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L’Évangile selon Myriam, Ketty Steward

Humanity – Scorpions (extrait de l’album Humanity : Hour 1)

Rien de nouveau si je vous dis que j’aime beaucoup le travail des éditions Mnémos. Entre les découvertes textuelles et la qualité de leur travail éditorial, vraiment, je ne choquerai personne, je crois, en affirmant que cette maison est parmi ce qui se fait de mieux en édition d’Imaginaire francophone. Mais bien au delà de tous les excellents, formidables textes publiés chez Mnémos à intervalle régulier, notamment en fantasy, je dois saluer ici une de leur qualités majeures qui n’est pas assez souvent rapportée à leur propos, et surtout pas assez présente à mes yeux dans l’ensemble du paysage éditorial français, y compris et surtout en dehors de l’Imaginaire ; et cette qualité cardinale, c’est l’audace.
J’avais déjà implicitement salué ce courage lors de ma chronique d’After®, je dois le faire avec beaucoup plus d’emphase à l’occasion de cette chronique de l’Évangile selon Myriam. Parce qu’avant tout ce que je vais pouvoir dire d’autre à son propos, je dois dire une chose importante à son sujet : ce texte est éminemment singulier, et l’éditer n’a pas dû être une décision aisée. Tout comme il n’a pas dû être facile de le défendre. À l’instar de cet autre roman suscité, donc : respect. Infini.
Parce que, comme je vais essayer de vous l’expliquer, ce texte n’est pas évident, loin de là. Il procède d’une démarche que je ne pense avoir croisé qu’une seule fois jusque là dans le Demain les Chiens de Clifford D. Simak, une ascendance pour le moins exigeante.
Mais trêve d’introduction, chroniquons.

Et pour ce faire, rebondissons sur la référence antérieure, histoire d’avoir un point de départ satisfaisant, le résumé à proprement parler étant à mes yeux impossible ou du moins peu pratique. L’Évangile selon Myriam, c’est une collection de textes à mi chemin entre le fix-up et le recueil de (micro-)nouvelles, la tentative étrange et passionnée de ladite Myriam pour créer une nouvelle mythologie à son peuple, bien après ce qu’on perçoit être une apocalypse. Or, pour ce faire, elle ne dispose que de quelques éléments épars glanés au petit bonheur la chance et d’une tradition orale qu’on devine terriblement bancale ; ce qui nous donne un mélange approximatif de mythologie grecque, d’éléments de la Bible, avec des interludes de chansons pop et des citations de Stefan Zweig ou Milan Kundera.
Et donc, ce que Ketty Steward nous propose, c’est un livre dans un livre. Un récit construit par ce qu’il produit lui-même, un métatexte. Et conceptuellement, je vais surtout pas faire semblant, je trouve ça assez formidable. Non seulement parce que ça change, mais aussi et surtout parce que je trouve la démarche assez vertigineuse ; ça va chercher le sense of wonder ailleurs que d’habitude, au travers d’un Show Don’t Tell mis en abyme. Au travers de la recension des textes et leur réinterprétation par Myriam au fil des pages, c’est son monde qui se dévoile avant le nôtre. Avec des histoires qu’on connaît essentiellement par cœur, elle raconte parfois complètement autre chose que ce qu’on avait pu comprendre les premières fois qu’on les avait croisées. Et vous me connaissez, l’altérité, c’est mon truc. Or, L’Évangile selon Myriam en est rempli.

Sauf que. Pour ce que le concept et la forme de cet ouvrage peuvent m’enthousiasmer a posteriori, il faut bien admettre, quand même, que cette lecture n’a pas été aisée en elle-même. Si le respect pour la démarche que j’évoquais plus haut ne m’a jamais quitté, la joie, elle, a fait des allers et retours. Et je crois que la responsabilité de cet état de fait est malheureusement à imputer à la même source. Le problème tient en une idée très simple : Myriam voit bien au delà de Dieu et du Diable une troisième force, qu’elle a baptisée Alphonse, Le Principe de Réalité. Alphonse n’a rien à gagner ou perdre dans les tourments divins du destin, il n’est là que pour dire comment les choses vont se passer et hausser les épaules une fois qu’elles sont bel et bien arrivées. Alphonse est là pour faire raconter les choses différemment de notre tradition à Myriam, insuffler un réalisme cru dans ses contes et légendes, faire preuve de pragmatisme, oublier les symboliques trop fleur-bleue ou capillotractées ; lui faire dire les choses comme elles sont.
Et si d’un côté, cela apporte un certain humour ironique de bon aloi et d’excellentes réflexions sur les histoires que Myriam désire relater à ses concitoyen·ne·s, nous poussant par ricochet à considérer pas mal de choses sous un nouvel angle, à nous glisser du poil à gratter bienvenu dans le col cérébral ; de l’autre, le ton narquois et volontiers cynico-arrogant m’a régulièrement un petit peu laissé froid, ou simplement dubitatif, peinant à voir où était le pas de côté trouvé par ailleurs. Et si je conçois aisément l’idée que par pur esprit de cohérence Ketty Steward ait laissé quelques unes de ces histoires à l’identique ou presque dans le fond en ne bidouillant que la forme, je me suis quand même retrouvé à jongler entre doute et incompréhension, en difficulté pour raccrocher certains wagons au reste du convoi, avec l’impression qu’il y avait parfois plusieurs rails parallèles à suivre, mais que je n’avais qu’un seul ticket.

Alors je n’irais certainement pas jusqu’à oser dire que le projet est raté, non. Seulement, il est ambitieux, c’est clair. Faire, à travers un ouvrage fictif, le portrait d’une société nouvelle au travers des histoires qu’elle raconte, ces dernières étant celles d’une société passée que le lectorat réel de cet ouvrage fictif connait comme étant les siennes, c’est quand même un numéro d’équilibriste aussi osé que prometteur. Et de fait, si j’ai un peu lutté pour comprendre la démarche pendant le premier tiers, je me suis enthousiasmé pour le deuxième parce que j’avais capté, et j’ai un peu décroché pour le troisième, la faute à un rythme trop haché. La succession d’histoires très courtes, certaines liées entre elles, d’autre non, a créé un déséquilibre constant et déstabilisant à mon échelle du pur point de vue narratif ; je n’ai jamais été vraiment sûr de savoir sur quel pied danser. Tout comme je n’ai jamais été sûr – y compris au moment de la présente rédaction – si je devais imputer mes gênes à la démarche de Myriam dans la diégèse et donc à Ketty Steward à travers elle (auquel cas bravo), ou bien simplement à une simple incompatibilité d’humeurs entre moi et le format choisi par l’autrice. Demeurant que dans un cas comme dans l’autre, je dois de toute façon saluer la cohérence d’ensemble de l’ouvrage tout comme sa constance absolue, ce qui chez moi, le range d’emblée dans la case des bouquins trop bien pensés et faits pour que j’en dise du mal sans me sentir coupable.

Et du mal, je n’en dirai pas. Certes, je n’ai pas été pleinement séduit, comme je ne peux pas affirmer avoir pris du plaisir tout le long de ma lecture. Mais bordel que j’ai pris du plaisir à la chronique ; comme j’anticipe le plaisir de pouvoir un jour parler de ce bouquin avec quelqu’un·e d’autre. Au delà de tout le reste, là-dedans, il y a de la matière. C’est dense, c’est vif, c’est différent. Alors oui, comme pour un Gueule de Truie ou Les Abysses, même – faut croire que je me suis abonné récemment – ce dont je peux me réjouir avant tout, c’est que ça existe.
Oui, je lis avant tout pour le plaisir, mais j’ai ce luxe immense de pouvoir trouver ce dernier ailleurs que dans la lecture même, de pouvoir prendre ce temps de décortiquer mes pensées et mes sentiments pour mettre en évidence les liens entre les deux, les expliciter et réfléchir. Puis de partager tout ça et voir ce qui peut sortir de l’émulation éventuelle. Évidemment, idéalement, un bouquin me provoquerait du plaisir sur ces trois plans, mais 2/3, c’est déjà foutrement bien, et je n’ai décemment pas le droit de me plaindre.
Donc encore une fois, merci à Ketty Steward d’avoir produit un ouvrage autre, original, audacieux et intelligent, et merci beaucoup à Mnémos de l’avoir publié. Parce que des bouquins comme ça, qui bousculent par le simple fait d’être, j’en veux plus, toujours plus. Je peux pas promettre de tous les lire, mais j’en aurais toujours envie.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

4 comments on “L’Évangile selon Myriam, Ketty Steward

  1. Elwyn dit :

    Très belle chronique et fort intéressante de surcroît ! Tu m’intrigues réellement quant à ce bouquin qui risque bien de remonter dans la tour infinie de ma PAL ! Merci !

    Aimé par 1 personne

  2. Yuyine dit :

    Intéressante chronique. Je salue aussi l’idée audacieuse et l’originalité folle de ce roman même si j’ai clairement été laissé sur le bord du chemin à la lecture. En plus des problèmes que tu as rencontré, je manquais pour ma part des références de nombreuses histoires, notamment religieuses, et je n’ai donc pas tout compris dans le détournement malheureusement…

    Aimé par 1 personne

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