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Impossible Planète – Episode 21

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Les images que j’ai pu récupérer sont un peu pourries par une surcharge d’ondes, à ce moment-là, malgré les sécurités internes des appareils. Faut dire que nos amis Xénos sont un peu plus friands que nous de l’usage des ondes, donc forcément, leurs standards ne doivent pas être les mêmes. C’est assez déroutant, d’ailleurs, de revoir des images partiellement brouillées alors que nos vidéos n’ont jamais été aussi clean, et qu’on peut s’envoyer des films en Ultra-HD d’un bout à l’autre de la Fédération en quelques minutes à peine.
Mais je dis ça, on a fait de tels progrès depuis le temps que parasites, sons désagréables et décalages sons/images laissés de côté, malgré tout, on voit tout assez clairement ; d’autant plus que je me suis permis de faire un rapide montage entre les différents points de vue autour et au sein de la scène par souci de précision. Et donc quand on bascule sur la focalisation de Cap’, on voit bien les Drogos se mettre subitement en mouvement, dans un élégant mouvement coordonné, presque dansant, laissant deux trous assez évidents dans leur formation, en demi-cercle, épousant la forme de l’Amphi.
Deux trous très vite comblés par le surgissement violent des deux Drogos que Larsen avait récupérés derrière la porte qui m’avait téléporté. L’instant d’avant ils étaient inertes dans son barda et d’un coup d’un seul, supersoniques. La fibre de nos sacs militaires était censée être ultra résistante, elle n’a pas tenu deux secondes après l’allumage des deux bestiaux. Un vague et surtout rapide bruit de déchirement de tissu, et voilà que la troupe qui encerclait les potes était au complet.
Là, commence à monter un son étrange, dont je ne saurais pas vraiment dire s’il est du aux Drogos ou à la détérioration globale des fichiers vidéo. Une sorte de bourdonnement sourd, une nappe sonore dont on arrive pas à déterminer si elle couvre le reste des bruits présents ou si elle se cache en dessous, prête à tout dévorer. C’est assez angoissant, parce qu’elle a comme une composante organique, cette nappe sonore. On y sent une vibration quasi animale, quelque chose de contenu qui ne demande qu’à sortir, avec force et fracas.
En liant ce son aux images, on a l’impression que ça vient des Drogos, et qu’une fois ce bourdonnement montant arrivé à son paroxysme, il va se passer quelque chose. Et j’ai beau l’avoir visionnée plusieurs fois, cette foutue séquence, j’ai beau savoir ce qui va se passer, j’ai la même torsion dans les boyaux, à chaque putain de fois. À chaque fois je me fais avoir. J’attends de voir ce que ce damné son va amener, et à chaque fois : rien. Une dizaine de secondes seulement, pour une tension horrible, un truc viscéral qui vous échappe tellement il est puissant, et puis rien. La violence de l’absence surpasse celle de l’anticipation. C’est comme une baffe de vide en pleine gueule.
Ça se voit à l’image, d’ailleurs. Les visages qui se crispent, les corps qui se tendent, qui attendent la sentence. Entre les parasites, on choppe les éclats de terreur pure dans les yeux, malgré la friture, on capte les souffles courts par les évacuations des scaphandres ; c’est ptet’ bien ça qui fout autant les jetons à chaque fois, malgré tout, il y a un truc organique qui parle au corps avant de parler à l’esprit. Rien que d’en parler, ça me fout encore des sueurs froides, et j’ai même pas les vidéos sous les yeux, c’est pour vous dire. Faut que je rationalise pour pas me faire avoir par un truc que je connais presque par cœur tellement il m’a vissé le cul au siège le temps de se marquer au fer rouge au fond de mon cerveau. Ça aussi j’en ferai des cauchemars un jour, c’est sûr. J’imagine pas les mélanges.
Ouais, pardon, je m’égare encore un peu. Je vous parle d’immédiateté et je baragouine un joli discours sur la peur pendant dix minutes. Quel connard. Ça doit être la perte de sang, il était temps que je le sente passer… Ah bordel ça pique.
Mais donc oui, grosse tension, tout ça. Les Drogos sont là, bougent de nouveau plus, comme ils savent si bien le faire. Cap’, Andro et Burrito se calent sur leur non-mouvement, par réflexe, attendent de voir à quelle sauce iels vont être mangé·e·s ; mais iels se détendent quand le son s’arrête, c’est plus fort qu’iels. Il se passe un truc, c’est évident, mais pas moyen de savoir quoi exactement, forcément. Derrière, Larsen continue à s’activer frénétiquement sur ses consoles de commande auxquelles il ne comprend toujours rien, il s’est même pas rendu compte que la moitié du contenu de son sac s’est répandu par terre après l’évasion de ses deux Drogos.
Il essayait surtout de comprendre ce qu’il avait bien pu faire pour provoquer le mouvement des Drogos, alors il agitait les mains dans tous les sens, tripotait tout ce qui dépassait devant lui, il criait plus ou moins fort, il essayait de retrouver la tonalité de ses hurlements de colère. Il essayait d’injecter de l’ordre dans le chaos, quoi, autant dire que c’était pas la peine de rêver. La bonne nouvelle pour lui, c’est qu’il a pas eu à se ridiculiser longtemps, puisque les événements ont enfin fini par se précipiter.
Un cri de trop, peut-être, ou une pression de bouton, une manipulation de bitoniau, allez savoir. Toujours est-il que les Drogos se sont arrangés autrement. Trop rapidement pour que les caméras sur les scaphandres enregistrent la nature exacte du mouvement, sans compter les parasites, de nouveau, et le flou cinétique provoqué par la panique. On devine tout juste la formation finale des Drogos, ce qui ressemble à un flash en négatif, et puis toutes les vidéos à l’exception du flux de Larsen coupent subitement.
Devant lui, à ce moment là, juste l’Amphi, toutes ses consoles de commandes toujours actives, et la place vide. Avec tous les Drogos inertes au sol. L’image reste fixe quelques longues secondes, avec comme seul fond sonore sa voix fluette :
« Oh bordel oh bordel oh bordel… Merdemerdemerde. Qu’est ce qui se passe ? »

La mauvaise nouvelle, c’était donc que Larsen se retrouvait subitement tout seul.
La bonne, c’est que moi j’avais retrouvé de la compagnie.
Pendant que lui paniquait, j’avais droit à un spectacle pas banal ; après avoir été téléporté, j’avais le luxe de voir à quoi ressemblait la fin du processus. C’est particulier, la téléportation, laissez moi vous dire ça. Et maintenant laissez moi me dépatouiller avec une pathétique mais passionnée tentative d’explication vouée à l’échec.
Prenez une bille, que vous placez quelque part, suspendue à un gros mètre au dessus du sol. Votre bille, elle apparaît ex nihilo, dans un petit éclat lumineux, discret, mais pour autant inratable, à cause du claquement sec et métallique qu’elle provoque. Puis, alors qu’aucun signe de changement à sa surface ne s’est manifesté, elle semble projeter autour d’elle une silhouette vaguement humaine, tracée dans l’air, avec cette espèce de lumière irisée qui parcourait déjà les consoles de Larsen.
Et puis de là, le truc à la fois dégueu et magnifique, l’aberration totale. Un nouveau flash, voilà la structure, la coquille vide du corps tout entier qui se solidifie, en transparence. Puis qui se remplit, à partir de la bille, par couches successives, comme une impression 3D à entrées multiples, mais sans aiguilles ou point d’entrée. Je vais même pas faire genre, malgré ma fascination, quand j’ai vu un foie se reconstituer à grande vitesse à partir de rien, j’ai vomi.
Pas tant parce que c’était crade ou quoi, j’ai vu et vécu bien pire ; mais mon cerveau refusait simplement d’accepter la réalité de ce que je voyais, c’était un réflexe primitif de défense. Plié en deux, les mains sur les genoux, forcément, j’avais plus les yeux sur le crime contre les logiques scientifiques que je croyais un minimum connaître. Alors j’ai suivi les conseils de mon instinct, je n’ai plus regardé, le temps que ça se termine, malgré quelques coups d’œil, à quelques secondes d’intervalle, c’était plus fort que moi. Ça n’a pas duré très longtemps, quelques minutes à peine ; jusqu’à un nouveau flash, un nouveau claquement, une fois que le corps était complètement reconstitué.
Puis un autre, pour faire apparaître tout le matériel que la personne en question avait sur le dos ou avec elle au moment du transfert. Un corps, temporairement figé, son matos, en quelques minutes à peine, opérant une séparation nette et bien pratique entre l’organique et le… pas-organique quoi. Le tout multiplié par 3, évidemment, puisque trois personnes étaient téléportées à la fois. Même si je n’avais que Cap’ devant moi, Andro et Burrito étaient derrière.
Et là, si vous avez suivi, vous devriez anticiper un certain niveau de malaise. Parce que oui, elle était toute nue, la Capitaine. Je vous arrête tout de suite. Aucun problème, en réalité. D’abord parce que ça fait un sacré bout de temps qu’on bourlingue ensemble, et qu’on a forcément appris à se côtoyer dans plein de circonstances variables ; peu importe la quantité de vêtements qu’on porte, on est tranquille les un·e·s avec les autres. C’est avant tout une question de respect et de confiance. Si on doit en permanence surveiller le regard des autres, on en finit jamais, et on avance pas, on est pas une équipe.
Or nous, on est une équipe soudée. Donc je me suis contenté d’attendre tranquillement que tout ce petit monde se réveille comme je l’avais fait moi-même. Pas de fausse pudeur ni de regards inappropriés, tout le monde a très vite intégré ce qui s’était passé ; y compris Burrito, qui a fait preuve, d’ailleurs, d’une remarquable force spirituelle pour un bleu. On l’a bien formé et réadapté à notre vie, un super ajout à l’équipage, définitivement. Tout le monde s’est rhabillé comme si de rien n’était, puis a fait le point sur le matériel.
Tout fonctionnait normalement, comme pour moi, sauf le feed vidéo, que de l’audio. Prévisible, mais pénible. Achille était complètement paumé, à devoir raccrocher nos signaux de partout, retrouver/recréer des bornes numériques, en panique totale, il nous a servi à rien pendant un bout de temps, trop confus, ce qui se passait n’entrait simplement pas dans ses logiciels prédictifs. C’est là qu’on se rend compte qu’une IA, si brillante soit-elle, demeure artificielle. Le pauvre, entre l’absence d’Hector dont on ne savait toujours pas ce qu’il foutait en haute-atmosphère et le chaos qui régnait à la surface, il devait se faire de sacrés nœuds au code.
Heureusement qu’on est des pros. Je vous l’ai déjà dit, non ? C’est parce que c’est vrai. Certes, c’était n’importe quoi, et assez incompréhensible, mais paniquer ne nous aurait servi à rien. Il fallait faire au mieux avec ce qu’on avait. Et ce qu’on avait, c’était Tombal dans le vaisseau, Larsen à la surface, une fière équipe de quatre dans les souterrains, et malgré tout, une IA militaire à notre service. On avait de quoi faire et découvrir ce qui se cachait sur cette foutue planète. Si tant est qu’il y avait effectivement quelque chose à découvrir, mais qui ne tente rien, tout ça.
Et donc, là, tout le monde s’est posé, pour qu’on discute encore une fois de nos options et des choix à faire avec. Toujours les mêmes constats et options qui en découlaient, avec juste quelques petits ajustement en fonction des nouveautés de ce que cette foutue planète avait décidé de nous faire subir. Ouais, on commençait à en parler comme d’un être conscient, tellement elle nous portait sur les nerfs. On avait l’impression qu’elle jouait avec nous, selon un set de règles qui nous était complètement étranger. Ce qui était logique hein, en y réfléchissant deux secondes. Mais sacrément agaçant.
Et puis là dessus, on s’est rendu compte qu’on était bien crevé, tout à coup. Même moi, malgré ma sieste prolongée, je me mangeais un nouveau coup de barre format industriel ; j’avais le bâillement contagieux, je pouvais en compter trois à chaque fois que je me laissais aller. (Point bonus si je vous ai fait bailler aussi.)
Première décision avec cette nouvelle donne : dodo pour tout le monde. Parce qu’on sentait bien qu’il nous faudrait un maximum d’énergie pour nous attaquer à notre nouvelle mission avec l’esprit clair. On s’est couché après un rapide en-cas et un topo avec ceux de la surface. Larsen allait rester à côté de l’Amphi pour essayer d’en tirer quelque chose, et Tombal, évidemment, n’avait aucune raison de quitter le confort du vaisseau, d’autant plus en considérant qu’il allait falloir aider le pauvre Achille.
Alors peut-être que j’étais un peu moins fatigué que les autres, que je suis si parano que ça pourrit mon sommeil, ou que j’avais pris quelques bouffées d’air du coin de plus que les autres, ou un subtil mélange des trois, allez savoir. Mais toujours est il que je me suis réveillé très vite après m’être endormi. Par réflexe, j’ai vérifié l’horloge interne de mon scaphandre. À peine 3 minutes d’écoulées.
Et tout le monde dormait autour de moi. Les comptes-rendus live des combinaisons de Larsen et Tombal les indiquaient en sommeil tous les deux. Un sommeil simultané, c’est pas impossible, en soi, mais statistiquement, ça me paraît quand même hautement improbable, surtout à l’échelle d’une planète sur laquelle il ne pouvait pas exister de cycle jour/nuit.
J’ai senti à ce moment-là, encore plus fortement que les autres fois, que quelque chose de plus gros que nous se tramait, et j’avais la rage, parce que j’arrivais pas à déterminer de quoi il s’agissait. Et en plus, on avait mis Achille en veille de dialogue pour éviter qu’il pourrisse notre repos, il ne pouvait que mener ses calculs dans son coin sans rien nous dire tant que Cap’ lui ordonnait pas le contraire. Le sommeil, c’est important.
J’ai fini par me rendormir avec une boule au ventre et des nœuds au cerveau. J’ai échafaudé des scénarios dans ma tête encore et encore sans jamais me convaincre moi-même, jusqu’à ce que la fatigue s’empare de nouveau de moi et que je m’endorme de nouveau pour finalement me réveiller quelques heures plus tard.
Aveu de faiblesse un peu gênant ; une fois réveillé, je me suis senti con. Je me suis dit que j’avais sans doute mal lu mon horloge, ou que j’avais mélangé des trucs dans ma tête ; que je m’étais fait des films. Alors j’ai rien dit. Oh comme je regrette maintenant. Je peux pas savoir si ça aurait changé quoi que ce soit, mais le fait de ne pas savoir me rend malade.
Mais on aura l’occasion de reparler de tout ça, concentrons-nous sur la suite directe des événements, celle qui vous intéresse réellement, ce dont je ne peux décemment pas vous blâmer.
On s’est réveillé, on a fait un rapide inventaire de notre équipement, on a fait le point avec Larsen, Tombal et Achille, puis on s’est décidé à repartir de l’avant. Premier arrêt, la porte que j’avais ouverte, pour essayer de déterminer ce qui m’était arrivé, qui s’était refermée derrière moi.
Ç’a été vite vu. On l’a ouverte, et derrière, pleine lumière.
La première chose qu’on a vue ? Allez, devinez.
Perdu. C’tait mon cadavre. Coupé en deux. Bonne ambiance.

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