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Night Travelers, Rozenn Illiano

Lost in Yesterday – Tame Impala (extrait de l’album The Slow Rush)
Open Door – Mike Shinoda (extrait de l’album Dropped Frames, vol. 1)

J’ai eu le plaisir et l’honneur de recevoir en avant-première une copie numérique de Night Travelers des mains virtuelles de son autrice, Rozenn Illiano, avec qui j’entretiens une jolie relation sur Twitter depuis ma découverte enthousiaste du Phare au Corbeau. À cette occasion, je me suis replongé dans ma chronique sur Midnight City, qui le précède, et j’ai été assez surpris d’y retrouver un avis plutôt circonspect, alors que mon souvenir en était devenu beaucoup plus dithyrambique. La mémoire a ça d’amusant qu’elle joue souvent avec nos perceptions. Nul besoin d’édulcorer quoi que ce soit, la pression que je me suis mise sur les épaules pour cette lecture était stupide ; mais avec un souvenir finalement si enthousiaste du volume précédent et mon appréciation grandissante de l’autrice comme de son travail, je n’avais surtout pas envie de devoir dire être déçu.
Ne perdons pas de temps avec un faux suspense, tout risque est écarté. Night Travelers est formidable, même s’il nécessitera quelques précautions de ma part. Allons-y, vous allez comprendre.

Nous reprenons peu de temps après la conclusion de Midnight City, dont les événements ont laissé des traces qui semblent indélébiles. Samuel Hugo peine à retrouver une vie qui lui semblerait normal, et son art comme ses créations en souffrent, de même que ses relations. Ses blessures se répercutent jusqu’à la Cité de Minuit, qui semble être au bord d’un basculement dont elle ne saurait se remettre.

J’ai un plaisir un peu pervers, durant mes lectures, depuis quelques temps, à anticiper l’écriture de la chronique qui en sortira, à terme, à préparer une partie de mon argumentaire ou certaines formules. Pervers parce que je trouve autant d’aise que d’angoisse à prévoir tous les méandres de ma future réflexion autour des concepts ou de l’histoire que je découvre au fil des lignes. Les deux aspects de la question ont grossi avec la même régularité durant mon exploration de ce volume, tout simplement parce qu’au delà de sa longueur, il est aussi massif par son ambition. Dans la droite continuité de son prédécesseur, il continue d’en explorer une bonne partie des problématiques, mais surtout, il en développe de nouvelles, sans faillir, en rythme ou en exécution. Nous continuons donc à évoquer la difficulté du deuil, les affres de la vie d’écrivain·e, du désir ou besoin de partager et transmettre, avec les difficultés de mise à nu que cela suggère ; mais nous côtoyons de plus près des aspects du Grand Projet qui n’avaient pas encore été abordés dans cet arc précis, qui y font donc office de relative nouveauté. À cet égard, il me faut prévenir : très honnêtement, si je n’avais pas déjà lu Le Phare au Corbeau, j’aurais sans doute été désarçonné par certaines de ces nouveautés, qui à l’aune de Midnight City seul, m’auraient sans doute paru sortir un peu de nulle part. Je les aurais acceptées sans souci, je pense, mais le relatif choc générique, faisant entrer l’oeuvre de plein pied dans la fantasy urbaine, alors qu’elle demeurait jusque là sur le seuil, la contenant plutôt à mes yeux dans le registre d’un fantastique plus classique. C’est tout de même un pas qu’il faut savoir franchir sans trop d’hésitations pour apprécier pleinement le roman. Car si le second genre est plus souvent propice à une construction symbolique et jouant sur l’allégorie, la première a tendance à attaquer ses thèmes de façon plus frontale et pragmatique, d’où la possibilité d’une friction potentiellement malaisante. Mais comme je l’ai dit, connaissant désormais un peu mieux le travail de l’autrice, la transition a été aisée, même très plaisante, reconnaissant des éléments que je connaissais déjà et en transférant une partie des qualités aux textes que j’avais déjà lus ; je me dis que pour un·e lecteurice n’ayant pas déjà été confronté·e à cet aspect de son univers, la pilule aurait peut-être un peu plus de mal à passer. Mais c’est un détail, la cohérence globale n’est nullement affectée, ce n’est même pas un reproche. Au contraire, de mon point de vue, ce serait même un compliment, puisque cela enrichit même le tout et participe d’un des aspects du travail de Rozenn Illiano que je préfère, et sur lequel je reviendrai en fin de chronique.

Dans la forme, on prend les mêmes et on recommence, l’intrigue est toujours séparée entre les événements de la vie de Samuel Hugo et ses satellites, et la vie dans la Cité de Minuit, dont les événements découlent directement de son état mental et des progrès qu’il parvient à faire ou non. Un aspect que j’avais beaucoup aimé dans Midnight City et qui demeure extrêmement efficace ici, ajoutant une couche relativement lisible de symbolisme et de poésie sur un récit qui pourrait parfois paraître un peu trop terre-à-terre. Ce qui se passe dans la Cité de Minuit est un miroir à peine voilé des psychologies torturées de ses auteurices, et si la démarche est assez vite transparente, elle demeure honnête, et donc plaisante à suivre, puisque ce micro-univers est toujours aussi beau à lire et plaisant à explorer en compagnie de ses méta-personnages. D’ailleurs, je dois aussi saluer la présence de nombreux petits détails qui rajoutent une couche supplémentaire d’interprétations, et un jeu de piste s’installe pour le lecteur attentif, entre les significations cachées dans la Cité de Minuit par rapport au roman lui-même mais aussi par rapport à notre réalité propre. Suivre Rozenn Illiano, c’est ajouter une nouvelle dimension à ses romans, puisqu’on y redécouvre la partie d’elle-même qu’elle accepte de livrer à son public en dehors de ses ouvrages. On peut goûter ou non cette dimension, ce flou somme toute artistique ; personnellement c’est un plaisir complet, parce qu’il amène une certaine légèreté à des moments où elle est bienvenue, tout comme un sens de la complicité à l’échelle du roman, aident à jouer habilement avec la pression induite par les péripéties de ces personnages auxquels on s’attache diablement vite. À l’image de la vie, des sourires savent se nicher au creux des moments les plus difficiles, comme les larmes nous surprennent parfois à couler au milieu d’un éclat de rire.

Dans un autre registre, pas de surprise, Rozenn Illiano déploie toujours son talent d’écriture, d’une délicatesse rare et d’une élégance souvent poignante, retranscrivant avec une force bienveillante les atermoiements de ses personnages principaux comme secondaires, dont on ne lit pas toujours grand chose, mais dont on devine beaucoup, sachant écrire entre les lignes avec un certain brio et un impressionnant sens de la synthèse. Et les événements humains sont nombreux, puisqu’ils sont ce sur quoi toute l’histoire se base, évidemment ; et c’est sans aucun doute ce que je préfère dans ces romans. Tout ce qui s’y passe dépend toujours et avant tout de choses profondément humaines, et c’est sans aucun doute ce qui m’y fait m’y accrocher à chaque fois avec une telle ferveur. Rien n’y est blanc ou noir, tout y est en nuances de gris qui fluctuent sans cesse, donnant non seulement à s’intéresser aux histoires qui nous sont racontées, mais surtout à cielles qui les font vivre et les meuvent ; leurs prises de décisions étant influencées par des affects qui semblent réels et cohérents, et donc pas toujours les meilleures décisions, mais bien celles qui leurs correspondent. Mon attachement au souffle des personnages des histoires que je lis n’étant un secret pour personne, forcément, lire des histoires où les personnages sont aussi organiques et évocateurs des turpitudes de la vie que nous vivons tou·te·s, mais surtout les moteurs de leurs propres aventures plutôt que les pions d’un destin déterministe, ça me parle, et ça me parle beaucoup.

Et il est donc temps de revenir à ce que je disais plus haut, concernant l’aspect du travail de Rozenn Illiano que je préfère, je crois, parmi tous les autres ; à savoir sa qualité de démiurge. Pour m’expliquer, je vais devoir faire un petit détour. Je me suis rendu compte il y a quelques temps d’un point commun entre deux de mes auteurs favoris, à savoir Lionel Davoust et Terry Pratchett : leur talent et leur abnégation pour la création d’un univers global, transcendant le temps et l’espace diégétique dans un souhait de cohérence totale. Et ainsi se créent des univers littéraires complets, où des détails se nichent partout, sans cesse, pour les lecteurices attentif·ve·s, qui ne font pas seulement office de fan-service stérile, mais bien de points de repères et d’ancrage, une véritable valeur ajoutée ; la complicité auteurice/lecteurice est non seulement une aide précieuse à la continuité, et apporte de nouveaux éléments de réflexions au fil des lignes et des volumes, mais elle confère, pour moi, à l’ensemble, un supplément d’âme infiniment précieux. Et Rozenn Illiano m’a prouvé avec Night Travelers qu’elle était de cette trempe-là, et surtout qu’elle avait les moyens de réaliser l’ambition de son Grand Projet, si j’en ai bien compris ladite ambition. Le simple fait de sourire à la mention du personnage d’Oxyde alors que je ne l’ai pas croisé si longuement que ça dans mes lectures est un réel signe que je suis en train de méchamment m’attacher à son travail. Et c’est une sensation extrêmement précieuse à avoir lorsqu’on termine un roman.

Je dois bien admettre ne pas avoir dit grand chose sur le roman en lui-même, en dehors de la profonde tendresse qu’il m’inspire. Mais j’assume ce choix, pour deux simples raisons : inciter à sa totale, complète découverte, et un hommage discret à son travail atmosphérique. Tout n’est pas dit, de nombreuses pistes restent en suspens, d’autres se referment à moitié ou complètement, mais j’oserais presque affirmer que les intrigues sont secondaires face à l’ampleur de l’impact émotionnel de ce roman et des destinées humaines qui s’y déploient. À peine terminé, si je suis, je crois, capable de vous en restituer une bonne partie des rebondissements, ce ne serait rien en comparaison du sourire que je devinerais sur mon visage à l’évocation des sentiments qui ont été les miens au contact des personnages. J’ai été ému par ce roman, et c’est quelque chose que je ne saurais vraiment retranscrire ici sans prendre le risque d’un parjure involontaire, qui ne rendrait aucunement justice à l’acuité des émotions que Rozenn Illiano a su induire dans son travail. Il est bien possible que mon appréciation personnelle pour l’autrice joue dans mon jugement, mais considérant à quel point elle met de son énergie et de sa personnalité dans son travail, ce n’est guère surprenant, ce serait même rassurant de cohérence. Night Travelers est un grand roman, parce que c’est un roman courageux, attaquant de front des problématiques difficiles et douloureuses, sachant mettre des mots sur des réalités, certes subjectives, mais qui sauront parler à d’autre que moi, comme ils ont su me parler à certains moments. Le deuil, le pardon, la découverte ou l’acceptation de soi, les pensées les plus sombres, tout cela, ce sont des choses qu’il ne devrait pas être si difficile d’évoquer, et pouvoir les lire, quelque part, ça peut être le début de la conversation qui changera les choses pour le mieux. Ce roman est beau parce qu’il est fort, et il est fort parce qu’il est beau. Formidable.
Reste un constat aussi exaltant que terrifiant. Il semblerait bien que je sois devenu assez fan de Rozenn Illiano. Et que j’ai, du coup, pas mal de retard à rattraper. Il y aurait de la magie là dessous que je ne serais guère surpris. Mais soit.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

6 comments on “Night Travelers, Rozenn Illiano

  1. Lullaby dit :

    Gnnni c’est malin, maintenant j’ai encore plus hâte de pouvoir le lire !!! ^^

    Aimé par 1 personne

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