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Impossible Planète – Episode 15

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Oui, oui : s’éteindre.
Alors pas d’un coup, évidemment ; même d’aussi loin on voyait la surface torturée de notre étoile mystère s’agiter comme un infini océan de lave vaporeuse, un spectacle dont je ne me suis jamais lassé. Nan, c’était progressif.
D’abord, faute d’un meilleur terme, on a senti qu’il se passait quelque chose. Un peu comme quand un écran d’ordinateur plante, le cerveau enregistre qu’un truc ne va pas, mais l’œil a pas encore vraiment repéré le détail fatidique. Pendant quelques longues secondes, l’étoile donnait cette impression. Il y avait toujours du mouvement, mais un truc en moins, comme une suspension invisible.
Et puis, comme le film d’un papier qui brûle repassé à l’envers, des zones de l’étoile virent les flammes leur échapper. Des tâches d’un gris sombre semblant intactes s’étalèrent un peu partout sur la surface, révélant une sphère immense, encore plus impressionnante qu’elle était trop évidemment artificielle. Cette étoile n’en était pas une.
Ç’avait duré plusieurs minutes. De très longues minutes. Une suspension du temps et de notre incrédulité. On ne croyait pas à ce qu’on voyait, mais on n’avait pas le choix. C’était si beau, si irréel, qu’on voulait y croire avant tout. Les implications logiques, leur signification comme leurs conséquences, les décisions qu’on allait devoir prendre, on s’en foutait comme de notre premier bol de céréales ; on vivait un instant privilégié, quasi-divin.
Depuis la conquête de l’espace par l’humanité, depuis les premières colonisations, même après la création de la Fédération, on n’avait jamais cessé d’espérer croiser un signe d’une existence en dehors de la nôtre, sans jamais vraiment y croire, parce que la Science nous disait que c’était trop improbable. On s’était aussi pris à rêver de super-structures, de matériaux inconnus à découvrir. Depuis l’invention des moteurs à voyages par-luminiques et des correcteurs gravifiques, on se disait qu’on irait jamais plus loin, qu’on était arrivé au bout de notre évolution, et que c’était déjà pas mal, quand même.
Eh bah non.
Et c’était un petit équipage de pirates sans ambition, notre équipage un peu minable, faut pas se leurrer, qui allait trouver la preuve qu’on avait, une fois de plus, collectivement tort. Et si quelqu’un vous dit que j’ai pleuré à la vue de ce miracle, sachez qu’il ment. Je me suis liquéfié, oui ! J’en avais les genoux tremblants et le nez morveux, sans la moindre espèce de honte. Exit mon premier baiser avec Franck à la fin de mon cycle d’études universitaires, ma première fois avec Lucy quelques semaines plus tard ; et surtout adieu mon premier plan à trois avec les deux quelques mois avant mon départ pour les étoiles. Iels m’en voudront pas, iels sont merveilleux·ses.
C’était le meilleur moment de ma vie, sans la moindre espèce d’hésitation. L’amour et le sexe, c’est formidable, mais c’est rien en comparaison d’une découverte scientifique historique. Cet instant de silence, cette fascination collective, cet échange de regards humides et heureux, cette si petite mais énorme bulle n’appartiendrait qu’à nous jusqu’à la fin des temps.
Sans parler de cet éclat de rire quand Tombal, en voyant finalement cette sphère s’ouvrir face à nous au moyen d’une gigantesque iris métallique, laissa échapper un :
« Ah ouais. Quand même. »

Comme d’hab, c’est Cap’ qui a repris ses esprits la première. Elle nous a rappelé à l’ordre après s’être bruyamment mouchée. Pas le droit aux atermoiements ; on avait bien assez profité. Droit devant, tou·te·s ensemble, on prendrait le temps de discuter et de se réjouir qu’une fois posé à l’intérieur, si c’était possible ; il fallait qu’on en ait le cœur net, en premier lieu. Et quand Cap’ ordonne, on exécute. C’est pas comme si on était d’accord, de toute façon.
Vous voyez comme vous faites pas les malin·e·s en entrant dans une cathédrale ou un bâtiment du genre, le regard vers le plafond ; vous vous sentez tellement minuscule que c’en est gratifiant ? Presque extérieur·e·s à vous même, vous vous entendez laisser échapper des gloussements et des sifflements d’admiration, sans rien pouvoir y faire ?
Bah pareil. Mais en pire.
Avant de chercher à nous poser sur la planète – parce que oui, il y avait bien une planète planquée là-dedans – on en a fait le tour. On était tellement hypnotisé, émerveillé (insérez ici tout autre superlatif de circonstance) par ce qu’on découvrait qu’on a pas remarqué que l’iris s’était refermé juste derrière nous, bien plus vite qu’il ne s’était ouvert. Faut dire qu’il y avait tellement d’autres choses à remarquer.
Larsen était intenable, courant d’un côté à l’autre du cockpit pour pointer du doigt des mécanismes monstrueux encastrés dans la surface interne de l’étoile artificielle et essayer de déterminer à quoi ils pouvaient bien servir. Tombal, du genre à grogner qu’on ne courre pas derrière un pilote en plein travail, le laissait faire sans rien dire, parce que lui-même était trop occupé à essayer de repérer des trucs. Même Hector et Achille la fermaient, trop pris par leurs calculs de charge et les extrapolations techniques possibles de tout ce qui nous entourait.
Faire le tour nous a pris plusieurs heures, juste pour essayer de réaliser tout ce que l’existence même de cet endroit impliquait. Autant dire qu’on a pas réussi. Pas du tout. Surtout en voyant ce qu’on a baptisé « la Tour ». Au  »fond » de l’étoile, faute d’un meilleur terme, il y avait cet immense cylindre désarticulé, qui la reliait à la planète, de plusieurs centaines de kilomètres. Larsen a tout de suite présumé qu’il s’agissait d’une sorte d’usine ou de réacteur géant, servant sans doute à contrôler la fusion à la surface externe de l’étoile. On a déterminé que c’était notre objectif premier, mais rien ne pouvait nous laisser penser qu’on pouvait s’y amarrer ou l’approcher sans prendre de risque ; pour être tout à fait honnête, l’exaltation était retombée, on commençait à méchamment flipper. On était clairement dépassé par ce qu’on avait découvert, et on s’est vite rendu compte qu’on avait aussi pris bien trop peu de précautions.
Car si l’endroit semblait désert et très mécanique, il était encore, de fait, fonctionnel. Ce qui suggérait la possibilité de défenses au minimum, et d’une présence vivante, potentiellement hostile ; notre émerveillement nous avait fait prendre beaucoup de risques inconsidérés. Notre statut de pros venait d’en prendre un gros coup, même si vous accorderez, je l’espère, dans votre grande mansuétude, le bénéfice des circonstances exceptionnelles.
Scan d’Hector pour formes de vie : minimes. Rien au delà de quelques bactéries, virus et champignons résiduels à la surface de la planète.
Scan d’Achille pour rayonnements : le bordel absolu. Électromagnétisme omniprésent, électricité et systèmes informatiques fonctionnels absolument partout, à la surface de la planète comme tout autour de nous. Radiations résiduelles mais inoffensives un peu partout. Aucun système de défense identifiable, aucunes ondes radios détectables. L’endroit était abandonné ou n’avait jamais vraiment connu la vie telle que nous la concevions. Une énigme de plus.
Tentative de datation des équipements : infructueuse. Matériaux méconnaissables ou simplement inconnus, aucune nomenclature ou équipement qu’on aurait pu recouper avec nos registres.
L’inconnue totale. Si on voulait vraiment apprendre quelque chose, on allait devoir atterrir. Heureusement qu’on avait pensé à s’acheter un lot de combinaisons d’exploration et des kits de tests atmosphériques. Parce que oui, malgré l’apparence ultra-mécanisée de la super-structure, notre petite planète impossible avait une atmosphère, ce qui, là aussi, défiait toute logique. On ne pouvait pas exclure l’existence d’une machinerie quelconque pourvoyant à ce besoin, évidemment, mais c’était une technologie qui nous échappait forcément ; sans compter qu’on avait du mal à en voir l’utilité puisque qu’il n’y avait personne pour en profiter. Après tout, on parlait d’une planète cachée au sein d’une étoile artificielle. Oui, je me répète. Mais enfin vous admettrez que la situation le justifie quand même pas mal. Il a fallu qu’on le dise nous-mêmes à voix haute un paquet de fois pour seulement commencer à le croire.
Nos vaisseaux n’étaient pas équipés pour faire un prélèvement en haute atmosphère, on ne pouvait le faire qu’au sol. Donc on a logiquement commencé à chercher un spot pour atterrir. La planète n’était somme toute pas immense, à peine plus grande que celle sur laquelle on avait humilié le Consortium, si on la prenait seule, mais elle était complètement saturée de bâtiments. La recherche a été longue et infructueuse, ne nous laissant finalement pas le choix. Le fait est qu’un seul site était acceptable pour s’y poser. Une grande lande, à l’exact opposé de la Tour, menant à une seule entrée, presque découpée dans la longue façade de tours et de blocs qui composaient le reste du paysage. Vu de l’espace interne de l’étoile, on était plus proche d’une corpo-planète mécanisée en fin de vie que d’une réelle planète, c’était saisissant. Mais avec la distance et les obstacles visuels divers, c’était impossible de réellement juger, ce qui ajoutait à la confusion.
Mais on ne s’est pas longtemps laissé emporter par cette confusion, pas plus que par notre excitation ; on a réussi à se reprendre, le temps de mieux examiner notre objectif, pour tâcher de ne pas se faire avoir bêtement.
Parce que si nos scans successifs n’avaient pas trouvé de traces de vie sur la planète ou sur la surface interne de l’étoile, il y avait quand même du mouvement. Des machineries, d’abord, un peu partout, aussi absurdes que magnifiques d’incongruité (très joli mot, au passage,  »incongruité ») : des rouages, des bielles, des vérins, tout un tas de pièces actives qui ne semblaient pas accuser le poids des années, comme si elles avaient été entretenues pendant… pendant on-ne-sait-combien-de-temps-mais-sûrement-longtemps.
Et puis, fugacement, parfois, au travers des nuages ou des microsatellites (oui oui), trop souvent du coin de l’œil, on saisissait autre chose. Des ombres, des sursauts, des anomalies qui juraient avec la routine mécanique ; comme des surgissements discrets mais présents, qui nous faisaient douter de nos sens autant que de attention. C’était un supplément d’étrangeté franchement pas bienvenu ; la situation globale était bien assez déroutante au départ. Mais faut croire qu’on aime le cumul dans cet équipage.
Mais le fait est qu’on y voyait pas grand chose de là où on était, de toute façon. Et que si on voulait vraiment en apprendre plus, effectivement, il fallait bien nous poser. Et j’ai bien conscience que je me répète, encore une fois, mais j’essaie de rendre aussi fidèlement que possible notre processus de pensée pendant ces très longues heures autour de cette foutue planète qui nous retournait le cerveau comme… bah comme rien, merde !
Essayez deux minutes de tomber sur une planète artificielle accrochée au centre d’une étoile artificielle que vous avez éteinte puis ouverte avec une télécommande fonctionnant à l’énergie psionnique, et voyez comment vous racontez ça, hein !
Et je me rends compte que je m’égare salement, je vous dis des trucs que j’aurais dû dire plus tard, dans l’optique d’une meilleure compréhension de l’histoire qui nous intéresse. Pardon, je me recentre.
Donc là, une fois qu’on avait décidé de notre point d’atterrissage, on a envoyé Hector et son vaisseau se balader dans la haute atmosphère de la planète. Vu qu’on avait aucun matos pour faire des tests sans nous mettre nous-même en danger, on l’a chargé de tester sa densité et sa potentielle dangerosité pendant notre descente, parce qu’on est pas complètement con. Lui, il avait des temps de réaction et d’analyse suffisamment court pour pouvoir nous dire tout ce dont on avait besoin, et surtout un manque cruel mais bien pratique d’instinct de conservation.
Ç’a pris quelques minutes, deux trois loopings débiles mettant en danger la carlingue du vaisseau automatisé, mais bonne nouvelle, l’atmosphère était propice à une vitesse de descente différant à peine de la normale, sans risque de nous cramer à coups de frottements malvenus. C’était bonnard, on pouvait y aller tranquillement.
Et là, normalement, vous vous dites que niveau emmerdes promises, quand même, je me suis bien foutu de votre gueule, depuis le début.
Ce à quoi je vous répondrais : « Oui, c’est vrai, mais si j’avais rien promis, vous seriez pas resté, alors fermez-là et laissez moi raconter, merci ».
Et aussi, oui, c’est évidemment là que les fameuses emmerdes ont vraiment commencées, puisque en traversant la dernière couche atmosphérique sans encombres, notre vaisseau a été pris d’assaut par un filet gravifique réglé avec le cul, nous projetant au sol avec la force d’un bébé géant qui vient de prendre une brouette de néo-coke avant de jouer avec son hochet rebondissant.
Je comprends que la métaphore puisse vous laisser perplexes, mais moi c’est comme ça que j’en cauchemarde encore des nuits après, alors merde.

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