itérations, et non comme une simple faute de parcours ; la plupart des comportements masculins et descriptions assez toxiques découlant plus souvent de leur inconséquence en matière de rapports humains ou de leur insécurité vis-à-vis des femmes, plus souvent liées à un manque d’éducation et à un certain niveau de bêtise plutôt qu’à une hostilité justifiée. Ptorothée n’est certes pas un modèle de représentation, loin s’en faut, mais elle fait preuve d’un plus grand sens des responsabilités d’une plus grande force de caractère et d’un bon sens qui mettent bien souvent Teppic à l’amende. Une des meilleures scènes du roman à mes yeux se situe dans le troisième livre, où Teppic assiste à une réunion de philosophes ephèbiens – dont Ptorothée, forcément, à été exclue – tous plus nuls les uns que les autres ; mais qui, étant entre hommes, peuvent se targuer de leur reconnaissance mutuelle autour d’un bon repas, sans le moindre contrôle extérieur, et donc sans prendre le risque d’être pris en faute. Pour finalement se faire damer le pion par un chameau. Ce qui, là comme ça, peut paraître ridicule, mais qui, sur le Disque, fait totalement sens, les chameaux en étant les plus grands mathématiciens (oui oui). Et ainsi s’illustre la singularité du talent de Terry Pratchett, que j’avais déjà évoquée. En poussant les potards de l’absurde à fond, il lui donne une puissance évocatrice supplémentaire et se permet de faire passer beaucoup d’informations critiques par le rire, sans s’embarrasser de démonstrations. Bien qu’étant parfois uniquement des archétypes évocatoires, certains personnages secondaires gagnent justement en puissance satirique en n’incarnant presque que les défauts qu’ils doivent précisément servir à dénoncer.

C’est ainsi que Terry Pratchett continue à développer son univers, son style et ses thématiques, en profitant pour laisser quelques pistes à exploiter pour plus tard ; quelques scènes de Pyramides ayant sans aucun doute été des inspirations qu’il ressortira plus tard, bien plus développées, tant dans la forme que dans le fond. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de voir dans ce roman un prototype pour ce qui deviendra Les Petits Dieux, sans doute un de mes volumes favoris, dans le futur de la saga, où il réutilisera certains des concepts développés ici, avec plus de force, mais aussi l’avantage d’un bagage universel plus complet et plus souple à manier pour lui, par la simple force de l’habitude.
Et si on peut regretter, à terme, la disparition de certains personnages et d’une trop grande partie des enjeux qui les accompagnent, Pyramides est très loin d’être aussi faible que j’en avais le souvenir. Au contraire même, il assure bien que Terry Pratchett était bien loin d’être aussi confus que je le croyais lors de la rédaction de cet opus. Il ne s’inscrit certes pas dans la logique des cycles, qui sera quasiment définitive par la suite, mais permet tout de même d’insister sur quelques concepts créés spécialement pour l’occasion et de leur permettre d’être prolongés et développés par la suite. Une excellente surprise donc, qui, en plus, m’a permis de relever une citation qui m’a frappée et que je me fais un plaisir de vous retranscrire en guise de conclusion de cette chronique. Au delà de son excellence intrinsèque, elle résume à la perfection pourquoi j’aime autant Terry Pratchett, surtout sur les volumes à venir, soyons honnêtes, mais quand même :

« Toute la magie se réduit à une façon de décrire le monde avec des mots que le monde ne peut pas ignorer. »

Il était un magicien, à mon cœur à nul autre pareil.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles.

6 comments on “Le Tour du Disque #7 – Pyramides

  1. Symphonie dit :

    Pyramides est le « hors-série » que j’aime le moins, mais je l’aime bien quand même^^ Contente que tu aies pu te réconcilier avec lui 😀

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Ce sera sans doute la même chose pour moi quand j’aurais fini le Tour. Mais je ne suis plus sûr de grand chose, hâte de pouvoir vérifier. =)
      Merci. 😉

      Aimé par 1 personne

  2. Lullaby dit :

    J’avais beaucoup aimé Pyramides (le côté Egypte antique, sans doute ^^). Ton analyse est très intéressante ! Je n’avais pas pensé à tout ça durant ma lecture (mais c’est là l’une des qualités de Pratchett : il y a toujours des choses à creuser ;))

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Merci !
      C’est tout le plaisir de le redécouvrir avec des yeux nouveaux, je vois des choses là où je n’en voyais pas lors de mes premières lectures. =)

      Aimé par 1 personne

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