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After®, Auriane Velten

Eye Of The Storm – Battle Beast (extrait de l’album Circus Of Doom)
Freeek! – George Michael (extrait de l’album Twenty Five)

Je considère que le langage et la pensée ont une relation d’influences mutuelles. Les deux se nourrissent sans cesse l’un·e de l’autre, et évoluent de fait en permanence, au gré des changements qui peuvent s’opérer spontanément ou sur une durée plus longue. Penser différemment peut amener à parler autrement, et opérer des altérations dans sa façon de parler peut amener à envisager les choses avec des nuances nouvelles, et donc penser autrement. C’est la raison pour laquelle j’emploie certaines formes d’écriture inclusive dans mes chroniques et dans la vie de tous les jours ; pour rééduquer mon esprit à aller dans un sens plus conforme à mes valeurs et principes, à ce que je crois et veux croire.
Et de fait, étant pratiquant de ce qui aujourd’hui crée régulièrement des dissensions, objets de beaucoup de fantasmes, de pas mal de mauvaise foi et surtout d’instrumentalisation délétère, les débats les plus sains autour de la question titillent mon intérêt comme ma curiosité. L’écriture inclusive – sous toutes ses formes – est avant tout un outil qu’il convient d’interroger autant que de pousser dans ses retranchements, pour pouvoir en examiner les capacités et/ou les limites.
Alors forcément, quand j’ai entendu parler du premier roman d’Auriane Velten, de son instantanée réputation d’excellence et de son utilisation radicale de l’écriture inclusive à l’échelle de son roman entier, j’ai été convaincu que je devais le lire. Suite logique, After® a été le premier roman que je me suis fait dédicacer aux Imaginales 2021. (L’honnêteté me commande de vous confesser que la Théorie y est un peu aussi pour quelque chose, mais pour une fois, ce n’est pas l’argument premier ; Auriane Velten est plutôt discrète sur les réseaux. Mais bref.)
Maintenant que je le l’ai lu, je peux vous dire ce que j’en ai pensé, bien au delà de son usage de l’écriture inclusive, qui est très loin d’être accessoire, mais sait aussi aller chercher plus loin que ses usages les plus évidents. Comme j’ai pu m’en ouvrir sur Twitter après seulement quelques pages, After® fait partie de ces romans qui, même sans m’avoir séduit, m’auraient fait profondément les respecter. Chance pour moi, une fois le roman terminé, je me suis dit qu’il y avait là de l’affection en plus du respect. Même si j’ai un peu grimacé, quand même, au moment de me dire qu’il allait encore falloir que j’aille puiser dans mes ressources pour réussir à pondre une chronique qui soit à la hauteur des ambitions de l’autrice.
Je suis pas très confiant, pour être honnête ; mais essayons quand même.

Longtemps après le cataclysme, Cami vit au sein d’une communauté autonome vivant selon un Dogme égalitariste et austère, extrêmement rigoureux, qui régit tous les aspects de la vie de ses habitant·e·s, mais leur accorde une chance au bonheur aussi collectif qu’individuel. Pas totalement pour Cami, cependant, qui lutte contre ses pulsions de curiosité incessante, non conformes au Dogme. La chance lui sourit cependant, quand le Conseil lui confie une mission d’exploration à l’extérieur de la communauté, dans les terres anciennes où seraient cachés les vestiges de l’humanité, en compagnie de Paule, autre membre de la communauté plus en paix avec les règles les plus rigides du Dogme. De ce voyage et des découvertes qu’il va amener pourraient bien émerger de terribles bouleversements.

Si mes lectures de ces dernières années m’ont fait réaliser quelque chose, en tout cas à mon échelle, c’est l’importance du cadrage dans la narration. Une même histoire peut être racontée de tant et tant de façons qu’à chaque nuance, elle pourrait raconter des choses absolument différentes, voire même contradictoires ou paradoxales, alors même que la base serait toujours exactement la même. C’est là que l’utilisation radicale de l’écriture inclusive par Auriane Velten dans ce premier (premier !) roman tient à mes yeux du tour de force. Car le langage inclusif utilisé et manipulé par l’autrice et ses personnages dans ce roman va plus loin que celui usité de nos jours sans pour autant avoir besoin d’invoquer certains de ses avatars les plus inconfortables (je pense au point médian, notamment) et fait assez incroyablement facilement sens. Il apporte en lui-même un assez sidérant nombre d’éléments constitutifs de l’univers dans lequel nous sommes plongé·e·s, sans avoir nécessairement besoin de nous appesantir dessus lors de lourdes explications : le cadrage fait le travail d’exposition par sa simple existence. Respect, donc, parce qu’il y a là un choix audacieux, pour ne pas dire courageux, et surtout diablement exigeant ; malgré la relative facilité avec laquelle je me suis fait à ce dialecte singulier, j’y devinais la sueur gouttant du front d’Auriane Velten penchée au dessus de son travail.
Parce que la cohérence littéraire, c’est quelque chose d’indispensable pour donner corps à des idées sans avoir à les verbaliser en dehors des personnages et de leurs pensées et agissements. Parfois, dire les choses trop directement leur fait paradoxalement perdre de la force. Ici, l’idée d’avoir deux points de vues internalisés qui se croisent, s’enchâssent et se répondent marche d’autant mieux qu’on a conscience des failles et personnalités de Cami et Paule au travers de leurs lacunes de vocabulaire en plus de leurs réflexions ; j’avoue que j’ai rarement vu ça être aussi bien employé. En faisant décrire des objets ou concepts relativement communs à nos yeux de lecteurices par des personnages qui n’ont aucune idée de ce qu’ils ont sous les yeux avec leurs mots à eux, on se retrouve à ne pas les reconnaître non plus et à ressentir une sacrée empathie, à considérer les choses autrement. À réfléchir autrement.

Il est donc question d’une particulière altérité, dans ce roman. Or, j’aime beaucoup ça dans ma science-fiction, il faut bien le dire, surtout quand elle se situe autant dans les réflexions proposées que dans les personnages, dotés ici d’un souffle certain, d’une humanité et d’un organisme confondant·e·s. Comme j’ai pu le sous-entendre jusque là, je ne peux pas dire que l’intrigue en elle-même soit absolument révolutionnaire ; je dirais même qu’elle est assez convenue. J’ajouterais aussi que sa conclusion m’a un peu laissé sur ma faim. Mais j’ajouterais surtout que j’en m’en fiche assez royalement, parce que clairement, on est dans le cas, comme souvent, où le voyage vaut plus que la destination, d’autant plus ici que le moyen de transport est pour moi une première. J’ai déjà lu des romans se targuant de jouer avec les mots, de créer des mots et des concepts nouveaux, mais jamais jusque là, je crois, je n’en avais lus qui avaient su autant prendre leurs distances avec le paradigme langagier francophone classique sans pourtant se perdre ou faire preuve d’une fatale prétention. Parce que tout fait sens, tout simplement ; je n’ai pas lu une autrice qui se lisait écrire ou qui cherchait à attirer l’attention sur ses talents propres, j’ai lu une histoire se déroulant dans un autre monde que le nôtre, racontée par des personnes/personnages qui étaient fermement ancré·e·s dans le leur. Toute la force de ce roman réside dans ce simple constat : il est possible que le monde évolue, change tant, qu’il en devienne absolument étranger à tout ce que l’on connaît, et il nous est impossible de prévoir dans quelles proportions, sous quels aspects. Alors oui, forcément, par moments, After® peut verser dans ce que je considère comme les défauts du conte, aller trop vite et parvenir un peu trop aisément à certaines de ses conclusions pour les besoins de la démonstration : mais peu importe, finalement. L’important est ailleurs, précisément dans la démonstration, surtout quand cette dernière est si limpide, en tout cas à mes yeux.

C’est toujours compliqué pour moi de parler de projets si singuliers sans trop craindre d’avoir l’enthousiasme trop débordant. Ce roman est le premier (publié, du moins, soyons factuel) d’Auriane Velten, et je n’arrive pas à me remettre de cette information, au delà de toutes les autres. Quelle maturité dans la forme, quelle pertinence dans le fond, déjà. Quelle audace, aussi, de faire à ce point confiance à son lectorat, de le balancer dans un bain si foudroyant d’altérité, sans jamais vraiment le prendre par la main. Quelle audace de Mnémos, aussi, il faut bien le dire, d’offrir (enfin de faire payer, mais vous voyez ce que je veux dire) ce texte à un public actuel parfois féroce et manquant cruellement de magnanimité lorsqu’il s’agit de certaines des questions qui y sont abordées.
After® est un roman important, en tout cas je veux le considérer comme tel. J’y ai trouvé beaucoup de réflexions rafraichissantes et de questionnements pertinents, des personnages aussi attachants qu’intéressants, et la sacro-sainte envie de plus. Ce roman m’a bel et bien séduit au delà de me faire profondément le respecter, à l’instar de son autrice, dont je ne suis pas le seul à deviner qu’elle a un talent très prometteur et encore beaucoup de choses à nous faire découvrir.
Et inutile de préciser que j’ai en effet, très très hâte.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

5 comments on “After®, Auriane Velten

  1. Yuyine dit :

    Entièrement d’accord avec toi pour cette très belle chronique. Oui, la fin est frustrante. Oui, l’intrigue n’est pas des plus originales. Mais le voyage est si bon, l’utilisation de la langue si maligne… Gros coup de coeur pour moi avec ce roman.

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