Et me voilà, à peine une heure plus tard, à de nouveau écrire dans ce carnet, dont je commence à me demander s’il fait plus office de thérapie, de longue épitaphe ou de testament. Impossible de savoir tant qu’on ne sera pas allé au bout, j’imagine, même si on a aucune foutue idée de ce que ce bout peut bien être. Notre première impulsion a été de préparer notre départ précipité, une fois de plus. Mais on a réfléchi, et on s’est dit qu’on était sans doute tranquilles. Signaler notre présence à ses supérieurs serait admettre la complicité de désertion, et serait donc synonyme de cour martiale, ou quelque chose du genre. Il a trop à perdre à nous balancer. Donc on est sans doute tranquille pour le moment. Et si on est un peu cynique, on a augmenté nos stocks de nourriture et d’eau. On va quand même persister à être prudent, voire parano, mais ça pourra pas nous faire de mal ; même si ne plus avoir à surveiller le sergent peut pas nous faire de mal non plus, c’est une tension en moins à gérer. Du coup encore moins de choses à dire dans les temps à venir j’imagine. On verra s’il se passe des choses dignes d’être racontées, ou si l’un.e d’entre nous ressentira le besoin de le faire dans les temps à venir.
Fin de Soirée
On a réfléchi. Il y a tout à fait moyen qu’on se fasse avoir par le mec qui s’est barré cet après-midi. Il pourrait revenir de nuit et nous aligner avec un flingue sans qu’on puisse vraiment y faire quoi que ce soit. Ou réussir à feinter ses supérieurs pour leur désigner la ferme comme une cible sans se cramer. On se barre dès maintenant. On rassemble un maximum d’affaires, et on se casse. Bordel.
Pour aller où ? Advienne que devra.
Jour 121
Fin de Matinée
4 jours de crapahutage sans la moindre foutue idée d’où on peut aller sans prendre le moindre risque de se faire abattre ou capturer à vue. Tout ça commence à salement tourner en rond, et nous avec. On a pu se réfugier un temps dans une petite cabane qui devait faire office de dépôt industriel ou un truc du genre. Un temps seulement, puisque les hostilités ont semble-t-il finalement repris hier matin. Une pensée pour le commandant Delvik qui a dû soit baisser son froc et arrêter de faire semblant, ou bien qui s’est fait griller, et donc griller. Le ballet quasi-incessant des avions, drones et hélicos a donc repris, et s’est même intensifié. Bombardements, attaques, coups de feu nous éclatent régulièrement aux oreilles, mais, nous avons un peu de chance, pour le moment nous n’avons croisé absolument personne. Même pas d’infecté.e.s. Peut-être que la faim a commencé à les décimer pour de bon. Ou bien… Un certain nombre ont peut-être fini par re-basculer naturellement, et donc tentent de survivre tant bien que mal en se cachant là où c’est possible… Il faut que j’en discute avec les autres, mais je crois bien qu’il faut qu’on essaie de rejoindre la ville au plus vite.
18h20
Nous nous sommes décidé.e.s à suivre l’inspiration d’Eric. Après tout nous n’avons pas beaucoup d’autres solutions, et nous avons désespérément besoin d’un but à atteindre. Un vrai, pas juste une vague idée de survie à laquelle nous nous accrochons par pur réflexe naturel plutôt que par envie de quelque chose. Si Eric a vu juste, alors nous allons peut-être pouvoir trouver des allié.e.s en ville. Du peu que nous avons pu voir des échanges armés entre les deux forces en présence, seule la banlieue de la ville semble être réellement concernée ; si nous parvenons à passer cet obstacle-là, pour peu que les militaires n’aient pas réinvesti le centre-ville, nous pourrions même nous retrouver un coin tranquille pour nous y installer temporairement. Peut-être même notre immeuble, qui sait ?
De toute manière, comme je le disais, les vraies options nous manquent cruellement, un pis-aller demeure mieux que de nous faire encore forcer la main par les circonstances.
Qui plus est, retrouver des guéri.e.s de l’infection pourrait nous donner des ressources et des informations à négocier avec l’un ou l’autre camp pour assurer, à terme, notre sécurité ; au delà même de notre relative sérénité dans la ville. Peut-être même plus besoin des zones sanctuaires. Sans compter que sans le chaos provoqué par les infectés, nous retrouverons une réelle liberté de mouvement, comme la possibilité d’influer positivement sur le conflit. Des infecté.e.s n’étaient que des victimes collatérales négligeables, des civils en pleine possession de leurs moyens, ce serait tout à fait autre chose !
Je ne peux pas affirmer que l’espoir renaît, car il y a trop de « si » dans cette histoire, mais il faut bien dire qu’ils ouvrent des perspectives positives tout de même. Je suis surtout chagrinée par le fait que notre voyage sans fin et notre stress prélèvent un trop gros tribut sur notre capacité de réflexion, j’ai toujours peur de rater un détail dans nos hypothèses qui les invalideraient instantanément. Mais bref. Nous devons nous concentrer sur la première étape, à savoir arriver aux abords de la ville sans nous faire repérer ni risquer nos vies, avec forces détours à prévoir. Nous aviserons une fois sur place de la bonne marche à suivre si l’intuition d’Eric était la bonne.
Jour 122 – 1er Septembre
Pause du midi
C’est pas vraiment pertinent, mais ça nous a fait trop rire et ça nous a fait du bien, c’est peut-être important d’aussi noter ces choses-là. Je me suis demandé, si jamais on s’en sort, si ça ferait pas un super bouquin quand-même. Genre « révélations de l’intérieur sur l’invasion par le Delvikélif ». Moi qui suis pas super douée en cours, surtout les langues, ce serait une sacrée revanche.
Enfin bon. On avance doucement. On s’est encore retrouvé dans une forêt, du coup les bruits font de l’écho de partout, à chaque coup de feu, même s’il est trois kilomètres devant on a l’impression qu’il est deux mètres derrière, c’est relou. Parce que bon, à chaque fois, il y en au moins un sur les quatre pour se jeter par terre et les autres pour suivre. Ça nous faisait rigoler au début mais maintenant on grimace juste et on repart quand on s’est rendu compte que c’était toujours pas pour nous. Quelque part c’est assez rassurant, mais si c’est pour se faire avoir la seule fois où on se dit que c’est pas pour nous, on aura doublement les boules. À ce rythme, on en a encore pour plusieurs jours pour arriver en ville. J’ai presque hâte de savoir si Eric a raison. Presque.
En vrai, j’en ai surtout marre, je suis de plus en plus fatiguée. Les sacs sont lourds, et j’ai l’impression de pas vraiment me reposer, pendant les pauses ou même quand je dors. Trop de cauchemars.
Jour 123 – 2 Septembre
15h21 TMT
Un premier détour de taille s’impose à nous ; un camp retranché semble s’être installé dans ce qui reste d’un petit village à la croisée des chemins, en plein milieu de notre itinéraire. Chance pour nous, nous avons pris l’habitude de scruter les environs dès qu’une hauteur se présente à nous et nous sommes arrivés en partie dans leur dos. Leur attention est bien entendue concentrée vers les contingents du Delvikélif, de l’autre côté, nous les avons vus, mais nous sommes invisibles à leurs yeux pour le moment. Un autre avantage à ne pas être motorisés, finalement. Mais nous venons sans doute de rallonger notre périple d’une journée minimum, déjà, le temps d’éviter le moindre risque en contournant largement l’obstacle.
En dehors de ça, rien à signaler ou presque. Les affrontements sporadiques que nos oreilles nous rapportent me semblent indiquer un conflit plus larvé qu’ouvert. Personne ne semble réellement vouloir prendre du terrain ou infliger de pertes trop sévères au camp ennemi. Et c’est logique. La guerre a beau avoir été déclarée, dans un camp comme dans l’autre, on joue aussi sur une image qu’il faudra plus ou moins redorer une fois le conflit enterré. Quelle ironie que la stratégie en communication ait ainsi pris le pas sur la réalité mortelle de la stratégie militaire. Mais trêves de bavardage, il est temps de repartir, et je ne suis certainement pas César en Gaule, mes mémoires n’ont pas cette valeur. Du moins pas encore, soyons optimistes.
19h42 TMT
Retranchés – cave petite bâtisse loin périphérie camp militaire. Écris lueur lampe torche. Bataille complète, explosions, tirs. Coincés milieu, pas attaqués, juste temps se cacher par précaution. Pas pu voir assaillants.
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