
sorry I’m not dead – Dead Posey
Aujourd’hui, on reparle d’une publication Librinova. Parce que j’aime bien les occasions que cette structure m’offre de sortir de ma zone de confort et de découvrir des choses assez différentes de ce que je lis d’habitude, et même deux de mes lectures favorites dans le courant de l’année passée, le premier tome du Royaume de Flonck et La Rose des Carcasses. Donc forcément, il y a une certaine confiance autant que de la curiosité ; j’ai encore une fois accepté avec enthousiasme un de leurs SP, sans même regarder de trop près de quoi il était question.
Le bilan tient en seulement quelques petits mots : rah, c’est dommage !
La Roue (crevée) de la fortune, de par sa nature de recueil de nouvelles, ne saurait être narrativement résumé, ses six créations étant toutes bien différentes sur le fond. Cependant, je crois pouvoir résumer thématiquement l’ouvrage, de par l’évident travail de calibrage de son auteur, tant sur les volumes très proches des récits que sur leurs structures dramaturgiques. Toutes ces histoires nous racontent le carambolage tragi-comique de destins personnels au travers des points de vue de personnages aussi humains que possible, dans leurs grandeur et leur mesquinerie. Si j’osais un parallèle cinématographique – que je vais oser, parce qu’il s’est imposé assez vite à moi pendant la lecture – je dirais qu’on est sur une recette très proche de celle des Frères Coen dans leurs films les plus délirants. Des personnages hauts en couleur, à la limite de l’absurde mais assez bien écrits pour qu’on y croit, dans des contextes extrêmement réalistes, et pourtant mâtinés d’une assez charmante extravagance. Des losers magnifiques confrontés à des figures de pouvoir à peine moins ridicules dans des intrigues rocambolesques et légères sans être dénuées d’intérêt. Et très franchement, c’est une excellente recette, il faut bien le dire.
Alors pourquoi « dommage » ? Parce qu’à mes yeux, tout ça manque de peu la cible. La recette, l’idée, le concept, tout est solide, mais trébuche à la fin du processus avec l’exécution. Cette dernière échouant malheureusement à donner parfaitement corps à l’ensemble, en restant un peu trop le cul entre deux chaises, n’opérant pas vraiment un choix narratif définitif. Honnêtement, je suis très client des notes de bas de page ou des adresses de la narration au lectorat – Flonck ou Pratchett m’en soient témoins, il faut que ce soit un parti-pris clair et définitif pour être pleinement efficace. Or, Eric de Haldat est à mon goût un peu trop timide pour que son choix soit absolument pertinent, ses assauts sur le quatrième mur sont trop faibles. De fait, à chaque adresse qui m’était faite, j’étais plus dérangé qu’autre chose de voir une telle rupture parfois surgir sans réelle cohérence d’ensemble pour leur donner le souffle que j’aime y trouver habituellement. Il aurait sans doute fallu faire du narrateur un participant actif aux incessants changements de points de vue ou un point d’appui à l’ironie des différentes situations comiques construites par la fortune aléatoire de nos personnages.
Parce qu’avec un titre comme La Roue (crevée) de la fortune, forcément, on s’attend à rire. Et c’est là aussi que le « dommage » s’applique ; parce que oui, on sourit, mais jamais, vraiment à de trop rares exceptions, on ne rit. Je dois même dire qu’une blague explicitement axée sur le viol m’a fait grincer des dents, regrettant d’autant plus sa chute qu’elle aurait pu être vraiment très drôle racontée autrement. Comme je disais, c’est une question générale d’exécution ; tous les ingrédients sont bons et en place, il manque souvent juste la petite étincelle, l’ajustement du rythme entre la narration et les dialogues pour qu’une réplique fasse mouche exactement comme il le faudrait, avec le maximum d’efficacité. Et du coup, entre tout ce qui marche et ce dont on sent qu’il manque un petit quelque chose, on se retrouve trop régulièrement dans un faux rythme, aussi dû au calibrage que j’évoquais plus haut peut-être un peu trop précis et arbitraire. Il n’empêche, fort heureusement, que l’ensemble se lit très bien et file assez droit, entre des situations variées et assez délicieuses d’absurdité, très bien structurées quand elles ne versent pas dans un éclatement temporel artificiel assez dommageable. La frustration, finalement, naît du fait que je sentais trop souvent le potentiel d’excellence frémir sous la surface sans jamais réellement pouvoir l’attraper dans aucune séquence complète, seulement par ponctuelles fulgurances. Cette même frustration qui, cependant, s’est progressivement effacé au fil de ma lecture, à la fois parce que je m’habituais au style d’Eric de Haldat, mais aussi parce que je crois que la qualité allait croissante.
En bref, c’était pas trop mal, mais ça manquait peut-être de polissage et d’audace. J’aurais aimé que ça soit moins timide ou du moins plus affirmé dans certains de ses choix, je ne saurais dire exactement en dehors de l’idée qu’il y avait là un fort regrettable balancement d’allégeances, peut-être perdus entres certaines volontés d’hommage ou d’originalité. L’équilibre, en littérature, je ne le répéterais jamais assez, c’est délicat : encore plus dans les nouvelles, j’en ai bien conscience. C’est aussi pour ça que je ressors plutôt content, malgré tout : parce que je sens qu’avec un peu plus de travail et d’exigence, il y a moyen pour Eric de Haldat d’avoir quelque chose de profondément personnel et d’efficace à proposer à son lectorat.
Je serais curieux de voir ce que ça pourrait donner.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
Rah, ce n’est pas dommage du tout ! C’est même enthousiasmant de lire cette critique éclairée. Cet ouvrage, je l’ai façonné dans mon coin, sans regard extérieur, sans transpirer, simplement réjoui d’écrire sans trop de contrainte (les 10 000 mots sont aussi un cadre appréciable pour rester incisif et ne pas se perdre dans l’intrigue) et, au bout du compte, plutôt satisfait du résultat. Vous citez les frères Coen (waouh !) ; pour info, je savoure également Wes Anderson et les Monty Python. Alors, à la lecture d’une telle description (merci de le faire à ma place), je ne vais pas bouder mon plaisir. En conséquence, je prends tout (ou presque : sérieux, où est ma blague sur le viol ?) et je continue.
J’ai d’ailleurs anticipé votre intention de me croiser à nouveau en doublant ce livre par une autre auto-publication, toujours chez Librinova, qui s’intitule « Éteignez la lumière en partant. » Même format, même envie de distraire mais avec un fil rouge plus évident, un peu comme un film à sketchs (*) Merci de me dire comment vous le faire parvenir. Un petit coup de pouce pour les étoiles 😉
Au plaisir de vous lire à nouveau.
Eric de Haldat
https://www.librinova.com/librairie/eric-de-haldat/eteignez-la-lumiere-en-partant
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Cela ressemble à un cercle vertueux, merci pour ce retour de retour qui valide complètement la démarche. =)
(La blague est dans « Le Fleuve », si ma mémoire est bonne ; lorsque un personnage masculin enthousiasmé par une découverte est tellement enjoué qu’il « violerait » bien son assistante sur place pour fêter ça.
La chute avec le mojito était drôle en soi, mais l’usage du mot lui-même rendait ça terriblement maladroit, malheureusement, et gâchait la séquence entière.)
J’aurais sans doute plaisir à compléter ma découverte de votre travail incessamment, je vais me permettre de vous contacter directement.
Encore merci, et à très vite. 🙂
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