
Creepin Up The Backstairs – The Fratellis (extrait de l’album Costello Music)
The Mermaid – Great Big Sea (extrait de l’album The Hard and The Easy)
Je vais commencer par un aveu un peu gênant mais absolument nécessaire : Les Chevaliers du Tintamarre partaient avec un clair handicap. Pas que je n’avais envie de lire ce roman, bien au contraire ; je suis quand même pas si bête et masochiste, en tout cas pas en même temps, et pas volontairement. Non, simplement, je me connais, après un kiff intégral tel que l’a été la découverte de Chevauche-brumes juste avant de m’y attaquer, il y avait un indéniable risque de choc esthétique me faisant évaluer les choses avec un contraste peu flatteur, sans compter les restes d’une gueule de bois littéraire. Mais comme précisément je me connais, j’ai essayé de me prémunir de ce défaut de perception personnel avant de m’y mettre, en prenant mon temps. Me voilà donc avec mon avis tout frais sur ce premier roman, après avoir bien réfléchi à ce que je pensais vraiment de l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui, aussi indépendamment que possible de potentiels biais ponctuels ou incompatibilités d’humeur.
Mon avis, c’est que ce premier roman est un bon roman. Un premier roman volontiers bordélique et peut-être un peu trop ambitieux pour son propre bien, mais un bon roman néanmoins.
La suite, vous la devinez, je m’en vais expliquer tout ça au mieux.
Silas Courtepeine, charcutier, La Morue, boxeur, et Rossignol, barde, sont trois amis qui se plaisent à écluser le Grand Tintamarre, leur taverne favorite dans la grande et étrange cité de Morguepierre, posée sur les flancs d’un volcan. Ils y rêvent d’aventures et d’une vie plus facile ou du moins plus flamboyante. L’occasion se présente à eux lorsque la ville devient le théâtre croisé d’enlèvements de jeune filles, d’échouages de marie-morganes mortes sur les plages, et d’affrontements en tout genre. Les trois compères se lancent alors officieusement dans une enquête qui semble leur promettre la gloire à laquelle ils veulent se croire promis.
C’est de plus en plus compliqué pour moi de dépatouiller certains de mes sentiments quand je sors d’un roman, parce qu’à force de vouloir identifier aussi clairement que possible les intentions de l’auteurice en fonction des résultats qu’elles ont produits, j’arrive systématiquement à un point où je ne peux rien affirmer sans prendre le risque de complètement me vautrer. Mais il faut bien que je livre mon sentiment aussi honnêtement que possible, alors je le prends systématiquement. Dans le cas qui nous intéresse ici, je pense que Raphaël Bardas a voulu, avec la cité de Morguepierre, créer le théâtre de situations aussi grotesques qu’évocatrices ; une cité corrompue et crade, remplie à ras-bord de personnages aussi hauts en couleurs que peu recommandables, dont les secrets comme le fonctionnement permettraient à son auteur d’avant tout se faire plaisir, et par la même, à son lectorat. Saine et louable ambition s’il en est, d’autant que pour une très bonne part, le contrat est à mes yeux rempli. Morguepierre est une cité de fantasy séduisante par sa laideur, construite sur bon nombre de concepts inédits à mes yeux et d’idées assez originales, qui sont aussi utiles à la narration qu’à la construction passive du monde qui nous est présenté par leurs implications ; je n’ai pas souvent vu ça employé d’une telle manière, je me dois de le saluer.
Le souci, puisqu’il faut bien y venir, c’est peut-être – comme souvent avec moi – que le roman va du coup un peu trop vite. Si un roman d’enquête de capes et d’épées se prête effectivement très bien à un rythme effréné, la composante fantasy des Chevaliers du Tintamarre aurait nécessité à mes yeux que Raphaël Bardas prenne un peu plus son temps, ou le module différemment, pour nous présenter plus exhaustivement son monde. C’est en tout cas le principal souci que j’ai rencontré pendant mon premier tiers de lecture, sans doute mon plus poussif, où j’étais un peu trop freiné dans ma lecture par les questions que me faisait me poser le manque d’exposition clair. Si les interactions et les dialogues entre nos trois protagonistes sont un indéniable point fort du récit (mention spéciale à La Morue), elles étaient un peu compliqué à apprécier à mes yeux au départ. Il m’a fallu le temps de comprendre que ces trois gaillards un p’tit brin archétypaux n’étaient certainement pas les pires crapules de Morguepierre pour pleinement saisir leur dimension héroïque et apprécier leur gouaille, plus par contraste avec la crasse ambiante que par absolue affinité. Ce n’est pas pour dire que nos trois protagonistes sont des salopards, évidemment, ce sont même plutôt des bons gars aux personnalités complexes et relativement nuancées ; mais il est certain que dans un tout autre contexte, leurs défauts ne m’auraient pas semblé être aussi prompts à la rédemption. On était je crois dans le cas d’un univers étranger et dépaysant, tant maîtrisé et connu par son auteur qu’il en a parfois oublié de nous inclure pleinement dans la boucle afin qu’on puisse en saisir l’ensemble des données présentées et apprécier le spectacle à la hauteur de ses ambitions.
Et de fait, j’ai du faire quelques efforts d’attention pour tout saisir de ce qui se passait, notamment dans le premier tiers, notamment à cause d’un assez dommageable déséquilibre entre les dialogues et la narration créant parfois des effets d’incohérences. Mais le cœur du roman comme sa conclusion m’ont nettement plus séduit, une fois que j’avais globalement compris dans quelle genre d’aventure nous étions et quelles ambitions avait l’auteur, ajustant mes attentes et mes goûts personnel·le·s avec les intentions de Raphaël Bardas. Je persiste à penser qu’avec un peu plus de connaissances de l’univers et de certaines de ses règles en amont, j’aurais beaucoup plus profité des retournements de situations ou des astuces narratives, mais l’essentiel a été très largement préservé : l’intrigue est solide, ponctuée de scènes et de dialogues très réussis, comme de jeux assez malins avec les tropes du genre, entre continuité – souvent volontiers ironique – et renouvellement. Je ne peux pas dire que j’ai été absolument transcendé, ce qui me chagrine un peu ; sans doute la faute à un univers un peu trop sale et négatif sous le vernis de l’humour, où j’ai mis du temps à trouver mes marques.
Mais il demeure que je suis allé au bout, et ce sans jamais rechigner ni bouder mon plaisir quand il était là, ce dont d’autres romans dans des circonstances plus aisées ne peuvent pas se vanter. Je n’oublie pas que ces Chevaliers du Tintamarre officient là dans un premier roman, ce qui, je pense, est à mettre à leur crédit ; tout ce que j’ai pu trouver d’un peu bancal ou d’insuffisant n’est plus là que pour être amélioré et ne gâche en rien leurs nombreuses réussites et leur bonhommie communicative. L’univers construit par Raphaël Bardas est clairement prometteur, et je ne demande désormais qu’à voir ce qu’il pourra me proposer d’autre dans le même registre : l’expérience l’aidera à faire encore mieux, et je serai sans nul doute bien mieux préparé. Nul besoin alors d’un temps d’adaptation, je pourrais prendre un plaisir immédiat. Et si c’est avec ces trois couillons que j’ai vraiment appris à apprécier le long du chemin, ce sera encore mieux.
Un deuxième tome est déjà sorti, vous dites ?
Ah. Bah d’accord.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit remplis d’étoiles. 😉
Chronique pleine de justesse comme toujours. J’ai coincé un peu plus sur ce roman à cause du manque de personnages féminins significatifs. Mais c’est tout à fait personnel. Pour le reste, je suis plutôt de ton avis.
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J’ai tiqué un peu aussi à ce sujet, mais je crois que ça fait partie de cette volonté de faire de Morguepierre un endroit vraiment terrible. Et je dois dire aussi que le profil d’Alessa m’a vraiment séduit, avec quelques touches psychologiques originales et efficaces.
Mais premier roman aussi, évidemment, ça joue. 🙂
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